Japon : Installé dans les déficits ?

par Raymond van der Putten, économiste chez BNP Paribas

• La balance commerciale n’a cessé de se détériorer depuis le séisme de Tohoku et le tsunami qui a suivi.

• La dépréciation du yen n’a pas permis d’inverser cette tendance car les exportateurs fixent, pour la plupart, leurs prix en fonction du marché.

• Principale cause : la délocalisation de la production.

• Les réformes structurelles devraient viser à faire du Japon une base de production plus attractive.

La balance commerciale du Japon a commencé à accuser d’importants déficits après le séisme de Tohoku et le tsunami de Fukushima du 11 mars 2011. En 2013, le déficit commercial s’est élevé à JPY 11 500 mds (2,4 % du PIB) contre un excédent de JPY 6 600 mds en 2010. La détérioration de la balance commerciale a été imputée en partie à l’appréciation du yen sur la période allant d’août 2007 à octobre 2012. La thèse communément admise était que la dépréciation du yen depuis la mi-novembre 2012 allait entraîner une amélioration à moyen terme grâce un effet de 2010=100 courbe en « J ». Or il n’en a rien été. Le déficit commercial pourrait même s’aggraver en 2014 pour atteindre JPY 12 500 mds. Autrement dit, le taux de change n’est pas la cause principale de la dégradation de la balance commerciale.

Dans le rouge depuis le séisme de Tohoku

La Banque du Japon publie deux indices des prix à l’exportation, l’un exprimé en yen et l’autre dans la devise du contrat. L’indice libellé en yen est plutôt volatil et principalement influencé par les fluctuations de change. En revanche, l’indice exprimé dans la monnaie du contrat est plus ou moins stable. En d’autres termes, les exportateurs japonais ont maintenu leurs prix sur les marchés étrangers en dépit des variations du taux de change. C’est ce que l’on appelle « la formation des prix en fonction du marché ». Ce mécanisme s’est vérifié aussi bien pour l’appréciation que pour la dépréciation du yen. Aussi les craintes de dumping des pays voisins devant le fléchissement marqué de la monnaie nippone depuis novembre 2013 étaient-elles infondées.

Pendant la période d’appréciation du yen, qui s’étend d’août 2007 à octobre 2012, cette politique de fixation des prix s’est soldée par une contraction des marges bénéficiaires et la mise en place de plans de maîtrise des coûts. Les entreprises de l’industrie manufacturière ont commencé à délocaliser leurs activités, essentiellement dans d’autres pays asiatiques. On a par ailleurs observé une modération des revendications salariales de la part des employés japonais qui ont même accepté des baisses de salaires pour préserver leur emploi.

Jusqu’en mars 2011, cette politique a donné d’excellents résultats et a permis au Japon de conserver ses parts de marché dans les échanges internationaux. La situation a radicalement changé après le séisme de Tohoku. La catastrophe a en effet sérieusement perturbé les chaînes d’approvisionnement, les usines de fabrication de pièces et composants de base ayant été endommagées ou détruites(1). L’effet s’est fait sentir au niveau mondial. Il s’en est suivi un effondrement des exportations japonaises et une nette dégradation de la balance commerciale. Il a, par ailleurs, fallu que les entreprises importent les produits que les producteurs locaux ne pouvaient plus fournir.

Malgré le rétablissement relativement rapide des chaînes d’approvisionnement, la production industrielle n’a pas encore retrouvé les niveaux qui étaient les siens avant le séisme. Les entreprises manufacturières ont en effet accéléré la délocalisation des sites de production. Elles ont commencé par accorder plus d’importance à la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement et ont recherché des sites de production moins exposés aux catastrophes naturelles. Par ailleurs, l’arrêt des centrales nucléaires a entraîné un renchérissement du coût de l’électricité et, dans certaines régions, des problèmes de pénurie énergétique. Le Japon est ainsi devenu moins attractif pour la production de biens à forte consommation d’énergie. Enfin, les producteurs japonais confrontés aux rigidités du marché du travail sont devenus moins compétitifs par rapport à leurs concurrents asiatiques.

Pour ne rien arranger, les échanges commerciaux entre le Japon et la Chine ont pâti du différend territorial opposant les deux pays autour de la souveraineté d’îlots inhabités en mer de Chine orientale. Le conflit s’est envenimé lorsque le Japon a acheté les îles à leurs propriétaires privés en septembre 2012, entraînant une chute brutale des exportations japonaises vers la Chine.

Le séisme de Tohoku et le tsunami qui a suivi ont aussi engendré une nette augmentation des importations de combustibles fossiles comme le pétrole et le gaz naturel liquéfié (GNL). Après la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima Daiichi, toutes les installations nucléaires ont été progressivement mises à l’arrêt pour subir des travaux de réparation ou de maintenance périodique. Les préfectures ont hésité à autoriser la remise en service des réacteurs. Pour sa production d’électricité, le Japon a dû renoncer aux centrales nucléaires au profit des centrales thermiques classiques. Il s’en est suivi une nette aggravation du déficit de la balance commerciale des combustibles minéraux, qui s’est creusé de JPY 10 000 mds (2 points du PIB) entre 2010 et 2013.

Enfin, au cours des dernières années, les termes de l’échange se sont progressivement dégradés entre produits manufacturés et produits de base, ce qui n’a fait qu’accentuer la détérioration de la balance commerciale du Japon.

La « troisième flêche »

Pour remédier à la situation, le Japon doit commencer par endiguer l’exode de la production manufacturière et redevenir une base de production attractive. La « stratégie de croissance » ou troisième flèche du programme Abenomics constitue à cet égard un bon point de départ(2). La stratégie prévoit notamment le développement du marché à l’international. L’un des objectifs est de porter la part du commerce couvert par des accords de libre-échange de 19 % à 70 % d’ici à 2018. Pour ce faire, le Japon entend promouvoir les partenariats économiques avec l’UE et les Etats-Unis, dans ce dernier cas dans le cadre du Partenariat transpacifique (TPP). Le système d’aide au développement des PME sur les marchés étrangers sera de plus renforcé. Malheureusement, cette stratégie ne fait pas l’unanimité ; elle a notamment été dénoncée par le puissant lobby agricole.

Par ailleurs, le gouvernement doit améliorer la flexibilité du marché du travail. Cela devrait permettre aux entreprises manufacturières japonaises de rester compétitives sur les marchés internationaux sans avoir à transférer la production à l’étranger.

NOTES

  1. Voir Raymond Van der Putten, « Japon : un an après le tremblement de terre de Tohoku », BNP Paribas Conjoncture, mars 2012.
  2. Voir Raymond Van der Putten, « Japon : trois flèches pour vaincre la déflation », BNP Paribas Conjoncture, septembre 2013.

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