par Paola Monperrus-Veroni, économiste au Crédit Agricole
• Les élections législatives italiennes s’annoncent comme un stress-test non seulement pour le pays, mais pour la zone euro dans son ensemble
• Les enjeux vont au-delà des frontières car la matérialisation d’un scénario risque avec un gouvernement faible et un processus long de mise en place des réformes engendrait un coup net d’arrêt au sentiment positif qui prévaut sur les marchés, avec non seulement un retour du stress sur le souverain italien mais aussi un possible effet de contagion aux autres pays de la périphérie.
• Notre scénario central table sur une victoire de la coalition de Centre Gauche dans les deux chambres, mais avec une faible avancée au Sénat.
• Les programmes du Centre et de la Gauche présentent plusieurs points communs notamment en thème de compétitivité et rentabilité des entreprises, de relance de la consommation des ménages et de gestion de la contrainte des finances publiques.
• Le terrain pour une entente postélectorale existe et est évalué positivement par les investisseurs.
Un enjeu au-delà des frontières
La confiance retrouvée dans la zone euro et l’écartement du risque d’implosion, grâce à la protection du bouclier OMT de la Banque Européenne, ne peuvent pas être dissociés du rôle joué par les autorités italiennes dans la détente des tensions. Sans l’action préalable du gouvernement Monti, redressant la barre des finances publiques en donnant des gages crédibilité, l’initiative de la BCE aurait été difficile, voire impossible. Et depuis, le retour de la confiance des investisseurs vers l’Italie a été massif et le pays a été primé par les marchés pour son attachement à la discipline budgétaire avec pour conséquence la surpondération du souverain italien par rapport aux autres périphériques dans les portefeuilles. La prime de risque qui était monté au-delà de ce qui était justifié par le risque supposé de solvabilité du pays, garantit encore à ce jour une rémunération attrayante pour les investisseurs.
La démission du gouvernement Monti n’a pas fait ciller les marchés. Les conditions de marché sont désormais plus favorables du fait de la protection offerte par la BCE, mais aussi d’un calendrier d’émissions dense, mais inférieur de 20% à celui de 2011, d’une détention domestique plus élevée de titres de la dette publique, des avancées dans la recapitalisation du système bancaire.
Les investisseurs semblent acheter le scénario, selon nous aussi le plus probable, d'une victoire du Centre-gauche favorable à une politique pro-européenne, en ligne avec l'Agenda Monti avec cependant une orientation plus redistributive. Un gouvernement politique, fondé sur un large consensus populaire (préféré par 55% des électeurs selon un récent sondage) paraît plus stable qu’un gouvernement technocrate reposant sur une majorité trop hétérogène.
Mais le diable est dans les détails, notamment en raison d’un système électoral proportionnel (introduit par la Droite (PdL et Ligue du Nord) avec prime de majorité sur base nationale à l’Assemblée nationale et sur base régionale au Sénat (permettant d’atteindre 55% des voix). Ce système est particulièrement favorable à la droite dans les grandes régions du Nord et la matérialisation d’un scénario risque impliquant une majorité différente dans les deux chambres, aurait des effets néfastes pour la gouvernabilité. Bien que la probabilité de réalisation de ce scénario soit modérée, ses conséquences ne seraient pas négligeables.
Les deux configurations les plus propices à la réalisation de ce scénario, que ce soit la majorité de la Droite au Sénat ou plus simplement une majorité trop étriquée du Centre-gauche à la Chambre haute impliqueraient un gouvernement faible et un processus long de mise en place des réformes. Le corollaire serait un coup net d’arrêt au sentiment positif qui prévaut sur les marchés avec non seulement un retour du stress sur le souverain italien mais aussi un possible effet de contagion aux pays de la périphérie, entraînant l’activation du programme de rachats de titres publics (OMT) par l’Italie et l’Espagne.
Un résultat politique incertain
Et ce scénario a gagné en probabilité ces dernières semaines avec le resserrement récent de l'écart des intentions de vote entre la Gauche et la Droite, fruit d'une campagne très musclée de la Droite assortie de promesses électoralistes. La récente vague de scandales financiers (MPS, Finmeccanica, Région Lombardie, Saipem-Eni) a aussi favorisé une remontée du parti antisystème (M5S) en perte de vitesse, avec pour résultat un plus grand fractionnement de l’électorat et une fragilisation des majorités.
Ce plus faible écart entre les deux principales forces ne mettrait pas en danger la majorité de la coalition de Centre-Gauche à la Chambre basse (52,8%, soit la majorité absolue, même sans prime de majorité). Mais au Senat le risque d’une victoire de la droite existe.
Notre scénario central table sur une victoire de la coalition postélectorale de Centre Gauche dans les deux chambres, mais avec une faible avancée au Sénat.
Les défis à relever
Nombreux sont les points de faiblesse de l’économie italienne, mais quatre points nous paraissent à ce jour particulièrement pertinents pour déterminer l’évolution de la croissance italienne dans les années à venir : la compétitivité et la rentabilité des entreprises, la capacité à créer des emplois, la relance de la consommation des ménages et la réduction de la pauvreté croissante le tout sous contrainte de gestion serrée des finances publiques. Nous scrutons les programmes à la recherche des réponses qui pourraient s’attaquer à ces problèmes.
La reconquête de la compétitivité a fait l’objet de mesures fiscales hétérogènes dans le passé. Les entreprises italiennes présentent encore des caractéristiques structurelles, notamment leur taille, qui les pénalisent dans leur quête d’une production à plus haute valeur ajoutée. 95% des entreprises italiennes sont des micro, petites et moyennes entreprises (PME) et seules 3 372 entreprises salarient plus de 250 travailleurs. Si cette petite taille était synonyme dans le passé de flexibilité et de capacité d’adaptation, elle est aussi un frein au financement aux investissements de recherche et développement (R&D), nécessaires à la montée en gamme. Dans le passé le gouvernement de Centre-gauche s’était attaqué à ce problème de sous-capitalisation en introduisant un système dual d’imposition (Dual Income Tax, DIT) qui permettait de réduire le prélèvement lorsque le capital de l’entreprise augmente. L’objectif était à la fois de réduire le biais de la fiscalité en faveur de l’endettement au détriment de l’autofinancement et de favoriser la capitalisation des entreprises tout en réduisant le taux d’imposition effectif. Le gouvernement Berlusconi avait opté pour une suppression de la DIT et pour une baisse généralisée du taux légal de l’IS renonçant à la logique de réorienter le mode de financement de l’entreprise. Le gouvernement Monti a introduit une incitation fiscale au renforcement de la structure patrimoniale des entreprises. C’est sur ce front que les deux programmes du Centre et de la Gauche se rapprochent dans leur volonté de renforcer ce dispositif.
Les deux programmes convergent aussi sur la volonté de réduire le taux de l’impôt régional sur les activités productives (IRAP), introduit par le premier gouvernement de centre-gauche, dont l’assiette est la valeur ajoutée. Cet impôt s’est prêté facilement à l’objectif de réduction du coût du travail via l’exclusion des rémunérations salariales de son assiette. Couplée d’une réduction des cotisations patronales, cette mesure a permis une baisse de du coût du travail pour l’employeur. La Droite prône la suppression (très difficile, du fait de l’importance de la recette) de cet impôt sans pour autant fournir un détail du financement de cette proposition.
C’est sur le marché du travail que les programmes du Centre et de la Gauche diffèrent le plus. Le centre propose de remédier au dualisme du marché du travail entre les travailleurs en CDI avec une forte représentation syndicale et les plus précaires, ce en introduisant le principe de la flexisécurité sans pour autant fournir plus de détail. Il propose aussi d’aller plus loin dans la décentralisation des négociations par des accords de productivité au niveau de l’entreprise en fonction de la situation de rentabilité. La Gauche propose pour sa part le renchérissement des cotisations sur les contrats précaires ainsi qu’une baisse pour les CDI afin de réduire l’incitation à l’utilisation des premiers.
Tout en étant plus précis sur la nature des réformes à mettre en œuvre, le programme de la Gauche en termes de fiscalité converge avec celui du Centre. Les deux partis soutiennent une réduction de la fiscalité sur les personnes en faveur des ménages les plus pauvres à financer par une fiscalité accrue sur les grands patrimoines. Ils s’accordent aussi sur une réforme marginale de l’impôt foncier, nouvellement introduite et fortement contestée et sur une lutte contre l’évasion fiscale par le renforcement des contrôles croisés dans les déclarations et en se basant sur des études sectorielles pour fixer un niveau standard de revenu à déclarer par les travailleurs indépendants. Sur ce terrain les divergences avec le programme de la Droite sont les plus fortes. Le parti de Berlusconi propose en effet la totale suppression de cet impôt à financer par des amnisties fiscales qui permettraient de dévoiler une base imposable à ce jour cachée. Cette ancienne recette largement pratiquée par les gouvernements Berlusconi successifs s’est révélée contreproductive l’absence d’une menace crédible de sanction ayant laissé croire à un futur laxisme fiscal et engendré une chute des recettes.
Aucun des programmes ne présente le détail nécessaire pour permettre un chiffrage des propositions. Néanmoins les programmes du Centre et de la Gauche s’inscrivent dans le maintien d’une politique de rigueur, plus axée sur une baisse des dépenses pour le Centre (poursuite de la politique de spending review) et des hausses de recettes pour la Gauche. La proposition de la Droite de suppression et restitution de l’impôt foncier ainsi que de l’IRAP engendraient en revanche un trou de plus de 40 milliards d’euros. Avec la Droite au pouvoir, l’allègement du poids de la dette viendrait principalement des 400 milliards d’euros de recettes de privatisations à mettre en place au cours des cinq prochaines années. Ce montant va bien au-delà du programme de valorisation du patrimoine public du Trésor italien. Ce défaut de bouclage budgétaire et cet éloignement des règles de la nouvelle surveillance européenne impliqueraient un rapport de force musclé entre les marchés et un éventuel gouvernement de droite avec une montée des tensions débouchant sur un abandon de souveraineté (nécessaire appel à l’aide européenne) et de nouvelles élections.