par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas
Le gouvernement de François Hollande n’a pas besoin de prendre le tournant de la rigueur : le gouvernement précédent l’avait déjà opéré ! Les EUR 7,2 milliards de nouvelles hausses d’impôts du collectif budgétaire pour 2012 ne font que poursuivre un mouvement engagé avec les plans de redressement d’août et novembre 2011 et un premier projet de loi de finances rectificative (PLFR) en février de cette année. Le freinage des dépenses est aussi déjà une réalité grâce aux diverses normes de progression.
D’après les calculs de la Cour des comptes1, la réduction de près de deux points du déficit budgétaire en 2011 est pour moitié structurelle, l’essentiel venant de la hausse des prélèvements obligatoires. Le reste s’explique, à hauteur de 0,8 point, par la disparition des effets du plan de relance et du surcoût lié à la réforme de la taxe professionnelle (un coup de pouce non négligeable mais non rééditable) et, à hauteur de 0,25 point, par la conjoncture favorable (croissance observée supérieure (1,7%) à la croissance potentielle (estimée à 1,2%).
Si la consolidation budgétaire est engagée et avance sans trop de mal jusqu’à présent, il reste néanmoins un long et difficile chemin à parcourir. Les perspectives de croissance sont moroses et les finances publiques toujours loin de l’équilibre. Les déficit total (5,2% du PIB), comme primaire (2,6% du PIB) ou structurel (3,9%), reste élevé dans l’absolu et comparé à la moyenne de la zone euro hors France (les mêmes chiffres étant respectivement, de 3,8%, 0,7% et 3,2%). Le déficit budgétaire total équivaut encore au double du déficit stabilisant le ratio dette publique sur PIB (2,6%) alors que ce dernier approche des 90% (86% pour être exact).
Les comptes de la Cour
A politique budgétaire inchangée, il manquerait, d’après la Cour, entre EUR 6 et 10 milliards pour tenir l’objectif de déficit budgétaire de 2012 et EUR 33 milliards pour 2013. En 2012, le déficit à combler tient essentiellement aux rentrées fiscales moindres qu’escompté dans le Pacte de stabilité et de croissance d’avril 2012 (PSC). Il y a deux raisons à cela. Non seulement l’hypothèse retenue d’une élasticité de 1,1 entre les recettes et la croissance s’avère trop optimiste au regard de la faible croissance attendue2 (manque à gagner compris entre EUR 3 et 7 milliards) mais l’hypothèse sous-jacente de croissance est aussi elle-même trop élevée. Or, l’écart de croissance de 0,3 point entre la prévision retenue dans le PSC (+0,7%) et celle de l’INSEE (+0,4%) entraîne une perte mécanique de recettes de EUR 3 milliards. L’évolution des dépenses publiques souffre d’un risque d’exécution moindre, évalué entre EUR 1,2 et 2 milliards. La Cour estime à EUR 0,6 milliard les nouvelles économies sur le service de la dette (5% des dépenses publiques) grâce au bas niveau des taux d’intérêt. Le règlement d’un contentieux fiscal va également peser sur le déficit 20123. Pour 2013, en supposant l’objectif 2012 atteint et avec une hypothèse de croissance de 1% (et non de 1,75% comme dans le PSC, à mettre en regard d’une croissance potentielle estimée à 1,5%), l’effort structurel nécessaire pour réduire le déficit à 3% du PIB se monte à EUR 33 milliards, l’équivalent de 1,6 point de PIB4.
En plus de ce cadrage chiffré, l’autre grand intérêt du rapport de la Cour sont ses recommandations. On retiendra qu’une répartition égale, entre impôts et dépenses, de l’effort structurel à faire en 2013 implique de stabiliser, en volume, les dépenses des administrations publiques (APU) et celles de l’Etat en valeur. La Cour recommande de faire porter, en priorité, l’ajustement sur les dépenses des APU. Elle ajoute cependant que, compte tenu de l’ampleur de l’effort, il faudra compléter par un relèvement temporaire et mesuré des prélèvements obligatoires (PO), le tout « dans le cadre d’une stratégie fiscale permettant d’améliorer la compétitivité ». Pour ce faire, elle préconise de réduire la fiscalité dérogatoire et de recourir à des impôts à assiette large et fort rendement, comme la TVA et la CSG. Du côté des dépenses, les leviers d’action identifiés sont : la maîtrise des dépenses de fonctionnement (de préférence par la baisse des effectifs), le réexamen des dépenses d’intervention (par exemple du mécanisme d’indexation des retraites5), la sélection des investissements publics6.
Les comptes du gouvernement
Ce 4 juillet, le gouvernement a dévoilé son PLFR pour 2012 (PLFR II) et les mesures lui permettant d’assurer son objectif de réduction du déficit budgétaire à 4,5% du PIB cette année. Suivant les évaluations de la Cour, il budgète EUR 7,2 milliards de nouvelles recettes et une augmentation de EUR 1,5 milliard des crédits gelés dans la réserve de précaution, sur la base d’une hypothèse de croissance de 0,3%. Le déficit à combler en 2012 tenant très largement au manque à gagner côté recettes, l’accent mis sur les hausses d’impôts est logique. Celles-ci sont ciblées, dans un souci de justice, sur « les entreprises et les ménages disposant des capacités contributives les plus importantes » selon les termes du gouvernement (à hauteur de 58% sur les ménages et de 42% sur les entreprises). La seule mesure impactant tous les ménages est l’abrogation de l’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires (sauf pour la part patronale des entreprises de moins de 20 salariés). La perte du coup de pouce que cela représentait pour le pouvoir d’achat des ménages est à mettre en regard de l’effet positif attendu sur l’emploi et de la perte évitée par l’annulation de la hausse de TVA de 1,6 point prévue au 1er octobre dans le cadre de la ‘TVA sociale.
Pour 2013, le détail des mesures ne sera connu qu’en septembre avec le projet de loi de finances initiale. Mais le rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques donne déjà une idée de l’ampleur de l’effort et de sa répartition entre hausses d’impôts et économies de dépenses, sur la base d’une prévision de croissance de 1,2%. La croissance potentielle étant supérieure, la dégradation induite du déficit budgétaire conjoncturel (-0,3 point) implique une amélioration du déficit structurel de 1,8 point (après déjà 1,2 point en 2012) pour réduire de 1,5 point le déficit total (de 4,5% à 3% du PIB). Cet effort structurel se décompose en EUR 26 milliards de recettes supplémentaires7 et EUR 8 milliards d’économies budgétaires. Les trois quarts de l’ajustement en 2013 porteraient donc sur les impôts, et un quart sur les dépenses. L’effort est conséquent : les dépenses sont censées ne progresser que de 0,8% par an en volume (ce qui stabilise leur poids à 56% du PIB en 2012 et 2013) et le taux de PO grimpe à 46,2% en 2013 (+2,3 points par rapport à 2011).
On est loin des recommandations de la Cour en termes de répartition équilibrée, de priorité à la maîtrise des dépenses et de hausse mesurée des PO et favorable à la compétitivité. D’après les projections pluriannuelles du gouvernement, le coup de collier sur les dépenses viendrait toutefois dans un deuxième temps, après celui sur les impôts. Sur la base d’une hypothèse de croissance annuelle moyenne de 2% de 2014 à 2017, la part des dépenses publiques baisserait, en effet, de près de trois points (à 53,4% en 2017) tandis que le taux de PO n’augmenterait guère plus (46,5% du PIB en 2017). La dette publique atteindrait, elle, un pic à 90,6% du PIB en 2013 (après 89,7% en 2012) avant de s’infléchir à 82,4% du PIB en 2017.
La rigueur quel que soit son nom
Pour un pays en déficit budgétaire depuis 1974, revenir à l’équilibre budgétaire d’ici à 2017 représente un tournant majeur et une véritable gageure sur un tel laps de temps et dans un environnement de croissance peu porteur8. La question n’est pas de savoir si les objectifs budgétaires seront tenus (c’est un « enjeu de souveraineté nationale » pour reprendre les mots de Jean-Marc Ayrault dans son discours de politique générale) mais comment ils le seront. Le gouvernement précédent a mis le cap sur la rigueur, à charge du nouveau de le maintenir en allant à la bonne vitesse, celle qui permet de réduire significativement et durablement le déficit sans trop peser sur la croissance. L’égrènement de mesures pratiqué jusqu’ici présente l’avantage de n’avoir qu’un impact négatif limité sur la croissance (car dilué).
Par ailleurs, la tâche en 2012 est facilitée par la « petitesse » de la marche à franchir (0,7 point de réduction du déficit total). L’exercice d’équilibriste s’annonce autrement plus difficile en 2013 : non seulement la marche à franchir est plus haute (-1,5 point), mais le risque existe que la croissance ne résiste pas à l’alourdissement de la pression fiscale. Enfin, même si la France s’en sort relativement bien jusqu’à présent, on peut regretter la préférence pour l’impôt, la complexification supplémentaire de la fiscalité et, surtout, que l’occasion de procéder à des réformes de fond n’ait pas encore été saisie.
NOTES
- Rapport 2012 sur la situation et les perspectives des finances publiques.
- En 2002-2003, autres années de faible croissance, cette même élasticité n’avait été que de 0,8.
- La Cour de justice européenne a jugé qu’il y avait un traitement fiscal discriminatoire des dividences reçus et distribués par les OPCVM selon leur lieu de résidence (exonérés en France, taxés pour les OPCVM étrangers). Le coût du réalignement des deux régimes sur celui, favorable, des OPCVM français s’élève à EUR 9 milliards selon la DGFiP (EUR 1,5 milliard en 2012, EUR 4,85 milliards en 2013 et EUR 1,75 milliard en 2014), en sus du EUR 1,1 milliard déjà acquitté.
- Un point de croissance en plus ou en moins réduit ou augmente l’effort de EUR 10 milliards.
- A l’image de ce qui a été fait pour les allocations familiales et logement, indexées, en 2012, sur la croissance et non plus sur l’inflation.
- Ces dépenses comptent pour, respectivement, 34%, 55% et 5% du total des dépenses publiques.
- Dont EUR 6,1 milliards déjà inscrits dans le PLFR II et près de EUR 5 milliards dans le plan de novembre 2011 : environ EUR 15 milliards de recettes manquent donc encore à l’appel.
- Entre 1993 et 2000, le déficit a été réduit de 5 points, mais la croissance était alors plus dynamique (2,6% en moyenne par an).