par Rupert Welchman, Gérant de portefeuille Actions Impact chez Union Bancaire Privée (UBP)
L’industrie textile, avec sa lourde empreinte carbone, est aujourd’hui au cœur des débats. Epuisement des ressources naturelles, pollution, forte consommation d’énergie, émissions de gaz à effet de serre – la chaîne d’approvisionnement coche en effet toutes les cases ! Sans parler de la main-d’œuvre sous-payée (voire de l’exploitation des enfants), de la précarité de l’emploi, et des conditions de travail parfois dangereuses. Le secteur du ‘fast-fashion’, qui vise une consommation accrue et une baisse des prix, utilise encore trop de ressources, et il est grand temps qu’il se mette au vert.
Une des préoccupations majeures est l’impact des matières premières utilisées pour la fabrication des textiles. Le coton est certes naturel, biodégradable et recyclable, mais sa production nécessite beaucoup d’eau et de terres agricoles. Quant au polyester, la fibre synthétique la plus utilisée dans la confection, il consomme moins d’eau et génère moins de déchets que les fibres naturelles, mais il n’est pas biodégradable et, lors du lavage, il libère dans l’eau des microplastiques qui nuisent à la vie sous-marine et, au final, affectent tout l’écosystème, dont nous faisons partie.
Sur le marché des fibres écologiques, qui pèse CHF 37,3 milliards, les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à vouloir proposer des alternatives comme le chanvre, la pâte de bois, ou encore le marc de café et les algues. Des efforts sont aussi déployés dans le recyclage des matières synthétiques telles que le P.E.T. pour la fabrication des sacs et des chaussures notamment. Autre industrie émergente, la production de teintures naturelles à partir de microorganismes visant à remplacer les substances chimiques toxiques généralement utilisées pour le traitement et la coloration des fibres.
Pour que le secteur de la mode devienne circulaire, le choix de telles alternatives doit s’inscrire dès la conception, et cela suppose de garder à l’esprit l’intégralité du cycle de vie du produit, y compris son élimination. Les déchets textiles aux prémices de la fabrication peuvent être nettement réduits simplement en optimisant les processus de design et de coupe (jusqu’à 15% du tissu utilisé pour la production est jeté uniquement à ce stade).
Toutefois, aussi importante soit-elle, la refonte des méthodes de production doit également s’accompagner d’un profond changement de mentalité du consommateur. Selon Euromonitor International, ces quinze dernières années, le taux d’utilisation des vêtements a baissé de 36% (à 10 utilisations par article). En étant prêts à dépenser plus pour chaque article, en privilégiant la qualité à la quantité, et en profitant de nos vêtements plus longtemps, nous pouvons, en tant que consommateurs, avoir un impact considérable. Il existe en outre une tendance à s’orienter davantage vers le marché de l’occasion et la location, surtout parmi les jeunes. Nul doute qu’une consommation réfléchie a de réels avantages sur le plan culturel, financier et écologique.
En ce qui concerne la fin de vie des vêtements, l’industrie a besoin d’une meilleure coordination et de centres de tri et de recyclage à grande échelle. Seul 1% environ des tissus sont recyclés, et 20,5 milliards d’articles vont à la déchetterie chaque année. Des méthodes de recyclage mécaniques et chimiques se développent certes, mais il faudrait davantage d’investissements pour qu’elles puissent se généraliser.
Selon les estimations, l’amélioration des différentes phases de la chaîne de valeur pourrait faire économiser CHF 174 milliards environ par an, tout en optimisant la consommation d’énergie et d’eau ainsi que les pratiques de travail.
Vu l’importance de l’innovation technologique pour le succès de ces transformations majeures, la mission du secteur financier prend ici tout son sens. C’est grâce à l’investissement que des initiatives sporadiques deviennent des vecteurs du changement structurel. Ainsi, les investisseurs ont un rôle clé à jouer en guidant les capitaux vers des entreprises d’impact novatrices en quête de solutions, et aussi en s’engageant directement auprès d’elles pour favoriser la coopération tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
C’est grâce aux investisseurs d’impact et aux consommateurs responsables – sans oublier la collaboration entre les différentes parties prenantes (entreprises, législateurs, organisations à but non lucratif, etc.) – que le secteur de la mode aura la capacité de revêtir pleinement son potentiel : devenir une industrie au service de la société et respectueuse de la nature.