par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
L’eurodollar avait bien résisté aux turbulences des marchés l’été dernier, se maintenant au-dessus de 1,40. Depuis, l’euro a initié un mouvement baissier qui s’est intensifié à partir du mois de mars 2012. Ces derniers jours, l’eurodollar se situait vers 1,23, plus bas atteint depuis mi-2010. Cette tendance à la baisse de l’euro contre d’ailleurs la plupart des monnaies peut s’expliquer par de nombreux facteurs qui risquent fort de continuer de prévaloir dans les mois qui viennent.
– Le risque institutionnel qui porte sur la zone euro est probablement le facteur dominant dans la baisse de l’euro observée ces derniers mois. Après les opérations exceptionnelles de la Banque Centrale Européenne en décembre et février derniers (VLTRO1) qui ont soufflé un vent d’optimisme sur les marchés, les problèmes européens sont revenus sur le devant de la scène avec en particulier les élections grecques qui ont à nouveau soulevé la question de l’appartenance à la zone euro. Parallèlement les difficultés financières des banques espagnoles posent la question d’une aide européenne à l’Espagne pour la recapitalisation de son système bancaire dont le besoin est estimé à au moins 50Md€. La situation européenne risque de rester très tendue pendant le mois de juin et l’été s’annonce chaud : après les élections du 17 juin en Grèce, les Grecs vont devoir décider s’ils souhaitent rester ou non dans la zone euro. Un maintien de la Grèce dans l’euro serait une bonne nouvelle car cela atténuerait les anticipations de sortie d’autres pays. Mais même dans ce scénario optimiste, qui nous semble toujours le plus probable car le moins coûteux pour tout le monde, le potentiel de rebond de l’euro est limité en l’absence d’une réponse crédible au problème grec.
– L’aversion pour le risque, hautement liée à la situation européenne, est aussi un facteur qui favorise le dollar. Il semble très probable qu’elle reste élevée dans un futur proche.
– La faiblesse de la croissance dans la zone euro et l’écart important avec les Etats-Unis. La croissance de la zone euro a stagné au premier trimestre avec un recul important, notamment en Espagne et en Italie. Les perspectives restent très dégradées pour l’ensemble de la zone euro, les indicateurs cycliques continuant de suggérer que la croissance ne va guère se redresser dans les mois qui viennent. La dernière livraison des PMI manufacturiers européens est inquiétante avec une nouvelle baisse de l’indice zone euro à 45,1. La différence avec les Etats-Unis est flagrante même si la croissance américaine a tendance à ralentir depuis quelques mois, elle n’a progressé que de 1,9% en rythme annualisé au premier trimestre 2012 vs 3% au T4-2011. L’écart de croissance pourrait se resserrer en 2013 si les Etats-Unis s’engagent dans la nécessaire consolidation budgétaire.
– Les politiques monétaires : depuis l’été dernier, la BCE a mené de nombreuses actions pour tenter d’atténuer la crise de liquidité et stabiliser le système. Outre la baisse de taux refi de 50pb à l’automne 2011, réduisant l’écart de taux courts avec les Etats-Unis, la BCE a fortement augmenté la taille de son bilan (d’environ 1000Md€ : de 2000Md€ à 3000Md€). Parallèlement si la Réserve Fédérale américaine a mis en place le changement de la structure de son bilan avec « l’opération twist » pour agir sur les taux longs, elle n’a pas augmenté sa base monétaire. Après une période de statu quo, il semble fort probable que la BCE soit contrainte de poursuivre ses actions dans les mois qui viennent. Elle pourrait annoncer de nouvelles mesures en cas de dégradation sur les marchés : elle pourrait à nouveau abaisser le taux refi de 50pb pour le porter à 0,50%, ce qui se justifierait par la dégradation des perspectives de croissance de la zone euro. Elle pourrait également réactiver le SMP2 qui est en veille depuis plusieurs semaines, en achetant des titres espagnols ou italiens. Elle pourrait aussi remettre en place des allocations de liquidité à long terme.
Au total, l’euro baisserait davantage dans un futur proche et le potentiel de rebond nous semble limité en l’absence d’une réponse politique forte et crédible de la part des autorités européennes.
Enfin, si la baisse de l’euro reflète la faiblesse de la zone euro à de nombreux points de vue (politique, économique et financière), elle est cependant la bienvenue pour les exportateurs européens. Le revers de la médaille est la hausse du prix des produits importés mais dont l’impact devrait être atténué par la chute du prix du pétrole, qui a perdu près de 25 dollars depuis mi-mars.
NOTES
- VLTRO : Very Long Term Refinancing Operations : allocations illimitées de la liquidité à 3 ans pour des montants de 489Md€ et 529Md€.
- SMP : Securities Market programme