par Paola Monperrus-Veroni, Don-Pierre Alessandri, et Robin Mourier, économistes au Crédit Agricole
• Au mois d’août, l’indice harmonisé des prix à la consommation en Italie a reculé (-0,2% en glissement annuel) pour la première fois depuis 1959.
• Si la probabilité que l’Italie entre dans une phase durable de déflation est faible, les conséquences d’un scénario déflationniste seraient si graves que la question ne doit pas être trop rapidement évacuée.
• Les dernières annonces de la BCE ouvrent la possibilité d’une interruption de l'appréciation de l’euro, ce qui permettrait de réduire la contribution déflationniste des termes de l’échange.
• L’action de la politique budgétaire nationale reste en revanche limitée à l’égard des capacités en excès et de la pression que celles-ci exercent sur le pouvoir de marché des producteurs domestiques et des salaires. La remontée des taux réels accentue ces pressions.
Les prix : une histoire de deux inflations
L’estimation définitive de l’inflation en août a confirmé les données préliminaires : l’indice harmonisé des prix à la consommation a baissé de 0,2% en glissement annuel après sa stabilisation en juillet. Alors que l'inflation italienne était historiquement supérieure à la moyenne de la zone euro, l'écart est devenu négatif à partir du mois de mai 2013, se creusant davantage durant l’été. Il serait encore plus négatif sans les récentes hausses de la fiscalité indirecte italienne (TVA et autres accises).
Cette évolution des prix est principalement due au recul du cours du Brent, mais aussi à des modifications réglementaires dans la formation des prix dans le secteur de l’énergie. La baisse moyenne du prix des produits énergétiques est de 3,7%, mais de 6% pour les biens réglementés, et de seulement 1,4% pour les biens non réglementés. Les prix hors énergie accélèrent légèrement (+0,4% après +0,3% en juillet).
Comme c’est le cas depuis plusieurs années, cette dynamique a influencé les cotations des matières premières agricoles et, in fine, les prix des produits alimentaires, qui baissent de 0,4%, et de 1,4% pour l’alimentaire frais. La dynamique des prix des biens (-0,6%) est tirée vers le bas principalement par ces deux composantes. Les prix des autres biens manufacturés ralentissent (+0,1%), freinés par ceux des biens semi-durables (-0,6%), s’approchant dangereusement de la déflation. La dynamique des prix des services reste à peine plus soutenue (+0,3%), elle aussi en ralentissement. L’indice des services pâtit de la contribution fortement négative des services de communication (-6,7%), mais tous les autres services affichent une décélération des prix. L’inflation sous-jacente, hors énergie et alimentaires frais, reste positive, mais s’inscrit dans une dynamique baissière (+0,5% après +0,6%).
On constate en effet une diffusion croissante du ralentissement de la hausse des prix des différents biens et services composant l’indice. Pour autant, on n’observe pas pour le moment la diffusion d’une baisse des prix.
Les termes de l’échange : la belle histoire
Le cadre qui ressort est donc celui d’une dynamique désinflationniste principalement tirée par les prix des matières premières, mais qui n’exclut pas une tendance au net ralentissement des composantes des autres biens et services. Une déflation due aux prix des matières premières importées est bénéfique aux revenus réels lorsqu’elle résulte d’une augmentation de l’offre (par ex., la production de gaz de schiste). Elle est en revanche néfaste lorsqu’elle tire son origine d’une appréciation du taux de change, qui en déprimant la demande adressée aux producteurs nationaux exerce des pressions à la baisse sur les coûts et donc les salaires. Les implications sont dans ce cas plus graves, car les anticipations sont altérées, alimentant ainsi un cercle vicieux incluant une compression des revenus et un durcissement des conditions de financement en termes réels.
L’appréciation de l’euro a effectivement entraîné une évolution des termes de l’échange ayant contribué à réduire l’inflation. La contribution au cours des deux derniers trimestres se chiffre à un demi-point en Italie. La dépréciation récente et anticipée de la devise européenne devrait réduire cet effet à l’avenir.
Les salaires et les marges : des résistances
Mais l’appréciation de la devise n’est pas la seule responsable. En sortant la contribution des termes de l’échange de l’évolution du déflateur de la demande intérieure, on obtient l’évolution des revenus unitaires domestiques, i.e. celle du déflateur du PIB. Celui-ci montre une nette tendance à la décélération, conséquence de capacités excédentaires exerçant des pressions à la baisse sur les salaires.
Le faible pouvoir de marché des producteurs italiens se retrouve dans la baisse des prix de produits industriels en cours depuis mars 2013 et qui a atteint un rythme de -1,6% en juin 2014. La chute la plus marquée est observée pour les produits à destination du marché européen. Les prix des produits destinés au marché intérieur baissent (- 1,9%) néanmoins plus que ceux destinés globalement à l’exportation. Les produits énergétiques restent le principal moteur de la baisse. Mais la progression des prix hors énergie reste à peine positive (+0,1%) sur le marché intérieur.
Ces évolutions impriment une forte pression sur la rentabilité des entreprises. Le taux de marge peine à se stabiliser en début d’année après des années de forte baisse.
En effet, les rémunérations négociées montrent une décélération moins franche que les prix. En juillet, l’indice des salaires négociés augmentait de 1,1% en glissement annuel, ralenti par la poursuite du gel des salaires dans l’administration publique (en place depuis 2012 tant pour les négociations collectives que pour la progression individuelle). Dans le secteur privé, le rythme de +1,4% est le résultat d’une progression beaucoup plus dynamique de l’industrie (+2,2%) que des services (+0,8%). Au mois de juillet, 61% des contrats sont en attente de renouvellement, dont 100% dans la fonction publique. x
Le gouvernement a annoncé la poursuite du gel des salaires en 2015. Parmi les 47% des contrats en attente de renouvellement dans le secteur privé, ce sont surtout les services les plus concernés (à la hauteur de 82%), et dont on attend un rythme de progression moins soutenu. L’acquis de croissance pour 2014 est de 1,1%. Les récentes mesures de politique économique du gouvernement Renzi (bonus fiscal de 80€ par mois et les baisses de cotisations) contribueront à modérer les revendications salariales. L’objectif prioritaire des entreprises restera la reconstitution des marges, mais la pression au ralentissement des salaires reste modérée. Nous prévoyons donc une croissance des salaires négociés de 1,2% en 2014 avec une très modeste accélération (+1,3%) en 2015.
Les salaires effectifs montrent paradoxalement une dynamique plus soutenue que les salaires négociés. Ce phénomène est contraire au traditionnel comportement cyclique, impliquant une compression des heures travaillées, des heures supplémentaires et de la part individuelle de la rémunération en période de chômage élevé. Des facteurs tant structurels (touchant à la composition de l’emploi : âge, ancienneté et niveau de formation) qu’institutionnels (liés au système de formation des salaires, avec des accords triennaux qui prolongent les performances passées d’inflation) expliqueraient ce comportement atypique.
Ce différentiel positif entre salaire effectif et négocié devrait néanmoins s’estomper lorsque l’inertie de l’inflation passée intégrée dans les précédents accords de négociation sera progressivement effacée. Des nouvelles possibilités de dérogation aux normes collectives en matière de durée du travail en temps de crise pourraient aussi accentuer la réduction de ce différentiel.
Néanmoins, la hausse progressive des heures travaillées et la résorption plus tardive du chômage, que nous anticipons dans notre scénario de prévision, limiteraient le potentiel de ralentissement des salaires effectifs. L’estimation d’une courbe de Phillips à partir de notre prévision de graduelle baisse du taux de chômage écarte le scénario déflationniste à l’horizon 2015.
Les taux réels élevés pénalisent les emprunteurs
Malgré la baisse des taux de crédit bancaire au cours des derniers mois, l'écart avec l'inflation s'est accru, entraînant une hausse des taux réels. Entre le 30 juin 2013 et le 30 juin 2014, les taux des crédits nouveaux immobiliers et entreprises se sont réduits respectivement de 37 pb et 26 pb alors que dans le même temps l'inflation annuelle connaissait une baisse 3 à 4 fois plus rapide de 110 pb. La baisse des taux de crédit bancaire moins rapide que celle des taux de marché contribue déjà à réduire la solvabilité des acteurs privés, notamment les PME. La baisse de l'inflation, encore plus forte que celle des taux de marché, amplifie ce phénomène car elle a un impact défavorable sur l'écart entre les retours sur investissement et les coûts de financement.
En Italie, la faiblesse de l'inflation accentue donc la pression sur une demande de crédit déjà atone. Les taux réels se situent à des niveaux proches de ceux constatés en 2009, au cœur de la crise financière. Ils pèsent fortement sur la demande de crédit déjà limitée par des perspectives d'activité incertaines et exercent un effet négatif sur l'investissement et la consommation. Les chiffres d'inflation, plus bas que prévu, ont conduit la BCE à adopter dès le mois de septembre de nouvelles mesures de politique monétaire qui ont pour objectif d'assouplir les conditions de crédit bancaire et ainsi soutenir la fragile croissance. L'impact de ces mesures en Italie demeure toutefois incertain car la production de crédit n'y souffre pas seulement de contraintes sur l'offre mais aussi d'un déficit de demande.
Le potentiel de redressement du marché du crédit bancaire ne peut pas reposer uniquement sur l’assouplissement monétaire en l’absence d’une politique de soutien de la consommation et de l’investissement. La capacité de la politique nationale à stimuler la demande intérieure étant très limitée, l’offre de crédit soutenue par les initiatives de la BCE pourrait ne pas trouver preneur. Avec un marché du crédit atone, la reprise serait contrainte à un rythme inférieur au potentiel de croissance. Le potentiel "reflationniste" de la reprise s’en trouverait limité et le risque d’une déflation pas complétement écarté.