Joe Biden et le monde face au défi climatique

par Philippe Waechter, Chef économiste chez Ostrum AM

Joe Biden a fait de la lutte contre le réchauffement climatique un de ses chevaux de bataille. L’objectif de neutralité carbone a l’horizon 2050 est très ambitieux compte tenu du retard pris durant les années Trump. Mais le président américain veut mettre des moyens considérables pour réduire les risques associés au climat. Il y voit d’abord une source d’innovations susceptibles de maintenir le leadership américain dans ce domaine et il y voit surtout un moteur majeur pour la création d’emplois dans la durée. Les américains reviennent au multilatéralisme sur cette question globale, remettant ainsi le climat au premier rang des préoccupations mondiales. Mais il faut aller très vite pour qu’il ne soit pas trop tard.

Face a la question climatique, Joe Biden a pris l’initiative d’une réunion virtuelle de 40 chefs d’Etat. C’est sa troisième action majeure sur ce thème après les décisions prises les 20 et 27 janvier.

  • Le 20 janvier, lors de son installation à la Maison Blanche il avait signé le retour des Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat prenant ainsi le contrepied à son prédécesseur dont le premier geste avait été d’exclure les USA de cet accord planétaire dont l’objet est de limiter le réchauffement climatique.
  • Une semaine plus tard, le 27 janvier, il annulait les décisions prises at Donald Trump pour faciliter l’exploration et l’exploitation d’énergies fossiles sur les terres fédérales. C’était un signal fort pour indiquer que l’équilibre changeait aux USA dans les choix énergétiques.

La nomination de John Kerry au poste de représentant spécial sur le climat est aussi une bonne idée car c’est lui qui avait négocié l’accord de Paris pour les Etats-Unis. L’objectif de cette réunion virtuelle est double.

Le premier objectif est politique pour montrer que les américains sont de retour sur ce thème global essentiel et que les Etats-Unis reviennent dans les négociations multilatérales. On se souvient que le précédent locataire de la Maison Blanche ne souhaitait que des relations bilatérales. Sur un sujet comme le climat qui est un bien public global c’était une impasse.

L’autre raison est aussi de définir des objectifs ambitieux pour les USA car l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 sera difficile. C’est aussi de montrer le leadership nouveau des américains sur cette question en voulant embarquer avec eux les autres grands pays. Le voyage de Kerry en Chine allait dans ce sens. Ce déplacement du représentant spécial sur le climat était d’autant plus important que la Chine avait pris, ces dernières années, la place laissée vacante par l’Amérique. Sa mission a réussi car les chinois sont partants pour la réunion de jeudi et vendredi prochains, et Xi Jinping devrait prendre la parole. C’est un succès aussi parce que Chinois et Américains, mettant de côté leurs nombreux différents, se sont mis d’accord pour étudier une stratégie visant à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Cette stratégie doit être prête pour le prochain sommet sur le climat de Glasgow qui aura lieu en novembre prochain.

Les enjeux

La décennie 2020 pourrait être celle, si elle est vertueuse, qui permettra de maintenir des chances pour satisfaire l’accord de Paris. Cet accord doit permettre, à l’horizon 2100, de limiter la hausse des températures à moins de 2 degrés et le plus proche possible de 1.5 degrés. La tendance actuelle (3.2 degrés à la fin du siècle selon les Nations Unies) semble au-delà de ce qui est défini dans l’accord. Cela serait alors catastrophique comme le rappelle un rapport récent des Nations Unies. Dans celui-ci, il est indiqué que pour satisfaire à l’objectif de 2 degrés, il faudrait multiplier par trois les moyens évoqués dans l’accord et pour atteindre 1.5 degrés, il faudrait les multiplier par 5.

L’urgence à intervenir tient en cinq points :

1- L’inflexion sur les émissions de gaz à effet de serre n’est pas encore franchement perceptible. Les émissions ont augmenté en 2019 à un niveau jamais observé et le repli de 2020 (-7%) apparait conjoncturelle plutôt que structurel.

2- La transformation du gaz émis en effet de réchauffement de l’atmosphère se fait dans le temps. Il y a une inertie importante entre l’émission et l’effet de serre. Tant que les émissions restent élevées, il est illusoire de s’attendre à un résultat rapide. En outre avec l’objectif de zéro carbone à l’horizon 2050, il faut agir très vite et avec des moyens considérables puisque les gaz émis ne se transformeront en effet de serre que dans plusieurs années.

3- L’évolution récente présente une sorte de déterminisme car depuis 1988, chaque nouvelle année dont on peut mesurer la température s’inscrit dans le top 10 des années les plus chaudes. Pour voir les choses autrement, on peut indiquer que depuis 1880, la température moyenne augmente de 0.08 degré par décennie mais depuis 1981, la hausse décennale est de 0.18 degré.

4- Le phénomène de réchauffement pourrait s’accélérer en raison du réchauffement des océans. Jusqu’à présent cela a été un fort facteur d’inertie pour ralentir le réchauffement global de la terre. Cependant la température moyenne des océans s’accroît créant les conditions pour que l’effet de refroidissement de l’eau joue moins que par le passé.

5- Le dernier rapport du GIEC montre que les perturbations seront nettement plus prononcées si la température converge vers 2 degrés que si elle reste à 1.5. L’intensité et la fréquence des évènements climatique s’intensifieraient fortement. Le rapport récent des Nations Unies est plus pessimiste que le GIEC. Cela implique désormais de mettre des moyens considérables pour éviter une situation dans laquelle chacun serait fortement pénalisé.

La situation est alarmiste et cette réunion convoquée par Joe Biden ne peut être qu’une étape pour réussir à mobiliser tous les pays et tous les acteurs économiques. Il faut agir maintenant pour des résultats qui ne se feront sentir que dans quelques courtes décennies. Notre défi est là.