La BCE et la Fed vont-elles baisser leur taux de dépôt ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Simultanément des deux côtés de l’Atlantique, la question de la baisse du taux de dépôt est revenue au centre des débats cette semaine. En effet, d’un côté les Minutes de la Fed publiées le 20 novembre ont évoqué la possibilité d’une diminution du taux de dépôt actuellement à 0,25% et de l’autre côté, une rumeur sur une éventuelle baisse prochaine du taux de dépôt de la BCE (actuellement à 0%), le portant en territoire négatif, se propageait. A première vue, cette similitude peut apparaître surprenante en raison de la différence de situation des deux banques centrales. En effet, la Fed réfléchit aux moyens de sortir de son QE3 dans un contexte d’amélioration de la conjoncture économique alors que la BCE réfléchit aux moyens de rendre les conditions monétaires plus accommodantes dans un environnement où le risque déflationniste commence à ressortir.

Aux Etats-Unis, la discussion sur le taux de dépôt (IOER, interest on excess reserves) a été ré-ouverte au dernier FOMC (octobre). Les Minutes révèlent en effet que si les membres du FOMC considéraient la réduction des achats de titres comme prématurée à ce stade, les débats avaient porté sur les options possibles à utiliser pour compenser ses effets, notamment sur les anticipations de 1 hausses des Fed Funds. En zone euro, la baisse du taux de dépôt en négatif était déjà depuis un certain temps une option possible , mentionnée à tous les conseils des gouverneurs, mais la baisse de la liquidité excédentaire ces dernières semaines et le resserrement induit sur les conditions monétaires ont fait renaître les spéculations sur sa possibilité. La rumeur a porté sur une légère baisse de 0,1%.

Rappelons que le taux de dépôt est le taux auquel la banque centrale rémunère la liquidité excédentaire déposée par les banques. Il sert traditionnellement de plancher au taux interbancaire. Avant la crise, en zone euro, le taux de dépôt évoluait de concert avec le taux refi avec un corridor de + / -100pb (inférieur de 100pb au refi). Depuis la crise, ce dernier s’est progressivement resserré et n’est plus aujourd’hui que de 25pb. Aux Etats-Unis, le taux de dépôt (IOER) a été instauré fin 2008 lorsque l’objectif des Fed funds avait été abaissé à 0%/0,25% et que la taille du bilan avait été augmentée de façon à déconnecter la taille du bilan et le taux effectif des Fed funds.

Aux Etats-Unis, ces dernières années, la Fed s’est toujours refusé de porter l’IOER à 0%. Cette option de baisser l’IOER a été présentée comme risquée, avec des résultats ambigus de l’analyse coût-bénéfices. L’effet positif attendu, qui serait de faire baisser davantage le taux effectif des fed funds, serait très faible dans la mesure où celui-ci traite à 0,09pb en moyenne depuis mai dernier, déjà sensiblement sous la borne haute de la fourchette de l’objectif 0%/0,25%. De plus, les coûts sont potentiellement importants avec des perturbations possibles sur le marché des Fed funds (baisse de la liquidité avec possible sortie des participants) et l’impact négatif sur les fonds monétaires qui sont des acteurs importants aux Etats-Unis. Dans ce contexte, la réticence de la Fed à porter l’IOER à 0% pourrait continuer de prévaloir mais sa stratégie pourrait être de le baisser de 10/15pb de façon à le maintenir légèrement positif tout en donnant un signal au marché. En zone euro, la baisse du taux de dépôt en territoire négatif était jusqu’à récemment considérée comme un passage dans l’inconnu. Si techniquement, les banques sont prêtes, et en dehors du risque sur les fonds monétaires qui ont déjà subi le passage à 0%, le risque est de transmettre un message déflationniste.

Avec l’introduction de la forward guidance dans la zone euro et la nécessité de déconnecter le QE3 de la politique de taux aux Etats- Unis, la donne a quelque peu changé. En effet, le principal intérêt de baisser le taux de dépôt, que ce soit aux Etats-Unis ou dans la zone euro, est de renforcer l’effet de la forward guidance sur la partie courte de la courbe en envoyant un signal aux marchés sur leur engagement à maintenir les taux directeurs à leur bas niveau. Alors que la baisse du taux de dépôt semblait très risquée avec peu d’avantages, elle pourrait désormais être considérée comme un instrument utile.

Nous continuons de penser que ces décisions ne sont pas sans risque. Pour autant, il ne nous semble pas impossible que la Fed et la BCE se décident finalement à passer à l’acte. Quelles que soient leurs décisions sur le taux de dépôt, il faudra nécessairement que la Fed et la BCE annoncent rapidement des changements dans la conduite de leur politique monétaire.

Les dernières Minutes suggèrent que le tapering est très proche. Si à ce stade, une réduction des achats nous semble encore le plus probable en janvier, un bon rapport sur l’emploi de novembre (publié le 6 décembre) provoquerait une action rapide de la Fed dès son FOMC du 18 décembre. En parallèle, elle renforcerait sa forward guidance de façon à limiter l’impact négatif sur les taux courts.

Du côté de la BCE, nous attendons également des annonces pour renforcer la forward guidance dès le prochain meeting (5 décembre) avec la publication des « délibérations » (Minutes) et peut-être des annonces qui pourraient concerner la taille de son bilan. Le mois de décembre risque d’être animé sur les marchés.

NOTES

  1. Cf Edito de Eco hebdo de juillet 2012 sur le taux de dépôt négatif

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