par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas
• La croissance française a été un peu plus dynamique que prévu au troisième trimestre 2014 (+0,3% t/t). La reprise n’est toutefois pas encore bien arrimée.
• Ce rebond doit beaucoup à la consommation publique et la formation des stocks, des moteurs de croissance difficiles à considérer comme pérennes.
• L’investissement baisse toujours, qu’il s’agisse de celui des entreprises, des ménages, ou des administrations publiques.
• Les perspectives pour le quatrième trimestre sont, pour le moment, médiocres.
• Les espoirs de reprise, jusqu’ici déçus, devraient toutefois prendre corps en 2015.
La première estimation de la croissance française au troisième trimestre 2014 a réservé une bonne surprise : le PIB est, en effet, ressorti en hausse de 0,3% (trimestre sur trimestre, t/t), dépassant les attentes de l’INSEE (+0,1%) et de la Banque de France (+0,2%). La France fait même mieux que l’Allemagne (+0,1% t/t) et que la moyenne de la zone euro (+0,2% t/t), dont la performance masque toujours des trajectoires assez disparates. L’Italie, notamment, décroche. Son PIB continue de reculer et se situe 10% au-dessous de son niveau de 2008 ; l’économie espagnole s’anime, mais elle est loin d’avoir effacé tous les stigmates de la crise. En comparaison, la France fait plutôt bonne figure. Elle est notamment l’un des rares grands pays de la zone euro à avoir renoué avec les niveaux d’activité d’avant crise.
Croissance au troisième trimestre 2014, un chiffre positif…, à relativiser
La bonne surprise du troisième trimestre est atténuée par la révision en baisse du deuxième trimestre (où il s’avère que le PIB, d’abord mesuré stable, s’est légèrement contracté) et surtout par la fragilité même du rebond au regard des détails par composantes du PIB et de la situation conjoncturelle très mitigée. La contribution positive de la demande intérieure à la croissance, de +0,5 point de pourcentage, est en effet trompeuse. Certes, la progression modeste de la consommation des ménages (+0,2% t/t), qui atteste de sa résistance malgré un pouvoir d’achat sous pression, est un bon point. De même, l’investissement des entreprises non financières n’a que très peu baissé (-0,1% t/t), en dépit du manque de visibilité et du très bas niveau de leur taux de marge. Mais derrière la hausse de la demande globale, il y a surtout la consommation publique (qui contribue pour 0,2 point à la croissance) et la variation des stocks (qui contribue pour 0,3 point). Or, ce ne sont pas là des moteurs pérennes, et la croissance reste pénalisée par l’investissement des ménages comme des administrations publiques, qui continuent de reculer fortement (de 1,7% et 1,2%, respectivement, sur le trimestre).
Le rebond du troisième trimestre est aussi fragile parce qu’il ne repose pas sur une amélioration des indices du climat des affaires : enquêtes de conjoncture de l’INSEE, de la Banque de France, indices PMI fournis par la société Markit.
Ces derniers sont toutefois affectés d’un biais systématique à la baisse. Malgré tout, leur signal ne peut être complètement occulté. La lecture des indices PMI donne une information utile, précoce et comparable sur le plan international, à recouper avec les autres enquêtes sur le climat des affaires. Par ailleurs, l’évolution de l’emploi salarié marchand n’a pas été favorable (-0,2% t/t). Une correction était attendue mais elle a été plus importante que prévu. Un signal négatif renforcé par la rechute de l’intérim (-4,2% t/t).
Fin d’année 2014 en demi-teinte, mais du mieux au-delà
Au regard des évolutions des composantes de la croissance, la performance du troisième trimestre ne paraît pas reproductible au quatrième. En octobre, le tableau général dépeint par l’ensemble des enquêtes de confiance reste celui d’une situation économique morose, qui résiste certes à la baisse mais sans élan pour se redresser. Le rebond infime de l’indice PMI composite en novembre (+0,2 point, à 48,4, selon l’estimation flash) va dans ce sens. La première estimation de la croissance au quatrième trimestre faite par la Banque de France est limitée à 0,1% t/t.
Sur l’ensemble de l’année 2014 et quelle que soit l’issue du quatrième trimestre, la croissance sera à peine positive, comme en 2012 et 2013. Les espoirs de reprise ont été une nouvelle fois déçus. Il y a plusieurs raisons à cela. La correction immobilière est plus sévère que prévu. Le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) met plus de temps à produire ses premiers effets. Le Pacte de responsabilité et de solidarité n’a pas eu l’effet d’annonce escompté sur la confiance. La politique économique n’a pas gagné en lisibilité et stabilité. La consolidation budgétaire est plus difficile que prévu et on n’en voit pas la fin. En conséquence, la visibilité ne s’est pas améliorée et l’incertitude ne s’est pas amenuisée. L’environnement extérieur, européen comme émergent, s’est avéré moins porteur qu’attendu, notamment du fait de la crise russo-ukrainienne.
Cependant, tout espoir n’est pas perdu. Une enquête, notamment, se distingue de la morosité ambiante : il s’agit du jugement des industriels sur leurs perspectives personnelles de production, issu de l’enquête mensuelle de conjoncture dans l’industrie de l’INSEE, réputé pour sa bonne corrélation avec l’évolution de l’activité. Son net redressement en septembre et en octobre, qui l’a porté de nouveau au-dessus de sa moyenne de long terme, est donc un signal encourageant.
Un classement des composantes de la croissance par ordre croissant de contribution permet de visualiser les raisons de la stagnation de l’économie française, les postes qui contribuent à sa résistance (consommation des ménages et, plus étonnant, exportations), les faux-amis (consommation publique et variations de stocks) et ses points de faiblesse (investissement et importations, cf. tableau). Ce classement révèle une économie sur le fil mais, nous semble-t-il, plus près de la reprise que de la rupture. Selon toute probabilité, l’investissement des ménages devrait en effet ralentir sa chute, l’investissement des entreprises redémarrer et la consommation des ménages et les exportations accélérer.
L’économie française peut en effet compter sur plusieurs facteurs de soutien, dont certains ont même gagné en force récemment. C’est le cas de la baisse du prix du pétrole et de la dépréciation de l’euro. La croissance devrait aussi bénéficier du très bas niveau des taux d’intérêt et des dernières mesures d’assouplissement de la politique monétaire de la BCE, auxquelles d’autres vont même peut-être venir s’ajouter. Et sur le front intérieur, les efforts divers et variés en matière de relance de l’offre et de soutien de la demande devraient aussi commencer à porter leurs fruits.