par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas
Les marchés financiers n’ont pas raté leur rendez-vous mensuel avec la Banque centrale européenne, jeudi 3 février. Le maintien du taux Refi à 1% et un discours qui ne s’est pas durci eu égard aux craintes inflationnistes ont contribué à rassurer les opérateurs financiers qui anticipaient un resserrement monétaire prématuré. L’euro s’est replié contre dollar, de 1,3850 à 1,3635, perdant ainsi plus de deux figures, tandis que le taux Eonia baissait à 0,6%.
Comme en janvier dernier, M. Trichet s’est dit inquiet de l’évolution récente de l’inflation. En effet, cette dernière a encore progressé le mois dernier, atteignant 2,4% après 2,2% en décembre. Le président de la BCE a souligné à cet égard que des pressions à la hausse étaient désormais perceptibles dans les phases avancées du processus de formation des prix.
En effet, l’enquête de la Commission européenne de janvier a indiqué une légère hausse des pressions sur les prix. Les entreprises anticipent une progression de leurs prix de vente. L’indice s’est redressé de 4 points en janvier et se trouve désormais sur ses niveaux de l’été 2007. Quant aux ménages, ils prévoient une nette augmentation des prix à la consommation d’ici à douze mois. Toutefois, la hausse récente des cours du pétrole1 explique en grande partie cette remontée, et les niveaux atteints demeurent bas d’un point de vue historique (ils sont toujours inférieurs de plus de 15% à ceux du milieu des années 1980). Enfin, les anticipations de prix à 12 mois sont particulièrement sensibles aux évolutions à court terme. Nous ne pouvons toutefois exclure que la BCE ne s’inquiète davantage des conséquences de la hausse des prix sur les anticipations d’inflation et les effets de second tour si celle-ci venait à se prolonger et se renforcer.
A contrario, l’inflation sous-jacente demeure très modeste (probablement 1,2% en janvier après 1,1% en décembre) dans la mesure où les coûts salariaux constituant l’un des principaux facteurs d’évolution de l’indice des prix hors énergie et alimentation ne progressent que modérément. Si cette affirmation est vraie pour la zone euro dans son ensemble (le bulletin mensuel de la BCE pour janvier confirme la faible croissance des coûts horaires et des salaires négociés dans l’Union monétaire), l’Allemagne fait figure d’exception. En effet, à 7,4% en janvier, le taux de chômage allemand est retombé sous son niveau d’avant la crise économique et financière et n’a jamais été aussi bas depuis la réunification en 1992. Des tensions salariales ne sont, par conséquent, pas à exclure. Il est, toutefois, peu probable qu’elles fassent tache d’huile auprès des pays voisins.
Finalement, l’écart rhétorique existant entre la BCE et la Réserve fédérale est marquant. D’une part, M. Trichet insistait récemment sur le fait que ni l’inflation sous-jacente ni les « points morts d’inflation » ne sont nécessairement des indicateurs très fiables de l’inflation à moyen terme. De fait, la BCE préfère de loin son enquête trimestrielle auprès des prévisionnistes professionnels, EPP, qui comprend des anticipations d’inflation à 5 ans (celle du T1 2011 sera publiée la semaine prochaine2).
D’autre part, la Banque centrale américaine continue de lier l’évolution de l’inflation et des anticipations, estimant que celles-ci demeurent stables tandis que le niveau atteint par l’inflation sous-jacente reste incompatible avec son double mandat (0,8% en décembre dernier). Il est vrai que chaque banque centrale poursuit des objectifs de politique monétaire quelque peu différents. Alors que la Banque centrale européenne est dotée d’un objectif d’inflation à moyen terme chiffré (proche mais inférieur à 2%), celui de son homologue américaine qui n’est pas quantifié comprend aussi la garantie du plein emploi. A cet égard, le rapport emploi de janvier, bien que décevant, confirme l’amélioration progressive des conditions sur le marché du travail (36K emplois privés non agricoles ont été créés en janvier après 121K en décembre
Concernant la sortie de politique de crise, la BCE garde toutes les options ouvertes. La liquidité en excédent sur le marché monétaire a reculé au cours des derniers mois, ce qui signale que le système bancaire pris dans son ensemble est moins dépendant de la BCE. Toutefois, la situation n’est pas homogène et les banques irlandaises, portugaises et, dans une moindre mesure, espagnoles sont encore très dépendantes des fonds alloués par la Banque centrale. Un retour prématuré au dispositif d’allocation de liquidités prévalant avant la crise leur serait très préjudiciable. En mars, la BCE dévoilera les modalités des opérations de refinancement au deuxième trimestre.
- L’enquête de la Commission a été menée avant la crise égyptienne. Le baril de Brent a progressé de près de 7% depuis.
- Au quatrième trimestre 2010, les anticipations d’inflation à 5 ans de l’EPP s’établissaient en moyenne à 1,90%, en baisse par rapport au triemstre précédent (1,95%).