Italie : le cochon est (toujours) dans le maïs !

par Cédric Thellier, économiste chez Natixis

Trois semaines après des élections législatives toujours régies par une loi électorale qualifiée de « cochonnerie » par son propre auteur R. Calderoli et datant de 2005, l’incertitude demeure élevée sur l’évolution de la situation politique italienne. Si les marchés financiers ont recouvré leurs esprits assez rapidement suite à la panique engendrée par l’annonce des résultats1, et ce en dépit de la dégradation de la note souveraine par Fitch il y a maintenant une semaine, le risque politique devrait néanmoins prévaloir au cours des prochaines semaines et nourrir la volatilité des rendements des titres italiens.

Premier rendez-vous aujourd’hui, avec la prise de fonction du nouveau Parlement, qui doit notamment élire les Présidents respectifs de la Chambre des Députés et du Sénat. Par la suite, dès le début de la semaine prochaine, le Président de la République Napolitano pourra officiellement entamer les discussions avec les différents partis et mouvement2, en vue de mandater un Président du Conseil chargé de former un gouvernement. A ce stade, quelles sont les différentes options ?

Un gouvernement minoritaire, constitué de membres du Parti Démocrate et conduit par Pier Luigi Bersani qui a manifesté sa préférence pour ce scénario. Toutefois, dans la mesure où le centre-droit de Berlusconi n’y est pas favorable et où Beppe Grillo s’est clairement opposé à toute forme d’alliance, la marge de manœuvre et donc l’espérance de vie d’un tel gouvernement apparaît très limitée, si tant est qu’il obtienne la confiance initiale du Parlement.

Surtout, la condition préalable, à savoir que Bersani se voie mandaté par le Président Napolitano, est loin d’être acquise, ce dernier s’étant déclaré a priori en faveur d’un nouveau gouvernement « technique ». Là encore, cette seconde option ne recevant qu’un soutien modéré de la part des principales forces politiques (centre-droit, centre-gauche, mouvement 5 étoiles), un tel gouvernement ne serait probablement que temporaire. Dès lors, l’option la plus vraisemblable à l’heure actuelle semble être la tenue de nouvelles élections. Celles-ci ne pourraient cependant pas avoir lieu avant le mois de juin. En effet, le Président Napolitano, dans la mesure où son mandat échoit le 15 mai – soit dans moins de 6 mois, ne peut constitutionnellement pas dissoudre le Parlement. Cette décision ne pourrait être prise que par le nouveau Président, dont le processus électoral qui débutera le 15 avril pourrait durer plusieurs semaines. Le cas échéant, 45 jours au minimum doivent s’écouler entre cette éventuelle dissolution et la tenue de nouvelles élections. Si l’horizon de juin est alors techniquement possible, à condition que le Président Napolitano se retire avant la date officielle de sa fin de mandat – le 15 mai, il nous semble peu plausible. Partant, compte tenu d’une probable « trêve » estivale et d’une période de campagne qui doit durer 30 jours, ces élections ne se tiendraient probablement pas avant fin septembre.

D’ici là, la situation macroéconomique ne se sera guère améliorée, avec une prolongation attendue de la récession sur la première moitié de l’année – au minimum, un taux de chômage qui devrait encore progresser d’un demi-point pour atteindre 12,3% à la fin de l’été, une nouvelle hausse d’un point de la TVA à compter du mois de juillet qui pèsera encore un peu plus sur le moral et le pouvoir d’achat des ménages, une tendance haussière des faillites d’entreprises qui aura du mal à s’inverser tant que les retards de paiements s’accumuleront3 et que la frilosité des banques à octroyer du crédit se poursuivra – selon toute vraisemblance en l’absence de nouvelles mesures de soutien ciblées de la part de la BCE…

Du côté des finances publiques, si la trajectoire de réduction du déficit structurel se poursuivra, même en l’absence de nouvelles mesures – l’essentiel du paquet fiscal pour cette année ayant été voté fin 2012, la récession beaucoup plus prononcée que prévu (nous tablons sur un recul de 1,5% du PIB, contre seulement -0,2% selon la prévision gouvernementale) empêchera d’atteindre l’objectif de déficit budgétaire de 1,8% pour cette année (plus proche de 2,8% selon nous). Partant, la dette publique continuera d’augmenter et franchira la barre des 130% du PIB cette année. De quoi alimenter les craintes des investisseurs, en particulier dans cette période d’incertitude politique nous séparant de probables nouvelles élections qui, espérons-le, seront régies par une nouvelle loi électorale !

NOTES

  1.  Les taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat à 10 ans sont ainsi passés de 4,50% à la veille des élections à 4,90% au lendemain des résultats, et sont aujourd’hui légèrement inférieurs à 4,65%.
  2.  Beppe Grillo tient à cette distinction, refusant que le Mouvement 5 étoiles soit assimilé aux autres « partis politiques » qu’il accuse d’être responsables de la crise économique, sociale et politique dans laquelle le pays est plongé.
  3. La moyenne des délais de paiements pour l’ensemble des pays européens est de 65 jours, ils atteignent 180 jours en Italie. L’UE souhaite obliger les Etats membres à légiférer, à compter du 16 mars, pour les ramener désormais à 30 jours, ou au maximum 60 jours sous conditions.

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