par Axelle Lacan, économiste au Crédit Agricole
• Les négociations entamées le 4 octobre sur la sécurisation de l’emploi se sont conclues par un accord le 11 janvier. Dans le contexte actuel de hausse du taux de chômage, les attentes étaient nombreuses. Les entre- prises demandaient plus de flexibilité, pour mieux s’ajuster en cas de retournement conjoncturel. Les salariés réclamaient quant à eux davantage de sécurité, dans cette période de destructions massives d’emplois. Cet accord « surprise » est clairement un pas dans la bonne direction.
• La comparaison des évolutions des marchés du travail français et allemand sur la période récente permet de mettre en exergue le caractère assez rigide du marché du travail français. Lors de la crise, les entreprises françaises n’ont pas pu s’ajuster aussi facilement que leurs homologues allemandes, tant en termes de réduction des heures travaillées que de baisse des salaires. Elles ont ajusté leurs effectifs, mais pas suffisamment pour améliorer leur profitabilité, et n’ont pas pu profiter pleinement du rebond en 2010. Ceci a limité la restauration de leur profitabilité et alimenté in fine un chômage de longue durée.
• Si les mesures annoncées devraient permettre une amélioration de la situation du marché du travail à moyen-terme, peu d’effets sont à attendre à court terme, les débouchés domestiques et européens restant trop médiocres. Un soutien pourra toutefois provenir de la création des emplois d’avenir et des contrats de génération.
Des avancées inattendues
Syndicats et patronat se sont entendus vendredi 11 janvier sur un accord instaurant plus de flexibilité pour les entreprises et plus de sécurité pour les salariés. La France montre ainsi qu’elle avance sur le chemin des réformes structurelles, suivant la voie ouverte par d’autres pays européens, à l’instar de l’Espagne et l’Italie.
1. Une flexibilité accrue pour les entreprises
L’avancée majeure de ces négociations pour les entreprises est la possibilité, en cas de graves difficultés conjoncturelles, de conclure avec les syndicats représentant plus de la moitié des salariés un accord d’une durée maximale de deux ans comprenant une réduction de salaire et/ou une hausse de la durée de travail, en échange d’un engagement de maintien de l’emploi. Le refus d’un salarié entraînera son licenciement pour motif économique.
La réglementation des licenciements économiques a également été abordée. L’organisation en est modifiée. La procédure est allégée et simplifiée. Deux étapes sont désormais prévues :
• La première consiste en un accord d’entreprise, ce qui permet de s’affranchir des règles inscrites dans le droit du travail. Dans ce cadre, il est possible d’organiser des reclassements internes avant la fin de la procédure.
• Si le plan social ne fait pas l’objet d’un accord collectif, une deuxième phase peut être abordée, à savoir l’homologation par l’administration.
Les entreprises n’auront plus à élaborer de plan social pour procéder à une réorganisation interne sans licenciement. Une négociation devra cependant être lancée.
Les dispositifs de chômage partiel seront par ailleurs simplifiés.
Le plafonnement des dommages et intérêts n’a pas été retenu. Toutefois, une barémisation des dommages et intérêts en phase prud’homale est prévue. Ceci permet de limiter la poursuite des procédures devant la justice.
Enfin, les entreprises auront plus de temps pour ajuster leur organisation à leur nombre de salariés. En effet, des obligations existent à l’embauche d’un onzième ou d’un cinquantième salarié. Un délai d’un an sera désormais toléré pour remplir ces obligations, si des élections professionnelles sont organisées.
L’accord entraîne donc une vraie simplification des règles de licenciement. Ces avancées seront utiles pour les grandes entreprises comme pour les PME.
2. Une protection renforcée pour les salariés
La surtaxation des CDD a été la mesure la plus discutée lors de la phase de négociations. Les syndicats et le patronat sont parvenus à un accord. La cotisation patronale d’assurance-chômage est aujourd’hui de 4 % pour l’ensemble des contrats. Elle serait désormais majorée pour les CDD, à 7 % pour les CDD d’une durée de moins d’un mois, à 5,5% pour ceux dont la durée serait comprise entre 1 et 3 mois et à 4,5% pour les autres CDD. Les économies réalisées grâce à cette mesure permettront d’exonérer de cotisations de nouvelles embauches en CDI de jeunes de moins de 26 ans pendant trois mois. Les contrats saisonniers et les CDD de remplacement ne sont pas concernés par cette mesure. Un CDI intérimaire sera par ailleurs créé pour l’intérim. Cette surtaxation du CDD et la création d’un CDI intérimaire vont dans le sens de l’établissement du CDI comme norme. On se rapproche peu à peu du contrat de travail unique.
La complémentaire santé pour tous est également une avancée pour les salariés. La mesure devrait être appliquée à compter du 1er juillet 2014. Elle constituera en revanche un poids supplémentaire pour les entreprises, notamment pour les plus petites entreprises d’entre elles qui ne proposent pas pour l’instant ce type de couverture à leurs salariés.
Les salariés pourront désormais conserver le solde de leurs droits aux allocations chômage en cas de retour à l’emploi, pour pouvoir les utiliser à nouveau lors d’une éventuelle nouvelle période sans emploi. Cette mesure va de pair avec la plus grande flexibilité octroyée aux entreprises. Le salarié touché par un licenciement lors d’un retournement conjoncturel aura un filet de sécurité supplémentaire. Il y a donc plus de flexibilité pour les uns, et plus de sécurité pour les autres.
Une autre mesure devrait permettre des mobilités plus importantes : le congé de mobilité externe. Un salarié d’une entreprise de plus de 300 personnes avec plus de deux ans d’ancienneté pourra changer temporairement d’emploi et d’entreprise afin d’être formé sur un nouveau métier. Là encore, c’est la flexibilité qui est en jeu : en cas de chute de l’activité dans un secteur ou d’un type d’emploi en particulier, un salarié doit pouvoir se reconvertir et être mis à disposition d’une autre entreprise.
Le temps partiel sera désormais mieux encadré. Un contrat ne pourra pas comporter une durée de travail inférieure à 24 heures par semaine, avec certaines exceptions cependant (nourrices, étudiants, etc.) et sauf accord de branche. Les heures complémentaires seront majorées de 10 %. Enfin, l’entrée dans les conseils d’administration de salariés pour les entreprises de plus de 10 000 salariés dans le monde ou 5 000 en France devrait permettre une amélioration du dialogue social.
Le projet de loi sera présenté en Conseil des ministres début mars selon une procédure accélérée (une seule lecture au parlement). Il conviendra de suivre la transcription juridique de l’accord, et la modification éventuelle de certaines des mesures annoncées.
L’analyse rapide de l’ajustement du marché du travail français depuis le premier trimestre 2008 permet de comprendre en quoi les mesures comprises dans cet accord constituent des avancées importantes, tant pour les entreprises que pour les salariés. Grâce aux nouvelles dispositions, le marché du travail français devrait être mieux armé pour faire face aux phases de basse conjoncture, à l’instar du marché du travail allemand qui a su s’ajuster efficacement pendant la crise. Le modèle social français n’est toutefois pas remis en cause: des filets de sécurité demeurent pour les salariés.
Des effets à moyen terme bienvenus pour un marché du travail souffrant
En France, environ 220 000 emplois dans l’ensemble des secteurs (hors agriculture, emploi public des secteurs non marchands et activités extraterritoriales) ont été détruits pendant la crise, ou plutôt l’enchaînement de crises, selon la séquence suivante :
• Près de 450 000 emplois ont été détruits entre le premier trimestre 2008 et le troisième trimestre 2009.
• 285000 emplois ont ensuite été créés jusqu’au 2e trimestre 2011.
• 60 000 emplois ont à nouveau été détruits jusqu’au 3e trimestre 2012.
Le rythme d’ajustement a été plus fort en France qu’en zone euro, notamment qu’en Allemagne, où le marché du travail est davantage flexible et où d’autres alternatives ont été possibles, à l’instar de la réduction du nombre d’heures travaillées ou de l’ajustement des salaires.
Ainsi, quand la France licencie, l’Allemagne maintient ses effectifs tout en s’ajustant.
Pour mieux comprendre la séquence d’ajustement, il est utile de découper de manière très schématique la période récente en trois phases.
• De 2008 à début 2009 : La productivité s’effondre outre-Rhin, sous l’effet d’une baisse très marquée de l’activité (modèle de croissance davantage tourné vers le commerce extérieur) et du maintien de l’emploi. Des ajustements sont toutefois opérés : les salaires par tête progressent bien moins vite, les heures travaillées sont largement réduites. En France, le PIB recule, mais moins fortement (modèle de croissance tourné vers la demande domestique, soutenue par des mesures de relance). L’emploi s’ajuste, mais pas suffisamment pour maintenir la productivité. En conséquence, la productivité recule en France, mais moins qu’en Allemagne.
• De 2009 à 2010 : L’Allemagne profite pleinement du rebond de la croissance mondiale, qu’elle capte bien grâce à son modèle de croissance tourné vers les exportations. D’autres facteurs sont à l’œuvre. Ils sont directement liés à la plus grande souplesse du marché du travail allemand. En réduisant les heures travaillées et en ajustant les salaires, les entreprises allemandes ont contrôlé leurs coûts de production et réussi à restaurer leur profitabilité. De plus, n’ayant pas licencié, elles sont mieux armées pour profiter d’une période d’embellie conjoncturelle, puisqu’elles n’ont pas, contrairement à la France, à procéder à de nouvelles embauches coûteuses et longues, ou à recourir à de l’emploi intérimaire, moins productif. Les entreprises allemandes sont prêtes à investir, à exporter. Ce n’est pas le cas des entreprises françaises, dans lesquelles la productivité ne se redresse que mollement et dont la situation financière reste par conséquent dégradée.
• Depuis 2010, les entreprises françaises peinent à restaurer leur profitabilité, ce qui influence de manière négative leurs investissements et leurs exportations. Le taux de marge des entreprises françaises ressort à 28,3 % au 3e trimestre 2012, soit un niveau équivalent à celui connu pendant les années 1980. Il est de l’ordre de 40 % pour les entreprises allemandes.
Les entreprises françaises devraient continuer à chercher ces prochains mois à améliorer leur situation financière. Les destructions d’emploi devraient donc se poursuivre. Nous prévoyons environ 40 000 destructions d’emplois marchands par trimestre sur le premier semestre 2013. La durée du chômage va donc continuer à s’allonger, ce qui va sans nulle doute décourager certains salariés à rechercher un emploi (surtout les salariés peu qualifiés, les femmes, les jeunes ou les seniors). Ceci est déjà perceptible dans l’enquête «Sortants» menée conjointement par Pôle emploi et la Dares : les flux de sortie des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi (arrêts de recherche, cessations d'inscription pour défaut d'actualisation et radiations administratives) ont augmenté de 12 % t/t au 2 trimestre 2012. Ces demandeurs d’emploi ne sont plus comptabilisés dans les statistiques nationales. Mais si la conjoncture s’améliore, ils reviendront, avec une employabilité réduite, sur le marché du travail et gonfleront alors les statistiques. Le chômage structurel sera en hausse. L’inversion de la courbe de chômage va donc prendre du temps.
Les dysfonctionnements du marché du travail français vont être atténués grâce à la mise en place des nouvelles mesures, même si l’impact de l’accord doit être évalué au regard de l’échéance considérée :
• A long terme, l’effet est indéniablement favorable. Les entreprises françaises auront d’autres options que le licenciement pour s’ajuster. Les salariés pourront plus facilement se réorienter, ou bénéficier d’un reliquat de leurs prestations chômage. C’est un filet de sécurité supplémentaire. Les effets favorables attendus sur l’emploi, notamment ceux liés à une flexibilité accrue, supposent toutefois un bon dialogue social.
• A moyen terme, et simultanément à l’amélioration progressive de la conjoncture que nous attendons à compter de 2014, un effet confiance devrait sensiblement jouer. Les chefs d’entreprise pourraient avoir moins de réticences à embaucher, puisqu’ils sauront qu’ils pourront en cas de baisse de l’activité, plus facilement s’ajuster. Le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi aura également un effet favorable sur leur profitabilité.
• A court terme, et tant que la conjoncture ne montre pas de signe d’amélioration durable, il y aura peu d’effets, voire un effet légèrement amplificateur des destructions d’emploi, les procédures de licenciements étant simplifiées.
Les contrats de génération et les emplois d’avenir devraient atténuer à court terme l’impact de ces destructions d’emploi sur l’emploi total.
Des contrats de génération et des emplois d’avenir à court terme
Les mesures de soutien à l’emploi à court terme reposent sur deux piliers :
• Les emplois d’avenir
Les emplois d’avenir sont destinés à lutter contre le chômage des jeunes peu ou non qualifiés. Ces nouveaux contrats aidés (100 000 dès 2013, et 50 000 de plus en 2014) sont en effet réservés aux 16-25 ans sans qualification et issus de quartiers sensibles ou de zones rurales. Ils sont principalement destinés au secteur non marchand (collectivités, hôpitaux, associations). La subvention de l’Etat atteint 75 % du Smic, pour une durée comprise entre un et trois ans. Le secteur privé peut dans quelques cas recourir à ces contrats pour des emplois à « utilité sociale avérée » ; la participation de l’Etat n’est alors que de30à35%dusalaire.
L’impact sur l’emploi est positif à court terme, mais l’effet à moyen terme est plus discutable, surtout si les efforts de formation promis ne sont pas faits. C’est d’ailleurs l’écueil de l’ensemble des contrats aidés : ils ne favorisent pas l’insertion professionnelle s’ils sont de courte durée et sans accompagnement.
• Les contrats de génération L'examen du projet de loi créant les « contrats de génération » a débuté mardi 15 janvier.
Ce dispositif doit inciter les entreprises à maintenir en postes les salariés de 57 ans et plus (ou à embaucher des salariés de plus de 55 ans), et à recruter des jeunes de moins de 26 ans. Pour rappel, en 2011, le taux d'emploi moyen des travailleurs âgés de 55 à 64 ans est seulement de 41,5 % en France. Il est de 47,4 % dans l'UE-27. Le taux d’emploi des juniors (15 à 24 ans) est de 29,9 % en France, contre 33,6 % dans l’UE 27.
Les entreprises de moins de 300 salariés recevront une incitation financière de 2 000 euros par an, par salarié à temps plein concerné, en allègements de charges. Ces allègements seront accordés pendant trois ans pour l’emploi du jeune et jusqu’à la retraite pour le senior. Celles de plus de 300salariés auront l'obligation de conclure des accords ou mettre en place des plans d’action intergénérationnels, sous peine de pénalités financières (équivalentes au montant le plus élevé entre 1 % de la masse salariale et 10 % des allègements de charges).
Le financement de cette mesure, dont le coût est estimé à 2,5 milliards d’euros, a fait débat. La baisse du plafond (de 1,6 smic à 1,5 smic) des allègements de charges a été abandonnée. Pour 2013, le financement (200 millions d’euros) sera assuré par des économies supplémentaires. Au- delà, le coût est intégré dans le financement global de 20 milliards du pacte de compétitivité et notamment du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Le gouvernement compte déployer 500 000 contrats sur les quatre prochaines années : 100 000 contrats dès 2013, puis 130 000 par an jusque début 2017. Il est très difficile d’estimer l’impact réel qu’aura le dispositif sur l’emploi.
D’une part, un effet de substitution est attendu (recrutements de jeunes qui auraient été de toutes manières embauchés). D’autre part, l’effet sera inégal en fonction des secteurs. Dans les métiers nouveaux, dans ceux où les savoirs sont en constante évolution, dans les secteurs où les seniors sont peu nombreux (type nouvelle économie), l’impact restera marginal. A l’inverse, les grosses PME industrielles devraient avoir davantage recours au dispositif, la transmission des savoirs étant déterminante dans leurs métiers.
Notre scénario
En 2013, nous tablons sur une hausse du taux de chômage, à 10,5% en moyenne en France métropolitaine (contre 9,9 % en 2012), sans inversion de la courbe sur l’année.
L’emploi total n’afficherait qu’une baisse de 0,2 % grâce aux effets cumulés des emplois d’avenir et des contrats de génération.
Plus globalement, les réformes structurelles engagées vont dans le sens d’une amélioration de la perception de la France et limitent la probabilité d’une nouvelle dégradation de la note souveraine par les agences de notation. Cela crée un environnement plus stable et davantage propice aux ajustements nécessaires (réduction du déficit public, redressement de la compétitivité, amélioration du fonctionnement du marché du travail).