par Marie Brière, économiste chez Crédit Agricole AM
L’amélioration des indicateurs économiques ainsi que les annonces de bénéfices favorables ont donné un regain d’optimisme aux marchés. L’aversion au risque a graduellement reflué vers des niveaux proches de ceux d’avant la crise et les actifs risqués ont connu d’excellentes performances.
Les marchés actions se redressent depuis le mois de mars 2009, les spreads de crédit (à la fois ceux des entreprises et des souverains intra-européens) se resserrent. Mais curieusement, alors que ce repositionnement des investisseurs sur les actifs risqués aurait dû entraîner une désaffection pour les actifs les plus sûrs, à savoir les obligations d’Etat, et donc une remontée des taux longs, ce mouvement n’a pas eu lieu. Cette situation, très différente des précédents épisodes de sortie de crise (1993, 2003), où les taux longs ont plutôt eu tendance à remonter, est d’autant plus surprenante dans un contexte de finances publiques durablement dégradées.
Pourquoi les taux longs restent-ils aussi bas ?
La première raison est très vraisemblablement liée à la très forte incertitude des marchés obligataires quant à l’évolution de la situation économique et aux stratégies de sortie des banques centrales. Il faut souligner que les taux longs, de part et d’autre de l’Atlantique, ont été marqués ces derniers mois par une très forte volatilité. Après avoir brusquement remonté de leurs plus bas historiques (proches de 2% début 2009) à près de 3,85% (proches de leur valeur fondamentale) en juin, les taux 10 ans américains ont à nouveau fortement diminué depuis 2 mois.
Des risques importants menacent encore la reprise et le Beige Book de la Réserve Fédérale, publié la semaine passée, n’a d’ailleurs fait que confirmer ces incertitudes. Si les signes d’amélioration sont nombreux dans les différents Etats (secteur manufacturier en légère croissance, production en hausse dans l’industrie automobile soutenue par la prime à la casse, progression du marché immobilier résidentiel liée aux subventions gouvernementales accordées aux primo-accédants), la reprise reste cependant fragile. Le marché de l’emploi, soumis à de fortes pressions baissières sur les salaires, est toujours atone, la consommation demeure faible et l’amélioration de l’activité est essentiellement due aux incitations fiscales, aux politiques monétaires très accommodantes et au cycle des stocks, en phase de redressement. Les avis sont donc encore très partagés pour déterminer quand la Réserve Fédérale sera-t-elle à même de sortir de sa politique actuelle, et quel sera l’impact de cette sortie sur les niveaux d’inflation ?
Une autre raison du maintien du bas niveau des taux longs, c’est l’abondance de liquidité sur les marchés expliquant la hausse généralisée de l’ensemble des actifs, risqués ou non. Cette abondance de liquidité incite les banques commerciales à acheter massivement de la dette publique, dans un contexte où la demande de crédit des entreprises reste faible.
On le voit, l’incertitude est donc forte sur les futurs mouvements des taux longs. Elle l’est paradoxalement moins du côté des pentes des courbes de taux. Celles-ci sont à des niveaux extrêmement élevés (250 points de base aux Etats-Unis, 225 pb en France), proches de leurs plus hauts historiques. Quelle que soit l’évolution des taux longs, et dans un contexte de sortie probable des politiques monétaires de leur politique de quantitative easing l’année prochaine (une première hausse est anticipée actuellement par les marchés au 1er trimestre 2010 pour la Fed, au 2ème trimestre pour la BCE), il y a fort à parier que les pentes pourraient s’aplatir à moyen terme, comme elles l’ont historiquement fait en anticipation de chaque cycle de resserrement monétaire, avec une avance d’environ 6 à 12 mois aux Etats-Unis.