par Paola Monperrus-Veroni, économiste au Crédit Agricole
• M. Renzi espérait des élections partielles régionales et municipales du 31 mai un succès pour endiguer l’opposition interne à son parti et asseoir sa capacité à avancer rapidement sur les réformes structurelles. Il a été déçu par les résultats des urnes qui ramènent son parti à sa position de 2013 et qui témoignent d’une avancée des partis anti-système et anti-euro.
• Ces résultats livrent aussi un panorama politique en pleine révolution, avec l’effondrement de la droite berlusconienne en faveur de la Ligue du Nord et une remontée du mouvement contestataire de Beppe Grillo.
• Ce nouveau contexte présente des risques, car l’application de la nouvelle loi électorale avec un scrutin à deux tours offre l’opportunité aux partis extrêmes de se retrouver au deuxième tour en cas d’effondrement de l’un des deux grands partis. Le gouvernement Renzi pourra moins facilement s’affranchir du soutien de son aile gauche pour poursuivre son processus de réforme.
Le renouvellement des mandats dans 7 régions et 514 communes le 31 mai a livré un résultat en première lecture globalement favorable au Partito Democratico (PD) de M. Renzi. Le PD ressort des urnes comme premier parti avec 23,7% des voix exprimées, suivi par le Mouvement 5 étoiles de M. Grillo (18%), par la Ligue du Nord de M. Salvini (12,5%), et par le parti de M. Berlusconi Forza Italia (10,7%). Ce dernier apparaît comme le vrai perdant. Le Parti démocrate gagne 5 des 7 régions, la Toscane, les Marches, l’Ombrie, les Pouilles et la Campanie, cette dernière étant l’ancien fief de la droite berlusconienne, mais perd la Ligurie, région traditionnellement à gauche où il s’est présenté divisé avec un candidat dissident.
Une douche froide pour Renzi
Ce résultat mérite cependant une deuxième lecture, qui n’est pas celle d’une victoire si nette car M. Renzi en ressort pris en étau entre trois forces qui affaiblissent sa position :
- La première est la faible participation au vote (53,9% contre 64,1%, soit 10 points en deçà des élections régionales de 2010). M. Renzi n’aurait donc pas réussi à ramener vers les urnes les électeurs découragés pour les faire adhérer à son projet de « renaissance nationale ».
- Son action s’est par ailleurs montrée incapable de positionner le PD comme force d’attraction à la fois à sa droite et à sa gauche, avec la montée des forces anti- système et anti-euro aux deux extrêmes.
- Troisièmement, les divisions internes se sont soldées par la perte de la Ligurie, bastion historique du PD, obligeant l’aile renzienne du parti à prendre conscience de la menace en provenance de son aile gauche.
Le résultat est très éloigné des intentions de vote signalées au niveau national par les sondages au cours des derniers mois, qui, après le bon score des élections européennes plaçaient le parti de Renzi autour de 35-37% entre le mois d’avril et de mai. C’est plutôt une douche froide qui ramène le PD au faible résultat de son ancien secrétaire Bersani en 2013, à qui le président de la République avait nié la possibilité de former un gouvernement, appelant un gouvernement plus technique et de coalition autour de M. Letta. Ce résultat vient ébranler la légitimité de Renzi au sein du PD, et son leadership construit autour de sa capacité à rompre avec l’ancien parti en sollicitant des forces et des adhésions nouvelles. Renzi, espérant voir confirmées des intentions autour de 40%, attendait de ces élections une sorte de sauf-conduit pour accélérer le pas des réformes et dépasser l’opposition de plus en plus forte en provenance de son aile gauche. Ce résultat a aussi montré la faiblesse de l’implantation locale de M. Renzi, qui, s’il a réussi à faire émerger une nouvelle classe dirigeante au niveau national, ne dispose pas d’un réseau local suffisamment ancré. Cela l’a obligé à s’allier avec des élus locaux appartenant à l’ancien système, ce qui lui a sûrement coûté l’éloignement de certains électeurs en désir de renouveau. Ce manque de candidats renziens bien ancrés dans les territoires le met aussi en position de devoir accepter des compromis, afin de maintenir une présence locale (ceci a été le cas en Campanie, où le PD a présenté un candidat controversé et potentiellement inéligible). Géographiquement, le PD accroît son implantation dans le Centre-Sud, mais ne garde que 4 des 8 régions septentrionales. Le discours réformiste social-démocrate, qui aurait plus facilement dû trouver un écho dans le Nord industriel, s’est révélé électoralement inefficace et n'assure pas une adhésion massive des électeurs du Sud, limitant ainsi la capacité de progression du courant renzien.
Quelle nouvelle droite ?
L’effondrement du parti de M. Berlusconi, Forza Italia (FI) était prévu depuis un certain temps dans les sondages, et les divisions internes promettaient sa fragilisation dans les urnes (notamment dans les Pouilles avec un candidat dissident). La droite maintient sa présence dans 4 régions, en reprenant la Vénétie (où la Ligue du Nord (LN) se présentait divisée) et en gagnant la Ligurie, ce qui compense la perte de la Campanie. Cependant elle se maintient grâce à l’union entre FI et la LN, cette dernière confirmant sa position de première force à droite et troisième force nationale. L’effondrement de la droite berlusconienne laisse assez libre le terrain à la gauche dans le Sud, car la Ligue du Nord n’est toujours pas une force nationale, capable de gagner les voix méridionales, du fait de son discours sécessionniste. La victoire relative de la LN rend plus difficile la recomposition de la droite, car l’intégration d’éléments centristes du Parti de centre-droit (Nuovo Centro Destra, NCD, qui aujourd’hui soutiennent le gouvernement Renzi) paraît incompatible avec une alliance avec la LN. On peut supposer que la poussée de la LN ait été renforcée par l’actualité préélectorale, dominée par l’émergence des débarquements d’immigrés et de réfugiés qui a secoué une opinion italienne critique vis-à-vis de la réponse européenne. Mais le réservoir de votes modérés à droite est toujours présent et reste en attente d’un nouveau leadership.
Quel rempart contre l’anti-système ?
Le Mouvement 5 étoiles (M5S) ressort comme le deuxième parti. Il est deuxième dans 4 des 7 régions et avance sur les terres traditionnelles de la gauche (dans 3 régions où il est la deuxième force). Il a certes vogué sur le mécontentement des retraités après la décision du gouvernement Renzi de restituer seulement une petite partie de la revalorisation des pensions, dont le gel pendant la période 2012-2013 a été jugé inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle. Mais au-delà de ce facteur conjoncturel, le vote contestataire, qui s’était affaibli au moment du scrutin européen, et qui a perdu sa place de premier obtenue aux législatives de 2013, ne montre pas de signes d’essoufflement et continue de mettre la pression sur l’action réformatrice de Renzi. Il oblige aussi Renzi à poursuivre la rupture avec les anciennes postures de la politique y compris à l’intérieur de son parti.
Eviter le ballotage à tout prix
La tâche à accomplir pour M. Renzi est rude : il lui faut accélérer son action réformatrice (les réformes de l’administration, de l’école, de la concurrence et des retraites sont en chantier pour les prochains mois) pour se proposer en tant que pôle d’attraction à sa droite, à sa gauche et auprès des abstentionnistes. Cette capacité d'attraction est la condition nécessaire pour s'assurer 40% des voix aux prochaines élections législatives (prévues en 2018). Dans le cadre de la nouvelle loi électorale, ce seuil lui permettrait d’empocher la prime de majorité lui assurant 54% des sièges.
Un résultat inférieur le mettrait en danger de retrouver au deuxième tour l’un des deux partis anti-système et anti-euro (M5S et LN) avec un risque d’alliance sur une position anti-européenne. La meilleure gouvernabilité apportée par la réforme du système électoral n'écarte pour autant pas totalement certains risques contre lesquels l’unité au sein du parti de Renzi est un facteur clé. L’accélération du processus de réforme obtenue dans le passé récent en forçant la main à l’aile gauche du parti s’annonce aujourd’hui plus difficile, faute d’un soutien de l’opinion qui ne s’est pas exprimé autant que souhaité dans ce dernier exercice électoral.