La BCE baisse les taux et annonce des achats d’ABS

Par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a surpris en annonçant une baisse de l’ensemble de ses taux directeurs. Le taux principal de refinancement tombe à 0,05% (le taux des TLTROs sera donc de 0,15%) et le taux de la facilité de dépôt à -0,20%. Mario Draghi a annoncé qu’il n’y aurait pas de nouvelle baisse: la limite basse des taux directeurs est à présent (réellement) atteinte.

• Les autres annonces – un programme d’achats de titres adossés à des actifs (ABS) et d’obligations sécurisées (Covered Bonds), dont les détails opérationnels seront publiés en octobre – et les changements apportés au communiqué et aux prévisions du staff sont globalement en ligne avec nos prévisions. Point crucial, Mario Draghi a explicitement évoqué un accroissement du bilan de la BCE d’environ 1 000 Mds EUR pour le ramener vers les niveaux atteints en 2012 (un point haut à 3 100 Mds EUR). Cette expansion, qui pourrait cependant prendre plus de temps qu’attendu, se ferait à la fois via les injections nettes de liquidités résultant des TLTROs et des achats d’actifs (de l’ordre de 500 Mds dans les deux cas).

• Ces nouvelles mesures d’assouplissement viennent en complément du «package» de juin, et devraient avoir un effet très positif sur les perspectives macroéconomiques à moyen terme, raison pour laquelle nous continuons d’exclure des rachats d’obligations souveraines (« QE souverain »). La charge de la preuve reste toutefois du côté des chiffres d’activité et d’inflation dans les prochains mois.

Voici les principaux points que nous retenons de la réunion de politique monétaire du mois de septembre :

• La baisse-surprise des taux de la BCE peut être interprétée de plusieurs manières, on peut notamment penser qu’un taux des TLTROs plus bas – celui-ci est désormais fixé à 0,15% (taux de refinancement + 10 pdb) – soutiendra la demande de liquidité des banques et in fine les prêts à l’économie réelle. Il aurait été préférable, selon nous, de supprimer l’écart de 10 pdb entre le taux des TLTROs et celui des MRO (opérations de refinancement principales), pour arriver au même résultat. Nous voyons plusieurs raisons qui expliquent la décision de la BCE d’abaisser l’ensemble du corridor de taux, faisant ainsi suite aux propos de Mario Draghi à Jackson Hole selon lesquels « tous les instruments de politique monétaire » – pas seulement les outils non-conventionnels – seraient utilisés. Tout d’abord, cet élément de surprise a pu apparaître à la BCE comme un moyen d’atténuer l’éventuelle déception que pouvait provoquer l’absence d’annonce d’un « QE souverain ». Deuxièmement, la BCE semble de plus en plus à l’aise avec la baisse de la devise laquelle, à défaut d’être un objectif explicite de sa politique monétaire, est un canal de transmission de sa politique sur lequel elle a (ou pense avoir) encore un certain contrôle. Nous considérons qu’il s’agit là d’une stratégie risquée, compte tenu du fait que d’autres facteurs (les flux de capitaux, par exemple) joueront également un rôle dans l’évolution de la devise à l’avenir. Enfin, la baisse des taux directeurs renforce de facto le guidage des anticipations (« forward guidance »).

• Mario Draghi a déclaré que la limite basse des taux directeurs était atteinte (« lower bound »). Il y avait eu beaucoup de confusion sur ce sujet lors des dernières conférences de presse et la clarification faite ce mois-ci montre que la BCE veut éviter que les banques attendent pour emprunter des fonds via les TLTROs dans l’espoir d’une nouvelle baisse des taux directeurs. La première opération de TLTRO, programmée le 18 septembre, pourrait donc susciter davantage d’intérêt que nous ne l’anticipions jusqu’alors, même si nous continuons de prévoir une forte demande cumulée pour les TLTROs à l’horizon 2015- 2016 (lien). Une conséquence immédiate pour les marchés monétaires est que l’Eonia et les autres taux courts vont subir de fortes pressions baissières dès la semaine prochaine.

• Les décisions de la BCE n’ont pas été prises à l’unanimité. Après la réunion, les médias suggéraient que Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, s’était opposé à la fois aux baisses de taux et aux achats d’ABS. Dans le même temps, le Conseil des gouverneurs est resté « unanime dans son engagement à utiliser de nouvelles mesures non conventionnelles, si nécessaire ». Ces deux affirmations ne nous paraissent pas totalement cohérentes, si ce n’est que l’engagement à en faire plus reste conditionné à une détérioration des perspectives d’inflation.

• Les prévisions du staff n’ont été révisées qu’en légère baisse pour 2014-2015, et n’ont pas été révisées en baisse pour 2016, année pour laquelle la prévision de croissance a au contraire été relevée d’un dixième de point à 1,9%. La prévision d’inflation pour 2016 est restée inchangée à 1,4%, malgré une légère baisse de l’inflation sous-jacente, à 1,5% fin 2016. Compte tenu de la manière dont les prévisions du staff sont construites (et notamment du fait qu’elles n’intègrent pas l’effet des mesures annoncées lors de la réunion de septembre), les révisions ne suggèrent pas de changement majeur dans l’évaluation du staff sur les perspectives de moyen terme. La baisse de 2,5% de l’euro en termes effectifs par rapport aux prévisions du mois de juin a probablement été compensée en partie par les nouvelles décevantes enregistrées sur le front de la croissance. Étonnamment, la BCE n’a pas assorti ses perspectives de stabilité des prix d’une balance des risques et, dans son communiqué, elle a justifié les nouvelles mesures par « la faiblesse des perspectives d’inflation » tout en indiquant qu’elle surveillerait de près les effets de diffusion des dernières mesures.

• Concernant les programmes d’achats d’ABS et de Covered Bonds, nous nous réjouissons de la préannonce de la BCE, qui rejoint nos vues de longue date (lien), selon lesquelles des achats d’actifs sur les bilans bancaires étaient souhaitables. Le diable sera toutefois dans les détails opérationnels qui seront publiés le mois prochain. Les interventions débuteront en octobre, probablement avec des montants assez faibles au départ, à la fois sur le marché primaire et le marché secondaire. Elles engloberont les RMBS (titres adossés à des créances hypothécaires), conformément à ce qu’avait indiqué Mario Draghi, afin que le volume d’actifs éligibles soit conséquent – jusqu’à 500 Mds EUR selon l’estimation (lien) de l’institut Bruegel. Toutes ces catégories d'ABS (titres adossés à des actifs) sont éligibles aux opérations de refinancement proposées par la BCE (lien) et sont effectivement massivement mobilisées, à l’exception des RMBS qui ne sont pas éligibles dans le pool utilisé pour calculer les allocations de TLTROs.

Point très important, la BCE pourrait décider d’acheter une large palette d’actifs avec un profil de risque élevé, parmi lesquels des tranches mezzanine d’ABS, à condition qu’elles soient « garanties ». Le fonctionnement exact de ces garanties publiques reste à préciser, mais le fait est que la BCE a fait preuve d’audace en termes de prise de risque et cette décision est potentiellement très positive en termes de croissance. Nous sommes plus sceptiques en ce qui concerne le nouveau programme (CBPP3) d’achats de titres sécurisés ou Covered Bonds, dans la mesure où le programme précédent avait dû être fermé en 2012 (lien) « en réponse à la demande croissante des investisseurs pour les obligations sécurisées de la zone euro et à la baisse de l’offre de ces titres ». Nos analystes Covered Bonds pensent qu’un tel programme pourrait recevoir un accueil assez mitigé, les émissions de Covered Bonds ne représentant ‘que’ 110 à 125 Mds EUR l’année prochaine, selon leurs estimations, dans un marché déjà très compressé.

• Le message essentiel envoyé par Mario Draghi concernant la taille des programmes ABS et CBPP3 est que la BCE vise à faire remonter la taille de son bilan vers ses niveaux de 2012, ce qui supposerait une hausse de près de 1 000 Mds EUR. Cette hausse, qui pourrait cependant prendre plus de temps qu’attendu, devrait provenir d’injections nettes de liquidité liées aux TLTROs et d’achats d’actifs (de l’ordre de 500 Mds dans chaque cas). La question du taux de change devrait une nouvelle fois jouer un rôle important dans l’analyse de la BCE.

• Enfin, nous estimons que les annonces du mois de septembre ont diminué la probabilité de mise en œuvre d’un « QE souverain » (programme d’achats de titres souverains par la BCE). Il faudra un certain temps pour évaluer l’impact des TLTROs et des achats d’ABS, lesquels ne sont pas encore mis en œuvre. L’idée d’un QE souverain restera à l’ordre du jour, mais la BCE se montrera probablement patiente, à moins d’un nouveau choc. Les anticipations d’inflation, que Mario Draghi a décrites comme restant ancrées, mais avec des risques croissants, joueront un rôle déterminant à court terme. Si, comme nous le prévoyons, l’inflation remonte à partir du mois d’octobre, les anticipations devraient également se stabiliser et la BCE devrait pouvoir éviter la mise en œuvre d’un QE souverain.

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