Irlande, la dette en héritage

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

    Le coût total du sauvetage des banques irlandaises pourrait, dans le pire des cas, atteindre 50 milliards d’euros.

  • Une partie est financée, l’autre donne lieu à des engagements (promissory notes) que l’Etat irlandais devra assumer dans les années à venir.
  • Les transferts de l’Etat en faveur des banques, s’ils devaient être inscrits sur le seul exercice 2010, feraient grimper le déficit et la dette à respectivement 32% et 99% du PIB.
  • La question de la soutenabilité des finances publiques est donc posée par les investisseurs et les agences de notation, qui ont récemment dégradé la note souveraine de l’Irlande.

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

    Le coût total du sauvetage des banques irlandaises pourrait, dans le pire des cas, atteindre 50 milliards d’euros.

  • Une partie est financée, l’autre donne lieu à des engagements (promissory notes) que l’Etat irlandais devra assumer dans les années à venir.
  • Les transferts de l’Etat en faveur des banques, s’ils devaient être inscrits sur le seul exercice 2010, feraient grimper le déficit et la dette à respectivement 32% et 99% du PIB.
  • La question de la soutenabilité des finances publiques est donc posée par les investisseurs et les agences de notation, qui ont récemment dégradé la note souveraine de l’Irlande.
  • La situation n’est, toutefois, pas aussi compromise que ce que les chiffres suggèrent. Le coût du soutien aux banques doit s’étaler sur au moins dix ans. En outre, l’éventualité d’une crise de liquidité est écartée à court terme.

 

L’Irlande a connu, entre la fin des années 1990 et 2007, une période de croissance exceptionnelle, qui lui a valu le surnom de «tigre celtique». Sur la période 1997-2007, son PIB a augmenté en moyenne de 7% par an. La croissance de l’économie irlandaise a été, sur cette période, largement supérieure à celles de la moyenne des pays de la zone euro ou de l’OCDE.

Cette vigoureuse expansion, fruit d’un rattrapage économique et d’une forte ouverture commerciale et financière, s’est nourrie d’un endettement privé élevé, dont l’Etat récupère aujourd’hui partiellement la charge. L’Irlande est considérée en 2010 comme le pays le plus en difficulté de la zone euro après la Grèce.

Le «tigre celtique» à la peine

Au cours des années précédant la crise, l’économie irlandaise a accumulé un certain nombre de déséquilibres macroéconomiques qui ont été, pour la plupart, masqués par la forte croissance du pays.

– De l’endettement privé…

La croissance irlandaise a été largement tirée par la très forte expansion du marché immobilier et la vigueur de la demande intérieure, toutes deux financées par un accès facile et peu discriminé au crédit. L’appartenance à la zone euro a non seulement permis à l’économie d’attirer des capitaux mais aussi de se financer avec des taux d’intérêt réels très faibles, voire négatifs. Le recours au levier a donc été encouragé, notamment dans le développement des activités immobilières. Durant la phase de boom, l’endettement des agents privés a explosé parallèlement au prix des actifs immobiliers. Le ratio d’endettement des agents privés (SNF et ménages) a ainsi plus que doublé entre 2001 et 2008, passant de 94,8% à 195,8% du PIB. Dans le même temps, le prix de la pierre gagnait près de 80%.

Les banques irlandaises ont été au cœur de la mécanique d’emballement, dans laquelle le crédit nourrit la hausse du prix des actifs, amplifiant l’effet de richesse et incitant les agents privés à s’endetter davantage. Le gonflement du bilan des institutions financières a conféré aux principales d’entre-elles un statut de « too big to fail ». 

 – … à l’endettement public

Les financements bancaires internationaux dont dépendait beaucoup l’Irlande ont commencé à se tarir avec la crise des subprimes. L’Irlande est ainsi entrée en récession dès le premier trimestre 2008, avant la plupart des pays européens. Ses marchés de biens et de services, du travail et de l’immobilier ont connu de très fortes corrections. Entre le quatrième trimestre 2008 et le premier trimestre 2010 le PIB, a perdu 13% en termes réels, la consommation privée 15%, et l’investissement a chuté de 52%. Le secteur de l’immobilier a également connu un ajustement particulièrement sévère. Depuis le haut de cycle, les prix ont reculé de près de 55%. Le marché du travail s’est fortement détérioré suite à l’effondrement de l’activité. Le taux de chômage, qui jusqu’à mi-2008 ne dépassait pas 5%, s’élevait à 13,6% au deuxième trimestre 2010.

Le secteur bancaire a dû faire appel au soutien de l’Etat en décembre 2008 pour préserver sa solvabilité. Le retournement de la conjoncture a, par ailleurs, eu un impact majeur sur les finances publiques du fait des stabilisateurs automatiques1, mettant à jour le caractère cyclique des excédents passés. Le gouvernement a affiché un déficit public de 14,3% en 2009 après 7,3% en 2008, alors qu’il avait dégagé un excédent budgétaire moyen de 1,7% du PIB entre 1997 et 2007.

La demande et l’endettement publics se sont donc substitués depuis 2008 à la demande et à l’endettement privés.

Le transfert d’une partie du fardeau de la dette privée au secteur public s’est opéré principalement via deux canaux :

D’une part, la constitution d’une structure publique de défaisance, la NAMA (National Asset Management Agency). L’Agence a pour fonction de reprendre aux banques leurs actifs douteux. Ces actifs sont achetés, avec une décote d’environ 50%, via l’émission de titres de Trésor ce qui constitue un risque pour la dette publique. En effet, si la valeur à terme du portefeuille d’actifs ne permet pas à la NAMA de rembourser ses obligations, alors la dette publique augmentera de la différence. Les engagements de la NAMA constituent donc une dette contingente pour le gouvernement.

D’autre part, par l’engagement du gouvernement à recapitaliser les banques qui ne peuvent couvrir leurs pertes et à maintenir ainsi leurs ratios de solvabilité. Ces injections de capital prennent pour l’essentiel la forme de « promissory notes ». Elles sont incluses dans le déficit budgétaire après la décision d’Eurostat de considérer la recapitalisation comme une dépense publique. Les « promissory notes » recouvrent un engagement sur dix à quinze ans et s’assimilent à ce titre à de la dette. Leur enveloppe vient d’être évaluée à 31 milliards d’euros, soit 20% du PIB de 2010. Ajouté aux 12% de déficit prévu cette année, le déficit total de l’Etat irlandais s’afficherait alors à 32% du PIB en 2010. La dette atteindrait 99% du PIB, alors qu’elle était de 25% du PIB en 2007.

Ces chiffres impressionnants sont, néanmoins, obtenus en imputant sur la seule année 2010 l’intégralité d’un engagement pluriannuel. Il ne reflète donc pas la réalité des besoins d’emprunts du moment (nous y reviendrons).

Soutenabilité de la dette

La « soutenabilité » des finances publiques irlandaises est remise en question par les investisseurs et les agences de notation internationales. Moody’s a exprimé ses inquiétudes sur le sujet en plaçant l’Irlande sous surveillance négative. Fitch a dégradé la note souveraine de AA- à A+ assorti également d’une perspective négative. La structure de détention de la dette publique irlandaise est un facteur de risque. Environ 80% de la dette publique est détenu par des non-résidents, ce qui implique des mouvements de vente plus prononcés en cas de stress que lorsque la dette est majoritairement détenue par des résidents. Dans les lignes qui suivent, nous analysons les trajectoires possibles des finances publiques irlandaises. Celles-ci dépendent de trois facteurs : le niveau du stock de dette à assumer au départ, l’écart entre la croissance nominale du PIB et le taux d’intérêt apparent servi sur la dette souveraine et le déficit primaire (i.e. hors charge d’intérêt). Ces trois facteurs sont liés par l’équation suivante, qui détermine la condition de stabilisation du ratio d’endettement :

où d est le stock de dette rapporté au PIB, i le taux d’intérêt apparent sur la dette, g le taux de croissance nominale du PIB et sp le solde primaire rapporté au PIB.

Un écart positif entre le taux d’intérêt et le taux de croissance nominale indique une dynamique de la charge d’intérêt supérieure à celle du PIB, qui tend à faire augmenter le ratio d’endettement. La stabilisation requiert un surplus primaire au moins égal à d*[(i-g)/(1+g)]. Plus i s’écarte de g, plus ce solde primaire requis est élevé. Or dans le cas de l’Irlande, qui connaît une baisse de son PIB nominal en 2010 (g est négatif), l’effort à fournir est particulièrement important. Du retour de la croissance dépendra donc largement la capacité du pays à assumer sa dette.

Or l’ajustement des déséquilibres, bien que très rapide, n’est pas terminé. Les agents privés sont encore en phase de désendettement et la chute des prix de l’immobilier, bien que ralentie, devrait se poursuivre. La demande privée reste contrainte, tandis que les mesures de rigueur devraient réduire la demande publique.

Cela étant, le pays possède des atouts. La flexibilité de son offre pourrait lui permettre de passer d’un modèle de croissance tirée par la demande intérieure à un modèle de croissance tirée par la demande extérieure. (Les chiffres montrent) que le commerce extérieur a fourni l'essentiel du soutien à l'activité récemment (il a freiné sa baisse), cette contribution positive provenant davantage d’une accélération des exportations que d’une contraction des importations. La baisse des coûts salariaux unitaires améliore la compétitivité des entreprises, qui peuvent aussi jouer de la flexibilité du marché du travail et de la qualification de leur main-d’œuvre pour se repositionner sur des secteurs en croissance. Enfin, la préservation possible d’un régime fiscal attractif et l’existence d’un environnement mondial plus favorable peuvent donner lieu à un retour des investissements directs étrangers.

L'hypothèse de retour rapide à des taux de croissance positifs est finalement retenue dans le tableau 1, qui propose un scénario d'évolution du ratio d'endettement sur quatre ans. Le coût du sauvetage des banques est inscrit sur l’exercice 2010, ce qui fait démarrer la projection avec un ratio d’endettement proche de 100% du PIB. Les hypothèses de réduction du déficit retenues sont celles du FMI. Malgré l’effort consenti, le ratio d’endettement poursuit sa hausse, au moins jusqu’en 2013. La dérive des finances publiques dans les prochaines années apparaît difficile à enrayer.

Les chiffres et les faits

Dans les projections du tableau 1, le coût de la recapitalisation des banques est incorporé dans le déficit et la dette de 2010. En réalité, le renflouement des banques s’effectuera sur une période de 10 à 15 ans. Les besoins d’emprunts effectifs de l’Etat irlandais ne sont donc pas ceux qui découlent du scénario précité. Pour 2010, ces derniers sont déjà financés2. C’est ce qui explique pourquoi le gouvernement annonce ne pas avoir besoin de recourir aux marchés jusqu’en 2011. D’après la NTMA (National Treasury Management Agency), l’Irlande ne retournera sur les marchés qu’en janvier 2011 pour financer son déficit mensuel et rembourser des bons du Trésor. Contrairement à la Grèce, qui en mai 2010, avait de gros besoins de financement à satisfaire sur les marchés, l’Irlande n’a pas de tombée de dette obligataire avant novembre 2011.

Nous proposons (…) d’établir de nouvelles hypothèses d’évolution des finances publiques plus fidèles à la réalité : un déficit primaire de 9% du PIB en 2010 mais une charge financière de 3 milliards d’euros à ajouter à la dette publique chaque année pendant dix ans. Le déficit primaire est alors creusé d‘autant, soit de l’ordre de un point et demi de PIB chaque année, tandis que la charge d’intérêts résultant de la dette effective (et non pas comptable) de départ est réduite. Au final, la dérive reste également difficile à enrayer sur une période courte (4 ans), et le ratio d’endettement se rapproche des 100% du PIB à l’horizon 2013.

Conclusion

L’Irlande est un petit pays de 4,2 millions d’habitants. Le mur de sa dette, alimentée par le coût du soutien aux banques, apparaît bien haut en regard d’un PIB de 160 milliards d’euros. Mais il n’est pas infranchissable, avec du temps et à condition que l’île retrouve la vitalité qui fit sa force.

Le coût de recapitalisation du secteur bancaire étant mieux calibré, les spreads sur le marché obligataire se sont stabilisés. La facture finale pourrait même s’avérer moins lourde que prévu. La NAMA devrait ainsi avoir acheté 81 milliards d’euros de prêts d’ici à février 2011 avec une décote moyenne de plus de 55%. Les engagements de la NAMA constituent une dette contingente pour le gouvernement irlandais. Néanmoins, si le portefeuille d’actifs racheté par l’agence, et qui comprend également des actifs de qualité, est valorisé à terme à un prix supérieur à sa valeur d’achat, les bénéfices de l’opération pourraient réduire le coût fiscal du sauvetage des banques. De plus, ces actifs (principalement des prêts immobiliers) génèrent des flux de remboursement qui viennent aussi diminuer le stock de dette.

L’Irlande est accompagnée dans ses efforts de stabilisation. Même si l’éventualité d’un recours au Fonds de stabilisation européen est exclue, la Banque centrale européenne, à travers ses interventions sur le marché secondaire, apporte de la liquidité au marché et permet de réduire le coût du refinancement pour l’Etat.

Enfin, l’hypothèse de la restructuration n’est guère envisageable, pas seulement du fait des risques de contagion ou des implications en termes de réputation et d’accès aux marchés. L’expérience montre, en effet, que les restructurations de dettes souveraines sont efficaces dans les pays qui connaissent un déficit budgétaire important provenant non pas d’un déficit primaire structurel élevé (comme c’est le cas de l’Irlande) mais d’une charge d’intérêt insoutenable. En d’autres termes, même dans le cas d’une restructuration (y compris en supposant un haircut maximum de 50%), l’effort structurel à réaliser pour réduire le déficit budgétaire primaire reste conséquent. En outre, et il s’agit peut-être de la meilleure garantie, l’engagement politique sur l’euro de la part des autres pays membres apparaît suffisamment ferme pour exclure une telle éventualité.
NOTES

  1. Baisse des recettes fiscales, augmentation des transferts sociaux.
  2. Si l’on exclut le coût du sauvetage des banques, le gouvernement est en bonne voie pour atteindre son objectif et ramener le déficit public à 12% du PIB cette année après 14,6% en 2009

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