La BCE face aux tensions sur les marchés monétaires

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

En octobre dernier, nous mettions en avant le risque que la BCE soit contrainte d’agir plus rapidement que ce qui était anticipé par les économistes et les marchés, en raison de la montée du risque de déflation. Début novembre, elle abaissait le refi à 0,25% par surprise. Si la configuration est quelque peu différente aujourd’hui, l’euro est un peu plus faible (à 1,36 contre dollar vs 1,38 à l’époque) et les indicateurs de conjoncture ont continué de s’améliorer, les tensions sur le marché monétaire pourraient être le facteur conduisant l’annonce de nouvelles mesures prochainement.

En effet, depuis fin novembre, les taux monétaires ont eu tendance à augmenter reflétant la réduction de l’excès de liquidité dans le système (220Md€ début octobre à 125Mds le 21 janvier). Si, comme le soulignait Mario Draghi lors de sa dernière conférence de presse, il n’y a pas de relation stable entre le niveau de l’eonia et la liquidité excédentaire, la baisse de cette dernière a cependant des effets haussiers sur les taux monétaires. Les tensions se sont accentuées ces dernières semaines : le passage de fin d’année est toujours une période compliquée mais les tensions ont persisté en janvier, l’eonia dépassant même le refi, signifiant un besoin de liquidité entre deux MRO (en effet, les banques ont un accès illimité à la liquidité toutes les semaines à 0,25%, en théorie l’eonia ne devrait donc pas dépasser le refi sauf besoin imprévu de liquidité par les banques). Depuis le début de l’année, l’eonia atteint 0,21% en moyenne contre 0,09% en octobre dernier.

Or l’augmentation des taux courts provoque un resserrement des conditions monétaires que ne souhaite pas la BCE. Comme l’a également souligné M. Draghi, deux facteurs seraient susceptibles de conduire à de nouvelles actions : l’augmentation du risque de déflation et la hausse des taux monétaires. La BCE a plusieurs outils pour détendre les tensions sur les marchés monétaires :

• Baisser à nouveau le refi pour le porter à 0,1% ce qui aurait tendance à capper l’eonia. Ceci n’implique pas forcément une baisse du taux de dépôt qui peut être maintenu à 0% évitant les désagréments potentiels d’un taux de dépôt négatif, même si aujourd’hui la BCE semble plus encline à le faire (option présentée par Draghi). Une baisse du taux sur la facilité de prêt marginal (aujourd’hui à 0,75%) et qui constitue en temps normal (lorsqu’il n’y a pas d’allocation illimitée de la liquidité) un plafond au taux jour le jour pourrait également capper davantage l’eonia mais il faudrait une forte baisse du corridor. Cela ne permettrait pas en revanche de le faire revenir à des niveaux significativement plus faibles.

• Baisser le taux des réserves obligatoires de 1% à 0,5% libérant ainsi environ 50Md€ de liquidité.

• Limiter la stérilisation du SMP (Securities Markets Programme) de façon à augmenter la liquidité ; rappelons que la BCE retire du système la liquidité octroyée avec les achats de titres publics (grecs, italiens, espagnols, irlandais et portugais) via des reprises de liquidités en blanc. Jusque fin novembre, la BCE n’avait pas de problème pour stériliser mais depuis avec la fonte des liquidités excédentaires, elle n’arrive pas à stériliser systématiquement le montant total du SMP (152Md€ cette semaine). En abaissant le taux de rémunération des liquidités reprises (aujourd’hui égal au refi), le montant stérilisé pourrait baisser et ainsi libérer des liquidités. Le frein à une telle mesure est la volonté de certains (notamment l’Allemagne) de stériliser les achats de titres publics de façon à ce que cela ne s’apparente pas à de la monétisation des dettes publiques… Il nous semble toutefois que cette mesure n’a que peu d’inconvénient et pourrait être efficace.

• Ouvrir une nouvelle facilité de financement aux banques à plus long terme (type VLTRO conditionnel) pour gérer la fin des VLTRO dans la douceur et éviter un deleveraging trop important de certains systèmes bancaires. Toutefois, la BCE dans ses dernières communications semble assez réticente pour le moment.

Dans un premier temps, elle pourrait privilégier la baisse du taux des réserves obligatoires qui n’a que peu d’inconvénient mais ce n’est probablement pas la mesure la plus efficace pour capper les taux courts à un niveau plus faible. Une baisse du refi et/ou du taux maximal sur les liquidités en blanc (la première engendre nécessairement la deuxième mais pas l’inverse) serait plus efficiente de notre point de vue ce qui nous laisse penser qu’une baisse du refi est loin d’être exclue.

Dans les semaines qui viennent, l’évolution des taux monétaires va donc être très importante. Au-delà des aspects purement monétaires et de liquidité, c’est bien l’impact sur l’économie réelle via les conditions de financement aux agents privés qui est primordial pour la BCE. La publication de son enquête sur les conditions de crédit le 30 janvier sera donc particulièrement importante dans l’appréciation de l’utilité d’une éventuelle facilité de liquidité destinée à soutenir les crédits aux agents privés.

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