par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis AM
Pourquoi le résultat du vote italien bouleverse-t-il la donne ?
D'abord parce que ce n'était pas le vote attendu. Une victoire relative du Centre Gauche (Parti démocrate de Bersani) permettait d'imaginer qu'après un accord avec Mario Monti une majorité ainsi constituée était suffisante pour gouverner et prolonger ce qui avait été mis en œuvre par Monti. C'est le scénario que tous nous avions envie de croire.
Ce schéma n'a pas fonctionné avec le retour de Berlusconi, l'émergence de Beppe Grillo et l'effondrement de Monti. Il ne pourra pas y avoir de continuité. Les options prises entre les 3 principaux protagonistes ne semblent pas compatibles au moins sur le plan économique. Il y a des pro-Euro et des anti-Euro (Grillo, Berlusconi en partie). Dès lors un équilibre politique sera difficile à trouver. Les accords locaux qui sont souvent évoqués ne portent que sur des problématiques locales. Dans un gouvernement de coalition les questions sont plus larges et n'apparaissent pas compatibles. La seule coalition possible serait celle qui ne s'occuperait que de questions non économiques. Dans l'Italie du moment cela parait illusoire.
Un gouvernement doit avoir la majorité à l'Assemblée Nationale et au Sénat car chaque assemble a le même poids dans l'adoption des lois (En France ce n'est pas le cas l'Assemble Nationale est déterminante). Ce ne sera pas le cas. L'option pourrait alors de mettre en place un gouvernement de transition pour gérer les affaires courantes et procéder à de nouvelles élections. La solution d'élections nouvelles aura lieu même si un gouvernement de coalition gère les affaires courantes modifiant quelques sujets. J'ai du mal à imaginer que sur des sujets forts et non économiques comme le mode électoral, souvent évoqué pour permettre après des élections qu'une majorité effective se dégage, il puisse y avoir un accord entre deux des trois partis susceptibles de mettre en place une coalition.
Le scénario est donc celui d'une période de transition, puisqu'une coalition durable ne parait pas tenable, en attendant de nouvelles élections.
Quel Impact sur la dynamique européenne?
L'idée privilégiée était d'imaginer que le gouvernement sortant des urnes puisse rapidement demander de l'aide via la BCE et son programme OMT (rachat de dette publique courte). C'est l'anticipation d'une telle dynamique qui explique une partie de la baisse des taux d'intérêt italiens ces dernières semaines voire ces derniers mois. En l'absence de gouvernement légitime un tel programme ne pourra se mettre en place car celui-ci suppose un engagement dans la durée. La contrepartie des opérations OMT est l'engagement par le gouvernement de mesures claires sur le budget, les réformes structurelles et les institutions. Si des nouvelles élections sont programmées, un gouvernement de transition n'a pas ce type de capacité. Cela implique qu'une aide de la BCE à l'Italie devra attendre au moins les résultats de ces élections nouvelles pour s'engager.
Cela crée une nouvelle situation d'incertitude qui n'est pas favorable à la conjoncture. L'économie italienne s'est contractée de 0.9% au dernier trimestre de 2012 (-3.7% en taux annualisé) et de -2.2% sur l'ensemble de l'année 2012. Si les taux d'intérêt italiens sur les obligations d'Etat restent au-dessus de 4.5% une reprise forte et durable ne peut être envisagée. Personne ne voudra investir dans de telles conditions. Cela sera pénalisant pour l'économie italienne et se traduira par une dégradation supplémentaire du marché du travail ce qui pourrait alimenter le poids des "anti" au sein de la société italienne, notamment lors du vote des prochaines élections.
Pour les autres pays de la zone Euro, le maintien d'une activité très faible en Italie est un handicap. L'Italie est le troisième pays de la zone Euro par la taille et l'Italie en récession est un handicap fort pour la dynamique européenne. Pour la France, les échanges avec l'Italie représentent 8% de ses exportations. En outre l'incertitude politique qui pourrait accompagner une nouvelle élection va avoir des impacts divers. Si pendant ce temps effectivement la situation italienne se dégrade cela pourrait attirer davantage les votes vers une option de contestation contre l'Europe et l'Euro. Plus de la moitié des votes ont reflété peu ou prou cette option lors des élections des 24 et 25 février. Cette situation pourrait s'accentuer et suggérer une incertitude sur la dynamique effective de la zone Euro. Si une telle option prenait corps cela rendrait l'investissement en zone Euro plus risqué et n'inciterait pas à investir massivement dans la zone.
C'est en cela que c'est une mauvaise nouvelle pour la zone Euro. Cela prolonge la période d'incertitude ce qui ne peut pas renforcer le cycle économique.
La lecture du résultat des élections traduit une économie qui se dégrade très vite. Est-ce aussi marqué que cela pour inciter les italiens à remettre en question les options prises par le passé ?
On peut regarder trois indicateurs qui nous renseigneront sur la santé de l'économie italienne.
Sur le premier graphe on perçoit la dégradation rapide de l'économie italienne depuis 6 trimestres. Le rebond avait été modeste après la récession de 2008/2009 mais le nouveau revers entraine l'activité sur un niveau encore plus bas. Ce profil est très préoccupant car il engendre une dégradation significative et rapide de l'emploi.
Dans le deuxième graphique le pouvoir d'achat a une allure très négative. Depuis 2008 le pouvoir d'achat se contracte mais en 2012 il se contracte de façon brutale en raison des mesures d'austérité mises en place par le gouvernement Monti. On a ici une illustration directe des raisons de la rébellion contre l'Europe qui a contraint l'Italie à l'austérité et donc à une baisse significative du pouvoir d'achat.
Le troisième graphique illustre la perte de compétitivité de l'économie italienne. La baisse de ses exportations lors de la grande contraction du commerce mondial en 2008/2009 a été plus forte que celle de ses partenaires européens et le rebond nettement moins virulent qu'en Espagne ou qu'en Allemagne. Le mythe de l'Italie dotée de PME efficaces et à la conquête du monde a vécu. L'économie italienne à part quelques grandes marques de luxe n'est plus capable de jouer un rôle fort dans la dynamique du commerce mondial. En d'autres termes, l'Italie ne peut pas attendre spontanément de soutien de l'extérieur. Et même si le commerce mondial redémarrait l'Italie en tirerait moins de bénéfices que ses partenaires européens.
A travers ses trois graphiques on comprend bien la déprime des italiens au moment du vote. Spontanément l'activité se dégrade et l'emploi se raréfie, le pouvoir d'achat baisse de façon significative et les exportations ne sont plus compétitives. Une partie de ce schéma reflète l'adoption des politiques d'austérité menée par Monti mais sous l'impulsion de l'Europe. Le vote "Anti" n'est pas aussi étonnant que cela en raison de l'ampleur des chocs.
Souvent le rôle de la BCE est évoqué comme responsable implicite du résultat des élections?
Les économistes ou les banquiers centraux hostiles au rôle de prêteur en dernier ressort d'une banque centrale dans une crise financière ont suggéré que les propositions faites par la BCE via son programme OMT étaient un engagement asymétrique. En effet l'effet d'annonce a permis une baisse des taux d'intérêt mais sans engagement formel des gouvernements (Italien ou espagnol puisque les taux des deux pays ont baissé) pour rééquilibrer leurs finances publiques comme le suppose une opération OMT. Cela créerait ainsi une incitation moindre pour le gouvernement puisque la seule annonce des opérations a permis de faire baisser les taux d'intérêt. Le maintien de taux bas a pu alors laisser imaginer que la crise était en phase de résolution. Les italiens pouvaient alors passer à autre chose. Cette approche traduit celle de la Bundesbank qui ne souhaite pas voir la BCE intervenir directement sur les dettes publiques et prête à ces interventions des conséquences dramatiques.
Juste une remarque: les graphiques présentés plus haut montrent des dégradations plus anciennes que le mois de septembre 2012. La Bundesbank réclame plus d'austérité, les italiens ne le souhaitent pas.
Cette situation italienne va-t-elle engendrer un changement dans la hiérarchie des politiques économiques en zone Euro ?
Dans les pays en récession au sein de la zone Euro il est demandé de mettre en place des politiques très restrictives pour stabiliser les finances publiques et de voter des réformes de structure susceptible de changer la dynamique de l'économie pour que celle-ci retrouve de la croissance de façon autonome.
Je crois que ces deux options menées de front sont une erreur. Des réformes de structure impliquent des changements en profondeur de l'économie. Gagner en flexibilité c'est modifier les formes du travail, faciliter l'allocation des ressources au sein d'une économie c'est créer des dynamiques nouvelles dans les vieux pays européens. Il faut que chacun, ménage et entreprise, ait des marges de manœuvre pour s'ajuster et trouver les nouvelles stratégies, les nouvelles trajectoires qui en découlent.
Plaquer en même temps des politiques d'austérité avec réduction rapide des déficits publics c'est ne pas permettre ces ajustements et ces choix de stratégie. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois et il faut choisir entre croissance et équilibre des finances publiques. Pour l'instant, en raison de la résistance aux changements les politiques d'austérité sont mises en avant mais cela se traduit par une croissance très faible, nulle ou négative, une dégradation du marché du travail et une perte de revenu.
Depuis la mise en place d'une politique d'austérité, elle s'effondre. La dynamique du secteur privé a disparu. Faudra-t-il attendre que cela se traduise par des tensions sociales excessives avant de changer et d'opter davantage vers la croissance? Car les politiques d'austérité n'ont aucune raison de ramener spontanément de la croissance. Est-ce l'austérité qui apporte de la productivité? De l'efficacité au travail? Si la crise italienne peut inciter à créer une hiérarchie davantage en faveur de la croissance avec des incitations aux entreprises pour qu'elles accumulent du capital alors la crise italienne aura eu un impact positif sur la situation en Europe.
Quels sont les risques de la situation ?
Il y a un premier point intéressant. Les italiens se sont réappropriés les décisions politiques et ne pourront plus nécessairement invoquer l'Europe comme responsable systématique. Le scénario qui parait le plus probable est celui de nouvelles élections dont la date devra être calée aussi en fonction de l'élection présidentielle (au suffrage indirecte) à la mi-mai. Pendant ce temps, sauf à imaginer un environnement économique beaucoup plus porteur, la dynamique de l'activité et de l'emploi vont peser sur les comportements. Sans amélioration au moment des élections le risque est un vote toujours très massif des "antis" Europe et euro. Là cela sera préoccupant car si tel était le cas cette situation pourrait instiller l'idée à nouveau d'une fragilité de la zone Euro et créer ainsi davantage de volatilité. Cela serait pénalisant pour la dynamique de la zone Euro en retardant le redémarrage du cycle économique européen.
L'autre risque majeur est que finalement las de toutes ces péripéties le reste du monde ne s'intéressent plus à l'Europe et à la zone Euro. Le risque alors est qu'à vouloir à tout prix être vertueux le monde se développe sans l'Europe. C'est déjà en grande partie le cas, essayons de ne pas accentuer ce mouvement.