Grèce : « étendre et prétendre » n’est pas la fin de l’histoire

par Paola Monperrus-Veroni et Nina Delhomme, économistes au Crédit Agricole

•  Malgré des pressions grandissantes, nous pensons qu’un accord entre la Grèce et ses créanciers publics internationaux sera atteint, et considérons le « Grexit » comme un risque extrême.

•  Un compromis devrait se trouver autour d’un allongement des maturités, de taux plus favorables, d’un assouplissement de l’austérité budgétaire et de réformes structurelles.

•  L’assouplissement budgétaire devrait, à notre avis, augmenter plutôt que compromettre les chances de succès du programme d’ajustement de la Grèce en insufflant une dynamique de relance à l’économie pour finalement améliorer la soutenabilité de la dette.

•  Notre scénario central est extrêmement vulnérable à un choc négatif sur la croissance qui présente un risque élevé pour la soutenabilité de la dette. La stratégie « étendre et prétendre » n’aurait alors un sens qu’à condition qu’elle laisse le temps de trouver une solution plus constructive.

Situation actuelle: un calendrier serré

Le nouveau gouvernement grec a entamé un cycle de négociations avec ses partenaires de l’UEM et la troïka. Le calendrier est serré sachant que le programme de sauvetage du pays expire à la fin du mois. L’annonce par la BCE de son refus de continuer à autoriser les banques grecques à utiliser les titres de la dette publique grecque comme collatéraux de son financement à partir du 11 février (date de la réunion des ministres des Finances de la zone euro) a déclenché des pressions. Il faut se souvenir que les banques grecques ont dû faire face à une hémorragie des dépôts domestiques depuis décembre, causée par un climat politique incertain. Selon des données mensuelles publiées par la Banque de Grèce, les dépôts des ménages et des entreprises non financières ont chuté de 3 Mds € en décembre 2014 (-1,3 % a/a). Les banques dépendent largement du financement de la BCE, qui est passé de 44,9 Mds € en novembre à 56 Mds € en décembre 2014 (14,1 % du total de leurs dettes). Les besoins de refinancement de cette année sont significatifs, plus particulièrement au T3 2015, période qui correspond à la maturité des obligations de la BCE (3,5 Mds € en juillet et 3,2 Mds € en août).

A quoi s’attendre ?

Comme mentionné dans notre publication précédente (Greece: political uncertainties and public debt renegotiation ahead), nous excluons le scénario d’un Grexit étant donné les enjeux tant financiers que politiques pour la Grèce comme pour les partenaires de l’UEM.

Notre scénario de base est qu’un accord finira par être trouvé sur une combinaison de mesures comprenant un allongement des maturités, une baisse des taux et un assouplissement de l’austérité budgétaire. Il est heureusement plus facile de trouver un terrain d’entente avec la troïka sur les réformes structurelles et la lutte contre l’évasion fiscale.

Quelques options de réduction du coût du service de la dette ont été proposées par des universitaires :

  • Comme cela a été fait en 2012, la Greek Loan Facility pourrait être prolongée de 10 ans jusqu’en 2051 (maturité initiale en 2026).
  • En outre, le taux d’intérêt sur la Greek Loan Facility pourrait être abaissé à nouveau (le spread initial de 400 pb a déjà été réduit en 2011 puis en 2012). Il est actuellement de 50 pb au-dessus de l’Euribor à 3 mois. Cette option pourrait entrer en conflit avec l’article 122 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) définissant les conditions qu’un prêt doit remplir pour être considéré comme une assistance financière.
  • La maturité des prêts FESF pourrait aussi être allongée (la maturité moyenne est de plus de 30 ans).

Ces solutions ont été proposées par Darvas et Hüttl1, qui ont évalué l’effet combiné de ces trois mesures à une baisse de la valeur actuelle nette de la dette grecque équivalente à 17 % du PIB de 2015.

Proposition de M. Varoufakis

Le nouveau ministre des Finances grec, Yanis Varoufakis, a adopté un ton plus conciliant après ses déclarations plutôt alarmantes de la semaine dernière. Lundi 2 février, abandonnant la suggestion d’une décote de la dette, il a exposé sa proposition :

  • Transformation des créances de la BCE et des banques centrales des pays de l’Eurosystème (sous programme SMP) en obligations perpétuelles. En tant que telle, la proposition, sorte de refinancement, semble incompatible avec l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit le financement monétaire d’une dette souveraine. Le gouvernement grec pourrait alors envisager un nouveau programme MES pour le remboursement des obligations détenues par la BCE. Pour compenser les pertes de gains sur la rétrocession des intérêts, un allongement de la maturité du nouveau prêt MES devrait être envisagé. Un prêt MES pourrait également être utilisé pour rembourser un prêt à intérêt plus élevé du FMI réduisant ainsi le service de la dette.
  • Échange des prêts FESF et prêts bilatéraux contre des obligations indexées sur le PIB. L’indexation au PIB de la Grèce du montant notionnel des prêts officiels (en fixant un niveau de référence) réduirait la sensibilité de la courbe de la dette aux chocs de croissance. Un tel outil permettrait un partage des coûts d’une croissance plus faible (plus de dettes pour les prêteurs et plus de déficit pour les emprunteurs). La responsabilité de l’échec du programme causé par des hypothèses irréalistes pourrait aussi être partagée.
  • Réduction à 1,0-1,5 % du PIB de l’excédent primaire prévu, dans le cadre d’un plan de réforme (qui sera détaillé à la fin du mois) dans lequel la lutte contre l’évasion fiscale serait une priorité.
  • Relèvement du plafond actuel d’émission de bons du Trésor de 15 Mds € à 25 Mds € afin de couvrir les besoins de financement en attendant qu’un accord soit trouvé avec la troïka.

Une solution à l’insoutenabilité de la dette ?

Quelle que soit la solution adoptée pour aménager la dette, elle ne résoudra pas le problème de la soutenabilité de la dette.

La soutenabilité est simplement un problème politique. Elle dépend du montant du service de la dette que le pays doit payer et de la taille de l’excédent primaire qu’il doit assurer pour réduire la dette à un rythme acceptable. Les conditions favorables de prêt de la Greek Loan Facility (50 pb au-dessus de l’Euribor) et des prêts FESF (100 pb au-dessus des coûts d’emprunt du FESF) ont rendu le service de la dette acceptable pour la Grèce. En termes de comptabilité selon le critère de la compétence économique, la charge d’intérêt se monte à 4,3 % du PIB en 2014 mais, si l’on prend en compte les intérêts à payer dans dix ans au FESF et les gains rétrocédés au titre des achats d’obligations dans le cadre du SMP, la charge d’intérêt effective s’élève à environ 2 % du PIB2 . Le taux d’intérêt implicite (montant des intérêts en pourcentage du total de la dette) était de 2,4% en 2014. La sécurité apportée par l’annonce du programme OMT et du QE offre la possibilité de verrouiller ces conditions à moyen terme, si la Grèce respecte ses engagements. Le rythme de réduction de la dette doit bien sûr satisfaire les créanciers, mais aussi les citoyens. Cependant, le choix d’un montant acceptable d’excédent primaire et l’allocation de celui-ci entre les dépenses et les recettes, restent des décisions politiques. Manifestement, le résultat des récentes élections en Grèce a confirmé que le rythme d’ajustement convenu avec la troïka n’est plus acceptable.

Les objectifs d’excédent primaire de 1,5 % du PIB en 2014 et de 3% en 2015 ont été fixés lors de la cinquième revue du mécanisme élargi de crédit du FMI. A partir de 2016, les prévisions du FMI se basaient sur un excédent de 4,5% du PIB jusqu’en 2017 ramené ensuite à 4,2 % jusqu’en 2020. Dans de telles conditions et avec une prévision plutôt optimiste de croissance du PIB à un taux annuel moyen de 3 % à partir de 2015, le ratio dette sur PIB aurait atteint 117,2 % en 2022. Un tel rythme d’ajustement implique une relance budgétaire positive de 1,2 point de PIB en moyenne de 2015 à 2022. Le déficit budgétaire global se stabilise autour de l’équilibre et un écart taux de croissance/taux d’intérêt favorable contribue à 20 % de l’effort de réduction de la dette. Dans ce scénario, l’écart de production négatif est complètement résorbé d’ici 2017 et la réduction de la dette est accompagnée par une politique budgétaire pro-cyclique (accommodante).

Parmi les propositions de M. Varoufakis, celle de réduire l’objectif fixé par le FMI d’excédent budgétaire primaire de 4,5 % à 1,0-1,5 % est probablement la plus intéressante et porte fortement à conséquences. En projetant un excédent primaire de 1,5 % à partir de 2015 et en partant d’une exécution budgétaire meilleure que prévue avec un excédent budgétaire de 2,7 % en 2014 (prévisions de l’automne de la Commission européenne), le ratio de dette sur PIB peut être réduit à 126 % en 2022. L’impulsion budgétaire annuelle augmenterait de 2 points de PIB sur la période 2015-2022.

Une telle solution semble raisonnable et permet à la Grèce d’adopter une politique budgétaire plus accommodante sans mettre en péril son objectif de réduction de la dette. Cette impulsion budgétaire positive pourrait augmenter les chances d’atteindre les projections trop optimistes de PIB faites initialement. Après tout, l’objectif initial de 117 % de dette était arbitraire. Le problème de l’« aléa moral » lié à l’assouplissement de la politique budgétaire ne doit pas être surestimé car le pays devra malgré tout respecter ses engagements de surplus primaire et de réduction de sa dette sous la surveillance de la troïka (ou d’une troïka « réformée »). La solution de la réduction de la dette s’accompagne cependant d’un risque de soutenabilité, tout comme la solution négociée avec le FMI en son temps. Selon nous, ce risque est toutefois atténué plutôt qu’augmenté par une politique plus favorable à la croissance.

Nous simulons l’incidence d’une croissance plus faible (-2 points) et de taux d’intérêt plus élevés (200 pb) sur les projections de dette selon la proposition de M. Varoufakis d’un surplus primaire de 1,5 % (notre scénario central). Nous envisageons un choc de taux d’intérêt sur les taux interbancaires, mais pas de choc majeur sur les primes de risque car nous restons dans le cadre d’un nouveau mémorandum, qui pourrait bénéficier du soutien des OMT et du QE. Nous envisageons un choc de croissance provenant d’une hypothèse de taux de croissance faible du PIB de 1 % en moyenne jusqu’en 2022. Dans le scénario le plus défavorable, à savoir la combinaison d’un taux de croissance faible et de taux d’intérêt élevés, la dette se maintient à des niveaux insoutenables (167% en 2022).

Cela signifie que la stratégie «étendre et prétendre » – qu’elle soit fondée sur un reprofilage de la dette ou sur une plus grande marge de manœuvre budgétaire – présente des risques. Si le scénario central se réalise, la Grèce a alors une chance. Si ce n’est pas le cas, la stratégie « étendre et prétendre » n’a de sens qu’à condition qu’elle laisse le temps de trouver une solution plus constructive.

Le choix d’options n’est pas immense : soit une décote de la dette, soit une stratégie impliquant l’ensemble de l’Eurozone qui vise un taux de croissance beaucoup plus élevé, soutenu par une politique de croissance dont le coût budgétaire est partagé (une sorte d’échange de la mauvaise dette passée contre une bonne dette future). Cette deuxième option exigerait de mutualiser la dette future et constituerait un pas manifeste vers une union fiscale. La première option, la décote, impliquerait également une mutualisation de la dette passée, mais aurait plus de chance de se terminer par une distension des liens entre les États membres de la zone euro avec une révision du principe de non- renflouement suite à la restructuration, et la surveillance commune des finances publiques finalement déléguée aux marchés sous la forme de contrats souverains qui conditionnent la restructuration de la dette à des niveaux de détresse financière convenus préalablement.

NOTES

  1. Z. Darvas et P. Hüttl : “How to reduce the Greek debt burden”, 9 janvier 2015, Bruegel blog.
  2. Le pays a déjà bénéficié d’une réduction des charges d’intérêt et d’un allongement des maturités. En effet, le taux sur le premier programme de Greek Loan Facility était réduit. Le taux initial était lié à l’Euribor à 3 mois avec un spread de 300 pb pendant les trois premières années et 400 pb par la suite : il a été ramené à un spread de 150 pb en 2011 et à 50 pb en 2012. Un allongement de la maturité de 15 ans jusqu’en 2041 (prévue initialement en 2026) a par ailleurs été décidé. Les gains réalisés par la BCE et les banques centrales nationales sur les obligations grecques qu’elles détenaient (environ 27 Mds €) sont rétrocédés à la Grèce depuis 2012. Enfin, la charge d’intérêt du FESF a été reportée de 10 ans.

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