Japon : un rapport économique encourageant

par Kohei Iwahara, économiste chez Natixis

Le premier rapport du PIB publié depuis la prise de fonction de Shinzo Abe en décembre dernier s'est révélé assez encourageant. Ressortie à +0,9% T/T (+3,5% en rythme annualisé), la croissance du PIB s'est ainsi accélérée au T1 en dépassant les attentes, tout en se révélant relativement équilibrée. Les exportations nettes ont contribué positivement à la croissance à hauteur de +0,4%, la demande privée à hauteur de +0,3% et la demande publique à hauteur de +0,2%.

En revanche, ce même rapport a révélé que la dynamique positive de la politique économique de Shinzo Abe risquait d'être incapable de s'inscrire dans la durée. Par exemple, l'investissement non résidentiel a reculé pendant deux trimestres consécutifs et les pertes d’échange ont encore augmenté, ce qui indique une accélération des transferts de revenu vers l'étranger. A l'avenir, les dépenses relatives aux travaux publics devraient figurer parmi les principales sources de la croissance économique en 2013 et la concentration de la demande en amont de la hausse de la TVA en avril devrait également soutenir l'économie. Nous pensons que le PIB va croître à un rythme de +1,9% (GA) en 2013 (contre +2,0% en GA en 2012), avant de ralentir à +1,1% (GA) en 2014.

La déflation a commencé à donner des signes de stabilisation. L'IPC core de Tokyo a progressé pour la première fois en quatre ans après que l'écart de production négatif se soit réduit. Suite à sa décision de doubler la masse monétaire en avril, la Banque du Japon (BoJ) a laissé sa politique monétaire inchangée en mai et devrait préserver ce statu quo jusqu'au mois d'octobre, lorsqu'elle publiera son prochain Rapport sur les perspectives économiques.

La consommation des ménages

La consommation privée s'est étonnamment accélérée, passant de +0,4% T/T au T4 à +0,9% T/T au T1, signant la contribution la plus importante à la croissance (+0,6%). Sur le plan de la consommation privée, ce sont les dépenses liées aux services qui ont le plus contribué à la croissance (+0,6%). Cette évolution est également conforme à l'enquête Economy Watchers du Bureau du Cabinet (« Cabinet Office ») qui a indiqué que la confiance des entreprises au sein du secteur des services avait progressé, passant de 40,7 en novembre dernier à 57,7 en mars. Fait intéressant, les dépenses des ménages ont continué d'augmenter, s'appréciant de +1,5% (GA) en avril après une croissance de +5,2% (GA) en mars. Étant donné que la hausse des salaires s'est avérée faible, ces améliorations ont été essentiellement attribuables à des effets de richesse positifs dus à l'appréciation du marché actions et à une embellie de la confiance des ménages.

Le niveau des salaires a commencé à donner des signes d'amélioration. Le total des sommes en espèces versées aux employés s'est apprécié de +0,6% (GA) en avril après avoir reculé de -1,2% (GA) en mars. De plus, selon le quotidien économique Nikkei, les primes versées pour la période estivale devraient augmenter de +0,94% (GA), leur première hausse en deux ans. Il est important de souligner que si les salaires de base ont continué de décliner, le paiement des heures supplémentaires et les primes ont profité de la reprise économique pour augmenter. En d'autres termes, la dynamique de croissance des salaires peut de nouveau s'essouffler si le cycle économique se détériore, ce qui entraînerait une baisse du paiement des heures supplémentaires et des primes.

La consommation des ménages devrait s'améliorer au second semestre en amont de la hausse de la TVA en avril 2014. Nous pensons que la consommation va croître à un rythme de +1,5% (GA) en 2013 (contre +2,3% en GA en 2012), avant de ralentir à +0,5% (GA) en 2014.

Le commerce extérieur

La contribution des exportations nettes a progressé de +0,4% au T1 (contre -0,1% au T4) grâce, principalement, à la croissance des exportations (+3,8% T/T) qui a compensé celle des importations (+1,1% T/T). Néanmoins, le Japon devrait enregistrer un déficit commercial au moins jusqu'en 2014 étant donné que les importations énergétiques demeurent excessives à cause de la fermeture prolongée des centrales nucléaires.

Le rythme des exportations s'est accéléré de +3,8% T/T au T1 (contre -2,9% T/T au T4), signant sa première hausse depuis quatre trimestres. Bien qu'une dévaluation du yen puisse potentiellement soutenir les exportations, la dynamique positive dans laquelle ces dernières s'inscrivent devrait donner des signes de fléchissement dans la mesure où les anticipations font état d'une demande mondiale déprimée. Les mesures visant à réduire le déficit budgétaire devraient, une nouvelle fois, être à l’origine d’une croissance négative en Europe et brider la croissance américaine. Les perspectives de croissance en Asie émergente, premier partenaire commercial du Japon, sont encore incertaines puisque la Chine va chercher un compromis entre la vigueur et la qualité de sa croissance. Malgré la faiblesse du yen, la reprise des exportations devrait être limitée, passant de – 0,1% (GA) en 2012 à +1,4% (GA) en 2013 et +1,7% (GA) en 2014.

Les importations se sont redressées, passant de -2,2% T/T au T4 à +1,0% T/T au T1. Le niveau des importations devrait rester élevé puisque le Japon continuera d'importer une grande part de son énergie1 tant qu'il maintiendra la fermeture de ses centrales nucléaires. Qui plus est, il va avoir besoin d'importer des matières premières supplémentaires dans le cadre de l'augmentation de ses dépenses publiques. Ainsi, après avoir progressé de +5,4% (GA) en 2012, les importations devraient encore augmenter de +1,9% (GA) en 2013 et de +0,6% (GA) en 2014.

L'investissement public

L'investissement public a augmenté de +0,8% T/T au T1 après s'être accéléré de +2,8% T/T au T4. Au T1, le secteur public a contribué à la croissance économique globale à hauteur de +0,2%. Bien que les commandes de travaux publics, un indicateur avancé de l'investissement public, aient ralenti de +7,6% (GA) en février à +2,5% (GA) en mars, la politique budgétaire devrait être le principal moteur de l'économie en 2013. En effet, la coalition emmenée par le PLD prévoit de consacrer une enveloppe de près de 10 000 milliards de yens (environ 2% du PIB) à des projets de travaux publics au niveau national en 2013, un montant déjà approuvé par la Diète. Bien que la pénurie de main-d'œuvre dans le secteur de la construction soit susceptible de retarder la mise en œuvre de certains projets, l'économie japonaise devrait être soutenue par l'investissement public tout au long de l'exercice fiscal.

Le cycle des stocks

Reflétant l'évolution positive de la consommation des ménages, des exportations et de l'investissement public, les expéditions industrielles ont progressé en avril pour le troisième mois consécutif et le cycle des stocks s'est amélioré de façon significative. La production industrielle a également fait preuve d'une vigueur inattendue en signant une hausse de +1,7% M/M. Le cycle des stocks ayant progressé, la production industrielle pourrait s'avérer supérieure aux prévisions du ministère japonais de l'Economie, du Commerce et de l'Industrie (METI), qui anticipe une baisse entre mai et juin. Comme indiqué plus haut, la concentration de la demande en amont de la hausse de la TVA et l'investissement public devraient davantage soutenir la production.

Les termes de l'échange

Si le rapport du PIB au T1 a fait état d'éléments positifs, il a aussi révélé que la dynamique positive de la politique économique de Shinzo Abe risquait de ne pas pouvoir s'inscrire dans la durée. Par exemple, les pertes d'échange se sont alourdies, passant de -3.4% du PIB au T1 à -3,9% au T4. Ces pertes sont imputables à la faiblesse du yen qui a détérioré les termes de l'échange. Étant donné que le Japon importe des quantités importantes de produits de base (denrées alimentaires, matières premières et carburant), la faiblesse de la devise nipponne a entraîné une accélération des transferts de revenu vers l'étranger2. La concurrence accrue de la part des voisins asiatiques rend également difficile la répercussion du coût élevé des importations sur les prix des exportations. Aussi, des investissements plus élevés en R&D et dans l'éducation sont nécessaires de façon à exporter des produits à plus forte valeur ajoutée et ainsi compenser les coûts plus élevés des importations.

L'investissement des entreprises

Malheureusement, l'investissement non résidentiel a reculé de -0,7% T/T au T1, enregistrant un cinquième trimestre de baisse consécutif. Au registre des bonnes nouvelles, les résultats courants ont progressé pour le cinquième trimestre consécutif selon l'enquête du ministère des Finances réalisée auprès des entreprises. Etant donné qu’il existe un décalage d’environ environ deux trimestres entre les bénéfices et les investissements, l'investissement des entreprises pourrait commencer à se stabiliser aux alentours du T3. En effet, il devrait augmenter à partir du second semestre à la faveur de la hausse attendue de la TVA en avril 2014. Le secteur non manufacturier, qui est confronté à une capacité de production insuffisante, devrait tirer la croissance. Néanmoins, au vu des incertitudes liées à la politique économique de Shinzo Abe, l'investissement non résidentiel devrait reculer de -1,6% (GA) en 2013 (contre +2,0% en GA en 2012) avant de croître de +1,9% (GA) en 2014.

La troisième flèche

Début juin, Shinzo Abe a présenté la troisième flèche, autrement dit sa stratégie de croissance. Son objectif est d'augmenter le revenu par habitant de 1,5 millions de yens sur dix ans (soit une croissance annualisée de +3 %), mais les détails de la stratégie se sont avérés assez décevants. Concernant la déréglementation, le gouvernement n'a pris que des initiatives sporadiques comme l'autorisation de la vente en ligne de médicaments sans ordonnance. Les réductions d'impôts applicables à certaines zones économiques, dans lesquelles des entreprises privées exploiteraient des équipements publics telles que routes et aéroports, n'ont pas fait l'objet de discussions. De plus, des décisions épineuses concernant les réformes du marché de l'emploi ont été reportées après les élections sénatoriales du 21 juillet. Même si Shinzo Abe réussit à concevoir des projets crédibles en vue de dérèglementer et de réformer le marché de l'emploi, il sera impératif de venir à bout de la déflation avant de les mettre en œuvre. En effet, la mise en œuvre de réformes structurelles dans un contexte de déflation pourrait conduire à une intensification des tensions déflationnistes.

L'inflation

La déflation a commencé à donner des signes de stabilisation. L'IPC core de Tokyo, qui est un indicateur avancé de l'inflation nationale, a progressé de +0,1% (GA) en mai pour la première fois depuis quatre ans et deux mois. Étant donné que l'écart de production négatif s'est réduit, passant de -2,9% du PIB au T4 à -2,3% au T1, la baisse de l'IPC national pourrait l'imiter progressivement. Cependant, il convient de noter que les coûts de l'électricité (+13,7% en GA) ont le plus contribué à la hausse de l'IPC core de Tokyo.

Par conséquent, tant que les salaires de base, dont il a été fait mention ci-dessus, continueront à baisser, la dynamique positive de la consommation privée et de l'ensemble de l'économie a peu de chances d'être pérenne. Dans ces conditions, si l'écart de production négatif reste important, les tensions déflationnistes pourraient cesser de s'apaiser.

La politique monétaire

La BoJ a décidé de maintenir le statu quo lors de sa réunion du mois de mai, en demeurant optimiste quant à ses prévisions économiques. Début avril, elle a décidé de doubler sa masse monétaire afin d'atteindre l'objectif d'inflation de 2% d'ici deux ans. Comme nous l'avons mentionné plus haut, les chiffres du PIB au T1 ont été plutôt encourageants et la BoJ s'attend à ce que l'économie retrouve un rythme de croissance modéré. De ce fait, il est probable qu'elle souhaite maintenir le statu quo et analyser l'efficacité de sa politique d'assouplissement monétaire agressive jusqu'au mois d'octobre, lorsqu'elle publiera son rapport sur les perspectives économiques. Bien que les anticipations inflationnistes se soient légèrement reprises, nous pensons que la BoJ aura du mal à atteindre l'objectif d'inflation de 2%, à moins que le niveau des salaires n'augmente.

Yen

Récemment, la monnaie nippone s'est soudainement appréciée, passant de 102 yens pour 1 dollar à 97 yens pour 1 dollar. D'abord, le taux de change s'est montré sensible aux récentes évolutions des perspectives relatives à la politique de la Fed. Si cette dernière décide de reporter le retrait de sa politique d'assouplissement quantitatif, le yen est plus susceptible de s'apprécier face au dollar.

Ensuite, si les anticipations inflationnistes ont légèrement augmenté au Japon, le marché financier pourrait se montrer sceptique quant à la capacité de la BoJ d'atteindre l'objectif d'inflation de 2%3. La dépréciation du yen ayant, de toute évidence, été excessive, un tel scepticisme pourrait entraîner son appréciation en augmentant les taux d'intérêt réels. De ce fait, bien que la base monétaire semble indiquer une dépréciation du yen jusqu'à atteindre 110 yens pour un dollar (Graphique 7), le marché des changes devrait être agité.

NOTES

  1. En 2012, l'énergie (pétrole, GNL et charbon) a représenté environ deux tiers des importations globales.
  2. Veuillez vous reporter à notre Rapport spécial : « Japon : yen en baisse, pertes en hausse ? » No 41, le 20 mars 2013.
  3. Veuillez vous reporter à notre Rapport spécial : « Japon : nouvelle dépréciation du yen en vue ? Partie II » No 8, le 25 janvier 2013.

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