France : une politique de l’offre qui fait
 la part belle à la dévaluation interne

par Tristan Perrier, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

L’économie française est restée au point mort au 1er semestre, marquée par une croissance du PIB nulle, l’absence d’amélioration du marché de l’emploi et l’incapacité de réduire le déficit public. Dans une perspective de plus long terme, le pays souffre de faiblesses économiques largement documentées.

Cependant, à deux reprises depuis le début de cette année (en avril et en août), le gouvernement français a été remanié avec les nominations successives d’un Premier ministre et d’un ministre de l’économie perçus comme nettement plus favorables que leurs prédécesseurs à des réformes visant à améliorer le potentiel économique du pays. Cette évolution politique constitue sans nul doute un message majeur vis-à-vis des partenaires européens comme des milieux d’affaires français et internationaux. En réalité, cependant, la France a déjà fait des efforts de réformes considérables dans un domaine, celui de la « dévaluation interne » et peut, sous certaines conditions plausibles, en obtenir bientôt des résultats. Inversement, concernant d’autres grands chantiers nécessaires, il ne faut probablement pas attendre d’accélération majeure, et encore moins d’effets économiques marqués, au moins avant les prochaines élections de mai 2017.

D’importantes faiblesses structurelles attribuées aux excès de rigidité sur le marché intérieur, à la fiscalité et
à la taille des entreprises Parmi les faiblesses structurelles de l’économie française fréquemment soulignées par les grandes organisations internationales et européennes, tout comme par divers rapports d’experts réalisés à la demande du gouvernement français lui-même, figurent :

  • le poids excessif, et mal réparti, de la fiscalité et de la dépense publique,
  • les rigidités du marché du travail et ses conséquences en termes de chômage et d’inflation salariale,
  • la présence de nombreux secteurs (publics, mais aussi privés) totalement ou partiellement protégés de la concurrence sur le marché intérieur et/ou soumis à une réglementation inappropriée,
  • l’absence d’un tissu suffisant de petites et moyennes entreprises de dimension internationale (un point parfois controversé).

De fait, le pays a accumulé, au cours des dernières années, les signes de recul de sa compétitivité, d’abord en comparaison avec l’Allemagne mais aussi par rapport à d’autres pays de la zone euro.

Des mesures majeures en faveur de l’offre ont cependant été décidées dès fin 2012

La majorité politique actuelle n’a clairement pas construit sa campagne électorale de début 2012 sur la mise en œuvre d’une politique de l’offre. Son programme faisait, bien au contraire, la part belle à des mesures politiquement marquées à gauche, parmi lesquelles, notamment, des hausses d’impôts pour les hauts revenus, la création de postes d’enseignants publics supplémentaires ou un retour à la retraite à 60 ans pour certaines catégories de travailleurs. Ces mesures hautement symboliques ont été en partie appliquées, mais n’ont porté, au final, que sur de faibles montants. En parallèle, contraint de réduire les déficits, le gouvernement a clairement privilégié, dans un premier temps, les hausses d’impôts sur les baisses de dépenses. Ceci a conduit à une hausse de la fiscalité pesant sur les entreprises en 2013 et de celle pesant sur les ménages en 2013 comme en 2014.

Néanmoins, la réalité du tournant vers une politique de l’offre n’a pas attendu, loin de là, le revirement de communication intervenu à partir de début 2014. D’importantes mesures structurelles, budgétaires, ou combinant ces deux aspects ont été initiées assez tôt dans la législature actuelle :

  • Dès novembre 2012 a été décidée une opération majeure de « dévaluation interne » ciblant le coût du travail (baisses de charges patronales, prenant la forme d’un « Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi » (CICE) de 20 Mds €, soit 1 % du PIB, effectives graduellement à partir de 2014 et partiellement financées par une hausse de TVA) dans la droite ligne des préconisations des organisations internationales (et du programme de la droite pour les élections de 2012).
  • De façon plus modeste, des éléments de réformes du marché du travail en faveur d’une plus grande flexibilité (possibilité de réduire temporairement les salaires dans certaines conditions, léger assouplissement du régime des plans sociaux) ont également été annoncés en janvier 2013.
  • Le gouvernement a également ouvert, avec des résultats variables, des chantiers portant sur les secteurs où sont identifiées les inefficiences les plus lourdes en matière de dépense publique (en particulier dans le domaine de la santé et de l’administration locale, cette dernière ayant un pouvoir très important, notamment, sur le secteur critique du logement).
  • À l’automne 2013, quelques mesures d’économies supplémentaires ont été décidées concernant les régimes de retraites.
  • Enfin, fin 2013, d’importants efforts d’économies de dépenses publiques étaient annoncés (50 Mds €, soit 2,5 % du PIB de ralentissement « par rapport au rythme naturel d’évolution », à atteindre d’ici 2017).

La nécessité, pour le gouvernement, d’aller vite, s’expliquait probablement, au- delà de l’urgence économique, par la propension des « politiques de l’offre » à ne donner des résultats positifs tangibles qu’après un délai de 2 à 4 ans, alors que leurs effets de court terme, sont, au contraire, souvent récessifs, voire déflationnistes. Dans le cadre d’un mandat présidentiel et d’une législature de 5 ans, le gouvernement ne pouvait se permettre d’attendre s’il voulait maximiser ses chances d’obtenir des progrès en termes de croissance et d’emploi au plus tard en 2016 et conserver une chance d’échapper au « syndrome Schröder », autrement dit à la défaite aux élections après des réformes utiles mais dont les résultats surviennent trop tard et profitent finalement au camp opposé.

Depuis ces premières mesures, et en accompagnement de l’officialisation de la politique de l’offre début 2014, d’autres étapes ont été annoncées • Concernant la réduction du coût du travail, il s’agit plus de continuité que d’une réelle accélération. Ainsi, la poursuite du rééquilibrage de la valeur ajoutée en faveur des marges a conduit le gouvernement à leur promettre, dans le cadre du « Pacte de Responsabilité » environ 20 Mds € supplémentaires de baisse d’impôts et de charges d’ici 2017 (soit un montant égal, mais pas supérieur, à celui du CICE annoncé en 2012, auquel il s’ajoute).

  • Les montants d’économies de dépense publique annoncés ont conservé, pour leur part, l’ordre de grandeur des annonces de fin 2013. Notons cependant que davantage de détails ont été fournis sur leur composition (18 Mds de coupes générales dans les ministères, 11 Mds d’économies sur les retraites dont un gel temporaire des revalorisations suivant l’inflation, ainsi que des gains d’efficience de 10 Mds à réaliser dans le système de santé et de 11 Mds dans les collectivités locales, secteur concernant lequel une réduction du nombre des régions a été votée à l’Assemblée durant l’été 2014).
  • De nouvelles décisions sont attendues, à partir de cet automne, en particulier concernant l’ouverture des professions réglementées à la concurrence et la complexité administrative qui pèse sur les entreprises (notamment les « effets de seuils » que constituent les obligations sociales liées à leur nombre de salariés). Enfin, les décisions qui seront prises en faveur de la construction (un secteur dont le ralentissement pourrait coûter, à lui seul, jusqu’à 0,6 % de PIB en 2014), intégreront probablement, au côté de mesures de court terme, un volet portant sur la simplification administrative (dont, au moins, l’assouplissement de certaines contraintes ajoutées en début de mandat).

Le diagnostic que l’on peut porter sur ces différentes mesures est, dans l’ensemble, positif, quoique très hétérogène
suivant les domaines L’opération de dévaluation interne constituée par le couple CICE/Pacte de Responsabilité constitue un effort substantiel de re-répartition de la valeur ajoutée au profit des entreprises. La réduction totale d’impôts et de charges permise par ces dispositifs est d’environ 40 Mds (dont 26,5 déjà votés), financés par une hausse de TVA et, suivant les scénarios envisageables, par des économies de dépense publique, un déficit supplémentaire voire une seconde hausse de TVA, (cette dernière hypothèse a été évoquée récemment par la presse mais réfutée par le gouvernement). Ceci représente un montant très significatif, à comparer avec un revenu disponible des entreprises françaises d’environ 200 Mds € en 2013. Parmi les grands pays de la zone euro, la France est, sur la période 2012-2014, celui où les efforts dans cette catégorie (effectifs surtout à partir de mi-2014) ont, probablement, été les plus importants.

Concernant le marché du travail, les progrès sont restés modestes et une réforme de grande ampleur est improbable dans l’immédiat. Si certaines des mesures issues de l’accord de janvier 2013 (baisses de salaires temporaires) sont encore peu exploitées, les nouvelles règles associées aux plans sociaux peuvent graduellement monter en charge. En revanche, le gouvernement n’a pas fait le choix d’avancer résolument dans la direction de la « flexi-sécurité » telle que suggérée par de nombreux rapports. Risquée politiquement (et ajoutant des effets économiques négatifs à court terme), une telle réforme nous paraît improbable, au moins d’ici les élections de 2017.

Concernant le marché des biens et des services et l’administration locale, les directions empruntées sont les bonnes, mais les chantiers sont à peine engagés. Rappelons qu’en la matière, les décisions les plus lourdes de conséquences ne sont pas forcément les plus faciles à identifier et communiquer. Ainsi, par exemple, les fusions de régions ont fait couler beaucoup d’encre et sont facilement identifiables par l’opinion publique. Néanmoins ce sont, peut-être, davantage, les efforts de regroupement des compétences des communes, et la suppression de la « clause de compétence générale », s’ils sont menés à termes, qui peuvent générer le plus d’économies et rencontreront, sans doute, les plus fortes résistances. Sur le volet des dépenses de santé ou de la réforme des professions réglementées, à coup sûr l’un des gisements importants de gains d’efficience, les chantiers sont complexes et les catégories professionnelles négativement affectées susceptibles de se livrer à un lobbying intense. Il ira très probablement de même pour la réglementation du commerce de détail, si le gouvernement décide de s’attaquer également à ce chantier, encore sous-dimensionné.

Sur le volet budgétaire, l’atteinte de cibles précises de réduction de déficit n’est peut-être pas l’essentiel mais le gouvernement doit tout de même prouver sa crédibilité. Le gouvernement a déjà annoncé qu’il ne tiendra pas son objectif de réduction du déficit à 3 % du PIB en 2015 (une négociation, aux résultats très incertains, aura lieu à ce sujet avec l’Union Européenne à l’automne). Concernant les 50 Mds d’économies à réaliser d’ici 2017, de nombreux détails manquent encore (dont une partie sera clarifiée, cependant, lors de la présentation du budget 2015 fin septembre) et les résistances seront assurément fortes. Cependant, l’essentiel, pour ménager les perspectives de croissance du pays à court comme à long terme, ne nous paraît pas être l’atteinte rapide de ces cibles précises (rappelons d’ailleurs que l’austérité a de moins en moins le vent en poupe au sein de l’Union européenne). Il est surtout essentiel que le gouvernement affirme sa capacité à maîtriser d’une façon générale le déficit et à réduire les dépenses là où des gains d’efficience peuvent être réalisés, ce qui rejoint la problématique des chantiers structurels portant sur l’administration locale, la santé, voire le logement. À ce jour, la capacité du gouvernement à dégager rapidement ces gains d’efficience est en question.

Conclusion

Les mesures prises en faveur des entreprises peuvent contribuer à une amélioration économique d’ici un à deux ans, sous certaines conditions. À plus long terme, les chantiers indispensables ont été correctement identifiés mais leur poursuite nécessitera beaucoup de courage politique.

La « traversée du désert » que connaît en ce moment l’économie française est une situation assez classique pour un pays qui n’est qu’au début d’un processus de réformes structurelles couplé à un effort d’assainissement budgétaire. Les mauvais chiffres économiques du 1er semestre ne sont donc pas révélateurs d’un échec, ou d’une insuffisance, des politiques menées depuis deux ans en faveur de l’offre. S’ajoute, dans le cas spécifique de la France, l’effet d’un ralentissement du secteur de la construction alors que les prix de l’immobilier, contrairement au cas de plusieurs pays voisins, n’ont pas véritablement consolidé après l’euphorie de la décennie précédente.

Compte tenu du calendrier annoncé des baisses de charges et d’impôts, et de l’expérience des grands pays voisins ayant récemment mis en œuvre des politiques de dévaluation interne et de répartition de la valeur ajoutée dans un sens plus favorable aux entreprises (l’Allemagne durant la décennie 2000 et l’Espagne plus récemment), un délai d’attente supplémentaire d’un à deux ans paraît raisonnable avant de commencer à percevoir des effets positifs. Nous pensons que ces effets peuvent être significatifs, même s’ils seront moindres que dans les deux pays susmentionnés, qui ont également fait d’importantes réformes du marché du travail. Nous sommes, par conséquent, prudemment optimistes sur la croissance française à partir de fin 2015, période où, dans un contexte politique préélectoral, le gouvernement pourrait mettre en œuvre également des mesures de stimulation de court terme (la construction paraît, à ce titre, un secteur tout désigné).

Un tel scénario repose néanmoins largement sur l’hypothèse que les entreprises réinvestiront, dans l’économie domestique, une partie de leurs gains de marges issus de la réduction du coût du travail.

Ceci ne sera possible que si sont réunies les conditions suivantes, nécessaires pour construire un climat de confiance :

  1. l’établissement d’une ligne politique claire (le récent remaniement ministériel est positif à cet égard, et, même si le nouveau gouvernement doit encore obtenir la confiance de l’Assemblée dans les prochains jours, les institutions politiques françaises sont solides, intégrant notamment l’Article 49-3 de la Constitution qui permet au gouvernement de forcer l’adoption d’un projet de loi par l’Assemblée, sauf motion de censure),
  2. un environnement économique mondial suffisamment porteur,
  3. un environnement monétaire et budgétaire européen de nature à enrayer la menace déflationniste.

En l’absence de ces conditions, qui ne sont pas irréalistes mais ne peuvent être garanties, les efforts consentis par le gouvernement en faveur des entreprises n’auront été qu’une subvention improductive à un capital resté excédentaire, faute d’avoir pu suffisamment se restructurer (cf. article n° 3 de Nicolas Doisy, Cross Asset de juillet).

Ajoutons enfin que les chantiers engagés en France sur l’administration locale (connexe au logement), la santé et le marché des biens et services figurent bien, de notre point de vue, parmi ceux (en plus du marché du travail) qui peuvent permettre d’améliorer durablement le potentiel de l’économie française. Cependant, compte tenu des résistances attendues, leur poursuite demandera un courage politique considérable.