Italie : le grand tournant ?

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

• Avec la nomination de M. Renzi au poste de Premier ministre, le système italien s’apprête à faire peau neuve.

• Entré en fonction il y a quelques semaines à peine, M. Renzi a engagé d’importantes réformes institutionnelles en vue d’améliorer l’efficacité de l’administration et de conférer plus de stabilité au système politique.

• M. Renzi a aussi lancé un train de mesures pour stimuler la demande, financées principalement par la réduction des dépenses publiques.

L’Italie est-elle en train de vivre une nouvelle « Renaissance» sous la direction de son nouveau Premier ministre, Matteo Renzi ? Il faut reconnaître que sa détermination et sa force de caractère sont en train de faire bouger le système institutionnel et politique italien. M. Renzi a déjà réussi à lancer d’importantes réformes, dans toutes les directions. Ces dernières sont à la fois d’ordre institutionnel, économique et structurel. Ainsi, en l’espace de quelques semaines, une nouvelle dynamique prend forme ; des mesures restées jusque- là lettre morte, sous le poids des veto et des intérêts politiques, sont adoptées. Certes, il est encore trop tôt pour faire un bilan, mais une chose est sûre : l’Italie avait grandement besoin de cette thérapie de choc.

Ne pas sous-estimer les réformes institutionnelles

La réforme des institutions revêt une importance capitale. L’Italie, comme d’autres pays européens, est confrontée à la montée du populisme et des mouvements antisystème. L’adoption de mesures visant à réformer le système politique en place, que l’opinion publique italienne juge corrompu et inefficace, est un bon moyen de faire barrage à de telles dérives. M. Renzi a, à cet égard, pris le taureau par les cornes. Au début du mois d’avril, la chambre basse du Parlement a approuvé un projet de loi qui abolit, de facto, les provinces (« Provincie »), une autorité locale se situant entre la Région et les municipalités1. Compte tenu du chevauchement actuel des fonctions, personnels et ressources, cette simplification contribuera à réduire les coûts et à améliorer l’efficacité de l’administration.

Le gouvernement de M. Renzi s’est également attelé à d’autres grands chantiers comme la réforme du bicamérisme parfait et l’adoption d’une nouvelle loi électorale. Concernant le premier de ces chantiers, le débat en cours vise à modifier les fonctions et la structure du Sénat, de quoi améliorer sensiblement le système législatif. Pour ce qui est du deuxième, une nouvelle loi électorale vient d’être adoptée par la chambre basse du Parlement.

L’approbation rapide de ce texte par le Sénat, si elle a lieu, constituera un succès notable pour le nouveau Premier ministre. La loi électorale actuelle est en effet à l’origine de l’impasse à laquelle ont abouti les dernières élections législatives tenues en février 2013. La nouvelle loi devrait conférer à l’Italie une plus grande stabilité politique, condition sine qua non à la mise en œuvre des réformes. Rappelons que, actuellement, la durée moyenne d’un gouvernement en Italie est d’environ un an, alors qu’une législature devrait théoriquement durer cinq ans.

Programme de relance économique

M. Renzi a surpris les marchés par sa détermination à encourager la reprise. L’administration Monti avait déjà pris plusieurs mesures pour assainir les finances publiques, grâce auxquelles l’Italie a réussi à sortir de la procédure de déficit excessif en 2013. La croissance n’en reste pas moins atone et le PIB avoisine le niveau qui était le sien il y a dix ans. Une action visant à encourager la reprise et à remédier aux goulets d’étranglement était donc plus que nécessaire2. A la fin du mois de mars, M. Renzi lançait un train de mesures économiques visant, notamment, à stimuler la demande. Ce programme est principalement axé sur la réduction de la fiscalité, sur des investissements d’infrastructures et sur l’accélération des remboursements par l’Etat des arriérés de paiement au secteur privé. Voici quelques-unes de ces mesures :

• Réduction d’impôts sur les bas salaires. Le gouvernement souhaite réduire les prélèvements sur les bas salaires. Les personnes percevant un salaire de EUR 1 500 ou moins auront droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à EUR 1 000 par an. Environ 10 000 personnes (celles dont le salaire brut annuel est inférieur à EUR 25 000) bénéficieront de cette mesure, qui devrait coûter EUR 10 mds à l’Etat.

• Baissedel’impôtsurlesentreprises.Uneréductionde10% de l’impôt régional sur les activités productives (IRAP) sera accordée aux entreprises. Selon les estimations du gouvernement, cette mesure devrait réduire la fiscalité des entreprises d’environ EUR 1,6 md cette année et de EUR 2,4 mds dans les années à venir. Les petites entreprises pourraient également bénéficier d’un allégement de 10 % de la facture énergétique.

• Infrastructures. EUR 3,5 mds seront consacrés à la rénovation des infrastructures scolaires et EUR 1,5 md à d’autres investissements

• Arriérés.Lerythmeduremboursementparl’Etatdesarriérés de paiement à l’égard du secteur privé devrait également être accéléré. Sur un montant total d’arriérés de EUR 90 mds, jusqu’au 31 mars 2014, seuls EUR 22 mds ont été réglés. Le gouvernement a fixé la date de règlement final du solde (EUR 68 mds) à la fin du mois de juillet.

• Marché du travail. Enfin, des mesures ont été introduites pour flexibiliser l’emploi, portant notamment sur les contrats courts et les contrats d’apprentissage. Ces mesures sont de nature à encourager la demande de main-d’œuvre.

Il est difficile d’évaluer l’impact de ce dispositif sur l’économie. Beaucoup soutiennent, notamment, qu’avec une réduction plus conséquente des coûts de main-d’œuvre, l’impact sur la croissance serait plus important dans la mesure où les entreprises pourraient en profiter pour accroître l’investissement et l’emploi ; en revanche, les ménages auront plutôt tendance à reconstituer leur épargne, mise à mal pendant la crise, qu’à accroître les dépenses. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a ciblé les catégories ayant la plus forte propension marginale à consommer. Aussi l’impact sur la consommation de cette réduction d’impôts ne devrait-il pas être négligeable.

L’accélération des remboursements d’arriérés est aussi une mesure dont on ne peut que se féliciter, même si l’impact de cette décision sur l’économie dans son ensemble reste difficile à quantifier. Selon une étude menée par la Banque d’Italie, les entreprises, dont les arriérés ont été honorés à ce jour, ont affecté ces liquidités au règlement de leurs fournisseurs et salariés et à la réduction de leur dette, au lieu d’engager de nouveaux investissements ou de recruter du personnel. Cet apport d’argent frais va néanmoins contribuer à renforcer la situation financière des entreprises, ce qui pourrait se traduire par un assouplissement des conditions de financement. Cette amélioration, ajoutée à celle des conditions économiques, laisse entrevoir une certaine accélération de l’investissement d’ici à la fin de l’année.

Comment ce programme sera-t-il financé ?

En résumé, toutes ces mesures sont à l’évidence les bienvenues. Selon des hypothèses prudentes concernant le multiplicateur fiscal, elles pourraient faire grimper la croissance du PIB de 0,3 à 0,5 pp cette année. Cependant, leur impact sur l’économie dépendra en grande partie de leur mode de financement. Si le gouvernement avait choisi de les financer essentiellement par des hausses d’impôts ou des coupes dans les prestations, les effets expansionnistes du programme sur l’économie auraient été limités. Selon le Document annuel d’économie et de finance (Documento di Economia e Finanza ou DEF), publié par le gouvernement cette semaine, ce n’est pas le cas. Certes, il ne s’agit pas là d’un document ayant valeur contraignante mais c’est celui qui sera analysé et évalué par la Commission européenne conformément aux règles fixées dans le cadre du Semestre européen.

Comme l’indique le DEF, le gouvernement entend financer ce dispositif par la réduction de l’inefficacité de l’administration et la rationalisation des dépenses publiques. Ces mesures devraient, en effet, permettre de dégager EUR 4,5 mds d’économies cette année et jusqu’à EUR 17 mds l’année prochaine. Les économies devraient être encore plus importantes en 2016. La hausse de la taxe sur les plus-values, de 20 % à 26 % (hors titres de la dette souveraine), donnera par ailleurs un coup de pouce supplémentaire. Le gouvernement table également sur une augmentation des recettes fiscales au titre de la TVA, consécutive au remboursement au secteur privé des arriérés de paiement par l’Etat et à la hausse exceptionnelle des taxes sur les banques.

Quel sera l’impact sur les finances publiques ?

Contrairement à certaines rumeurs, le Gouvernement n’a pas financé ces mesures à l’aide d’un creusement du déficit, dont la trajectoire est restée proche de celle précédemment établie avec la Commission européenne. Il convient de souligner que les arriérés du secteur public ont déjà été intégrés dans les déficits précédents conformément aux règles de comptabilité d’exercice ; dès lors, ils ne devraient avoir qu’un effet très limité, voire aucun, sur le déficit actuel, alors qu’ils auront certainement un impact sur la dette. Le gouvernement table sur un déficit de 2,6 % en 2014, contre 2,5 % d’après les estimations précédentes. A noter, cependant, que le gouvernement a révisé à la baisse ses projections de croissance à 0,8 % en 2014 contre 1,1 % dans les prévisions précédentes, un chiffre incontestablement plus réaliste. Le gouvernement Renzi table sur un budget structurel de -0,6% dès cette année et à l’équilibre d’ici à 2015.

Avec la publication de ce document, l’Italie envoie un message à la fois précis et rassurant aux marchés financiers: les efforts budgétaires antérieurs n’ont pas été vains. Le niveau élevé de la dette est à l’évidence un problème pour l’Italie, et un ratio de la dette supérieur à 130 % du PIB est loin d’être une situation optimale. Les paiements d’intérêts représentent environ 5 % du PIB, contre 3 % pour la moyenne de la zone euro. Le ratio de la dette doit donc être abaissé. L’accélération du processus de privatisation (0,7 % du PIB par an sur les trois prochaines années selon les estimations du gouvernement figurant dans le DEF) va exactement dans ce sens. Le désendettement permettra, par ailleurs aux autorités budgétaires de disposer d’une plus large marge de manœuvre.La gestion des finances publiques est d’autant plus difficile pour le gouvernement que la croissance n’est pas au rendez-vous. Si l’Italie réussit à stimuler la croissance, la situation des finances publiques va nettement s’améliorer. En 2013, le déficit public était de 3 % alors que le déficit budgétaire structurel s’établissait à -0,8 %. Autrement dit, le déficit est en grande partie lié à la conjoncture (en hausse à 2,2 %). Il suffira d’une réduction de l’output gap pour entraîner un recul notable du déficit total. Comme il est à l’évidence destiné à stimuler la demande, ce programme économique pourrait bien apporter une bouffée d’oxygène aux finances publiques.

Mission accomplie ? Pas encore. Le potentiel de croissance reste extrêmement limité. Des rigidités persistent sur le marché du travail et le marché des produits, qui freinent l’expansion de l’économie italienne. Les réformes structurelles doivent encore être approfondies. Cependant, compte tenu de l’échéance électorale de mai, rien ne sera fait avant l’été. En effet, l’impact des élections européennes sur la vie politique nationale devrait être extrêmement important. M. Renzi souhaite en fait obtenir au travers de cette élection un consensus dans l’opinion publique en faveur de son programme de réformes. Rappelons, en effet, que M. Renzi, à l’instar des deux Premiers ministres précédents, n’a pas accédé à ses fonctions après avoir remporté des élections législatives, autre anomalie du système politique actuel en Italie.

NOTES

  1. Certes, le projet de loi ne fait que vider les Provinces de leur sens en tant qu’organes institutionnels, qui sont ainsi dénués de pouvoir ou d’autorité. Leur annulation en bonne et due forme passe par l’adoption d’une Loi constitutionnelle. C’est ce à quoi s’est également attelé le Gouvernement.
  2. Sur la question des problèmes structurels de l’Italie, voir C. De Lucia « Italie : Passé, Présent… », Conjoncture, n° 1, janvier 2014, BNP Paribas

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