Grèce : d’une solution passerelle vers une solution durable

par Paola Monperrus-Veroni et Nina Delhomme, économistes au Crédit Agricole

• A court terme l’enjeu pour les autorités grecques est d’assurer le soutien financier dont le pays a besoin pour faire face à un échéancier de remboursements serré, ce qui implique de revenir sur plusieurs promesses de campagne tout en réussissant à conserver le soutien des électeurs.

• Mais l’enjeu à plus long terme pour le peuple grec est de trouver une solution durable au problème de la dette qui ne compromette pas les perspectives de croissance future.

• Les solutions durables à même de résister à des scénarios adverses demandent une responsabilité politique et des changements institutionnels majeurs, pour lesquels il n’existe pas de soutien politique à l’heure actuelle.

Un besoin urgent de financement

Pour obtenir le déblocage des 7,2 Mds d’euros restant du programme d’aide financière actuel – qui a été prolongé de quatre mois – les autorités grecques doivent établir et avancer concrètement sur un ensemble de mesures en ligne avec les réformes structurelles convenues avec leurs partenaires européens. Ces fonds ne seront versés qu’une fois la liste finalisée et les mesures mises en œuvre ; le problème étant que le pays en a urgemment besoin, faisant face à un échéancier de remboursement serré. Ainsi les autorités grecques doivent rapidement fournir à leurs créanciers européens des preuves de leur engagement pour pouvoir espérer obtenir un versement anticipé des fonds restants.

– Etape 1 : des partenaires européens sceptiques, beaucoup d’efforts en vue

Le 9 mars dernier, le gouvernement grec a révélé les grandes lignes de la liste des réformes structurelles envisagées aux ministres des Finances de la zone euro. L’Eurogroupe a jugé cette liste incomplète pressant le gouvernement grec à revoir rapidement sa copie. Il n’en demeure pas moins que les parties en présence ont affiché une volonté et un engagement fort pour poursuivre les négociations, afin d’aboutir rapidement à la conclusion du programme d’aide financière actuel. Il a été décidé que les discussions techniques démarreraient le 11 mars, les discussions entre les autorités grecques et la Troïka se déroulant désormais à Bruxelles (et non plus à Athènes), la Troïka étant par ailleurs désormais renommée « groupe de Bruxelles » ou « les Institutions ». Parallèlement, le Premier ministre Alexis Tsipras a accepté le soutien d’une équipe technique sur place à Athènes et issue des Institutions dont le rôle sera de faire un point sur les finances publiques grecques.

– Etape 2 : à la recherche d’un nouveau partenaire, l’OCDE

Le 12 mars, Alexis Tsipras et son ministre des Finances Yanis Varoufakis ont rencontré le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, pour lui présenter leur programme de réforme. Un accord de collaboration a été signé portant sur une aide technique pour la préparation et la mise en œuvre des réformes convenues avec les partenaires européens. En décidant d’impliquer l’OCDE, la Grèce poursuit un double objectif :

• Alexis Tsipras se sert de l’expertise et de la rigueur reconnue de l’OCDE en termes de recommandations de politique économique pour démontrer à ses créanciers européens la détermination du pays à tenir ses engagements.

• Sur le plan domestique, le Premier ministre grec peut se servir de l’image «neutre » de l’organisation et peut insister – ce qui ne manquera pas de plaire à la population grecque – sur le fait qu’il a réussi à écarter la BCE et le FMI. Cela lui permettra aussi de défendre plus facilement l’accord final face au Parlement lorsque le vote aura lieu.

Le dilemme d’Alexis Tsipras

Il est difficile pour les autorités grecques de conserver le soutien de ses électeurs, compte tenu de l’important rétropédalage effectué par rapport aux promesses électorales (par exemple concernant les privatisations ou la mise en œuvre de la hausse du salaire minimum) et qui a été nécessaire pour trouver un accord avec l’Eurogroupe. Les autorités grecques peuvent actuellement s’appuyer sur le changement de terminologie et de lieu pour présenter les négociations en cours comme un succès auprès de la population grecque. La situation se compliquera sérieusement par la suite : de nouvelles concessions de Syriza seront en effet probablement nécessaires pour convaincre les partenaires européens.

Le Premier ministre grec doit mener une autre bataille : faire face aux divisions internes. Celles-ci sont apparues avec force, lorsqu’il a décidé de ne pas soumettre la prolongation de quatre mois du plan d’aide au vote du Parlement. Sa décision de soumettre la loi sur la « crise humanitaire » ( c’est- à-dire des aides financières aux plus démunis) au Parlement (le 18 mars), sans consulter ses partenaires européens, peut être interprétée comme un moyen d’éviter la fronde de certains députés de son parti. Alexis Tsipras a clairement pris un risque avant le sommet européen des 19 et 20 mars, au cours duquel ont implicitement débuté les négociations sur un compromis plus durable. Les autorités grecques ont à l’esprit qu’un nouveau programme sera nécessaire après le mois de juin.

Ouvrir la voie à un troisième programme «purement européen»

Le 6 mars dernier, Yanis Varoufakis a insisté pour que des discussions sur des « mesures de suivi », qui feraient partie d’un plan plus vaste pour la reprise et la croissance de l’économie grecque, débutent très rapidement. Cela confirmait les déclarations antérieures du ministre de l’économie espagnol, Luis de Guindos, rapportées par le Financial Times du 2 mars, selon lesquelles un troisième plan de sauvetage (dont la taille pourrait atteindre 50 Mds d’euros) serait en cours de négociation. La forme que prendrait ce plan et son montant restent très incertains à ce stade. Mais il ressort clairement des déclarations récentes que les autorités grecques ont adopté une attitude plus conciliante et que la BCE et le FMI se sont mis en retrait pour laisser les partenaires européens jouer un rôle prépondérant.

Nous pensons qu’un accord sera trouvé sur fond de tensions continues, en particulier avec les partenaires allemands. Alexis Tsipras renoncera probablement à d’autres de ses promesses électorales, mais sera certainement capable de négocier une marge de manœuvre budgétaire en échange. Abaisser la cible d’excédent primaire allègerait les contraintes budgétaires et soutiendrait l’économie, mais la question de la restructuration de la dette reste entière.

La responsabilité politique, c’est prendre en compte toute issue défavorable

Dans le flou des négociations sur une solution temporaire pour la dette grecque, il est difficile de voir ce qui se joue réellement et quelle est la véritable position du nouveau gouvernement grec. L’enjeu n’est pas seulement une solution qui ferait gagner du temps à Athènes, car la question centrale du poids de la dette devra être réglée. Jusqu’à présent, le problème a été envisagé de manière binaire : austérité coûte que coûte ou éventualité d’un défaut.

Il est désormais clair qu’une politique fondée uniquement sur une austérité stricte est contreproductive, car elle augmente le risque de défaut. Il est par ailleurs de plus en plus clair que croire en un scénario de base associant hypothèses optimistes et austérité (cf. Grèce : « étendre et prétendre » n’est pas la fin de l’histoire) est extrêmement risqué et rend l’ensemble de l’édifice vulnérable à tout choc adverse. Et il est aussi très clair que, même dans le scénario optimiste, la Grèce ne pourra pas emprunter sur les marchés pendant un certain temps, puisqu’il lui faudrait pour cela afficher un excédent primaire insoutenable. Ce besoin de financement sur les marchés doit alors être supprimé via un allongement des maturités, tout en conservant un objectif d’excédent primaire soutenable. Ce « défaut en douceur » pourrait (selon les plus optimistes) offrir à la Grèce le temps dont elle a besoin pour restaurer la soutenabilité de sa dette. Pour les plus pessimistes, en revanche, cette solution ne ferait que repousser et aggraver le problème. Même en appliquant une nouvelle décote de 50 % sur la dette souveraine grecque, les intérêts dus au titre de la période 2015-2020 ne baisseraient que de 40 milliards d’euros, ce qui contraindrait tout de même le gouvernement à avoir recours à une aide supplémentaire. Et n’oublions pas que, malgré les décisions récemment prises par la BCE, les taux d’intérêt pourraient remonter à moyen terme.

Cette solution pourrait être plus durable si l’extension des maturités de la dette publique était suffisamment importante pour que les créanciers privés acceptent un statut junior, ce qui permettrait à Athènes de retrouver un accès au marché. Il faudrait conserver la conditionnalité, mais avec une appropriation nationale, pour qu’elle soit plus efficace. La Grèce pourrait alors s’engager sur le chemin de l’ajustement budgétaire, plutôt que sur un objectif arbitraire de dette. Cette trajectoire de réduction de la dette resterait soumise à la pression des marchés et des autres pays, mais la bouffée d’oxygène que constitue l’allongement des maturités augmenterait la probabilité que le pays les honore et serait plus favorable à la croissance.

Réduction de la dette : qu’est-ce que Syriza a en tête ?

Ce que Syriza semble vouloir proposer, c’est une nouvelle manière d’aborder le problème de la dette qui a des répercussions majeures sur l’équilibre du dispositif institutionnel actuel de gouvernance de la zone euro. L’approche de Syriza n’isole pas la Grèce, mais place le problème de la soutenabilité de la dette dans une approche globale, fondée sur le principe selon lequel les politiques actuelles ne parviennent pas à traiter le problème de surendettement souverain de l’ensemble de la zone euro. Ce n’est que dans ce contexte plus général que la logique d’un allègement de la dette de la Grèce peut être acceptable.

La position de Syriza part des constats suivants :

• Toute réduction de la valeur actualisée sans décote de la valeur nominale est un allègement partiel mais pas une solution durable ;

• Un changement significatif de la valeur actualisée des dettes souveraines au détriment du secteur financier et des investisseurs institutionnels ne constitue pas une solution du fait du risque de contagion ;

• Aucun mécanisme de transfert budgétaire d’ampleur ne bénéficie actuellement d’un soutien politique au sein de l’UEM ;

• Le QE et les interventions sur le marché sont utiles pour améliorer l’effet « boule de neige », l’écart entre les taux d’intérêt versés et le taux de croissance de l’économie, mais pas pour réduire l’encours de dette de manière significative.

Syriza propose donc un changement de paradigme dans lequel la soutenabilité, qui dépend de la relation entre encours de dette et valeur actualisée des excédents primaires futurs, s’insère dans un cadre de maturités ultra-longues. Les excédents primaires doivent alors couvrir le paiement des intérêts, mais pas le renouvellement de la dette. Dans ce cas, le critère de soutenabilité ne tient plus compte de la taille de l’encours de dette, mais seulement du paiement des intérêts.

Comment bâtir ce cadre de maturités ultra- longues ? La dynamique d’accumulation de la dette est traditionnellement régie par la relation entre la variation de la dette d’une part et le solde primaire, le taux d’intérêt effectif et le taux de croissance, d’autre part. Mais l’évolution de la dette peut également découler d’ajustements des stocks et des flux ou, dans un contexte moins orthodoxe, d’une monétisation de la dette.

C’est dans ce contexte non orthodoxe permettant une monétisation de la dette que Syriza trouve une solution pour allonger les maturités au point que la condition de solvabilité est plus facile à remplir, les excédents primaires futurs étant suffisamment importants pour rembourser les intérêts et un stock de dette à courte maturité beaucoup plus faible. L’entité disposant de la puissance de feu nécessaire pour permettre une extension des maturités aussi importante (voire illimitée) et pour lancer une intervention d’une telle ampleur est l’institution monétaire, car elle n’a pas de contrainte de solvabilité.

Une proposition (trop) en amont du cadre actuel

La solution s’appuie sur une proposition formulée par des universitaires (le « plan PADRE » de Paris et Wyplosz1), selon laquelle la BCE achète une grande partie de la dette souveraine de tous les pays de l’UEM (autour de 50 %, soit environ 4 500 milliards d’euros) en fonction de leur part à son capital, et la transforme en obligations perpétuelles zéro coupon. Pour éviter une flambée de l’inflation, elle stérilise ces achats en émettant des titres sur le marché avec un taux relativement avantageux par rapport aux coûts de financement de la plupart des pays. La BCE encourt des pertes sur le long terme (la différence entre le taux de marché payé sur ses émissions et le taux zéro sur les obligations perpétuelles), perte en partie compensée par le seigneuriage.

S’appuyant sur cette proposition, John Milios, économiste2 de Syriza, propose une alternative dans laquelle la BCE achète toute la dette au-delà de 50% du PIB des États membres et la transforme en obligations zéro coupon à très long terme. Chaque pays accepte de racheter ces obligations à une date future N, lorsque leur valeur aura été réduite à 20% du PIB en fonction d’un taux d’escompte nominal contractuel (1%, soit moins que la croissance prévue).Cette sorte d’option de rachat est intéressante, car l’économie devrait croître plus vite que ce taux d’escompte, ce qui signifie que la dette achetée par la BCE devrait peu à peu se réduire. Une solutionalternative verrait la BCE acheter toute la dette venant à échéance sur la période 2016-2020 avec la même option de rachat à long terme.

Est-ce faisable ?

Cette solution n’est pas neutre du point de vue politique, car elle modifie le mandat de la BCE de manière radicale, même si la monétisation peut être en partie stérilisée.

D’un point de vue purement technique, une transition vers des maturités très longues pourrait fonctionner pour les prêts du FESF et les prêts bilatéraux (pour les pays sous programmes d’aide), mais elle pourrait être difficile à accepter au niveau de la BCE. Toute modification de la maturité des obligations détenues par la BCE serait en effet considérée comme du financement monétaire, et non comme une simple aide financière. À cet égard, le récent avis de la Cour européenne de justice sur le programme OMT est venu très clairement rappeler que l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit le financement monétaire par la BCE. Certains États membres seraient par ailleurs vent debout contre ce projet. Puisqu’elle surchargerait la BCE, en la poussant au-delà de son mandat, la proposition pourrait être considérée comme néfaste pour le projet d’UEM dans son ensemble, celui-ci reposant sur le fait que la stabilité des prix est le premier pilier de la politique monétaire.

Le MES pourrait-il alors remplacer la BCE ? Il semble difficile d’avoir de tels volumes fixés pendant une période aussi longue avec des émissions du MES. Le marché de la zone euro n’est pas assez profond. Par ailleurs, les garanties actuelles sont-elles suffisantes ? Si ce n’est pas le cas, de nouveaux appels de fonds (équivalents à une poursuite de la mutualisation) seront-ils autorisés par les parlements nationaux ?

Il faut également poser la question de la faisabilité politique d’un consensus entre les différents États membres autour d’une approche globale.

Quelles que soient les réponses à ces questions, les limites d’un processus d’avancement par petits pas sous la contrainte sont aujourd’hui atteintes. La construction européenne a besoin d’une vision stratégique globale, mais l’un des obstacles majeurs est l’absence de confiance entre États membres de l’UEM, ce qui fait intervenir des questions d’aléa moral dans toute nouvelle décision. Les propositions évoquées ci-dessus éludent purement et simplement cette question et confèrent le pouvoir décisionnel à une entité qui n’a de compte à rendre ni au Parlement européen, ni aux parlements nationaux. La question de la démocratie devra in fine être également résolue.

NOTES

  1. Paris P. et Wyplosz C. (2014), « Politically Acceptable Debt Restructuring in the Eurozone », Rapport de Genève sur l’économie mondiale, Rapport spécial n°3
  2. Lapatsiora S., Milios J. et Sotiropoulos D.P. (2014) « An outline of a Progressive Resolution to the Euro-area Sovereign Debt Overhang : How a Five-year Suspension of the Debt Burden Could Overthrow Austerity», Levy Economics Institute of Bard College, Working Paper n° 819, novembre 2014

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