La Chine croît, l’Ouest reste coi

par Alexandra Estiot et Christine Peltier, économistes chez BNP Paribas

L’été 2011 restera dans les mémoires : à défaut d’être chaud, il aura été stressant. En août, les marchés boursiers mondiaux ont célébré le quatrième anniversaire de la crise avec une chute d’ampleur suffisante pour qu’on la qualifie de krach. Au pire du mois, les indices européen et américain étaient en baisse de respectivement 17% et 12%. Un rebond en fin de mois (de 7% et 8%, respectivement) a finalement permis de limiter la baisse mensuelle, à 11% et 4%. Les raisons de se réjouir ont, en effet, été bien peu nombreuses. Bien sûr, le pire a été évité : le Congrès américain a trouvé un accord de dernière minute pour relever le plafond de la dette fédérale, et les dirigeants européens ont annoncé un deuxième plan de soutien à la Grèce.

Mais ces décisions n’ont pas suffi à rassurer, et les deux premières semaines du mois d’août ont été particulièrement turbulentes, avec les prémices d’une contagion de la crise de la dette souveraine à l’Espagne, et même à l’Italie. Les rendements à 10 ans ont culminé le 4 août, à 6,284% pour l’Espagne et 6,195% pour l’Italie, amenant les spreads (vis-à-vis du Bund allemand) à près de 400 points de base. La BCE a alors annoncé qu’elle relançait son programme d’achats de titres : en six semaines, la BCE a acheté près de EUR 69 milliards de titres souverains européens, pour un portefeuille total de EUR 202 milliards (au 9 septembre 2011). Mais le calme n’est pas pleinement revenu sur les marchés : en effet, la question des finances publiques des pays développés ne constitue qu’un problème parmi d’autres. La principale source d’inquiétude est bien le ralentissement mondial.

Chine, une croissance insolente

Les effets de la crise financière sur l’économie réelle ont commencé de se faire sentir en 2008. La croissance mondiale a ainsi ralenti d’une moyenne d’environ 5% l’an entre 2004 et 2007, à moins de 3% en 2008. En 2009, et pour la première fois depuis la crise de 1929, l’économie mondiale a plongé en récession, l’activité reculant de 0,5%.

Ces chiffres cachent des disparités régionales très importantes : la récession a ainsi été profonde pour les économies avancées (-3,4% en 2009 après une quasi- stagnation en 2008) alors que les économies émergentes se sont contentées de ralentir (+8% par an entre 2004 et 2007, +6,1% en 2008 et +2,7% en 2009). Et ici, la Chine se distingue : en 2009, au pire de la crise mondiale, l’Empire du Milieu a enregistré une croissance de 9,2%, apportant 1,2 point à la croissance mondiale. Sans la Chine, la récession aurait été bien plus profonde, avec un recul de l’activité planétaire de près de 2%.

– La Chine sort (presque) indemne de la crise de 2009

En 2009, la Chine a donc réussi le pari de découpler, au moins partiellement, sa croissance de celle des économies développées. Face à l’effondrement des exportations, les autorités ont frappé fort. L’énorme plan de relance introduit dès novembre 2008, en mettant l’accent sur le développement des infrastructures et l’injection de crédits par les banques locales, a permis une très rapide expansion de l’investissement en 2009 – alors que la contribution nette du commerce extérieur à la croissance devenait fortement négative.

Le pari n’était pourtant pas gagné d’avance. Au cours de la décennie précédant la crise, la croissance chinoise a été particulièrement dépendante de la demande mondiale en biens manufacturés. La part des exportations de marchandises dans le PIB chinois est ainsi passée de 20% en 2001 à 35% en 2007 à la veille de la crise (pour redescendre à 27% en 2010), une année où le commerce extérieur net apportait près de 3 points à la croissance.

Tout en devenant «l’usine du monde», la Chine a aussi confirmé son rôle de formidable moteur de la croissance planétaire. En 2000-2007, sa croissance moyenne annuelle s’est établie à 10,5%. Les raisons de ce taux spectaculaire sont bien connues : l’Empire du Milieu a tiré profit de ses immenses ressources en «facteurs de production» que sont le travail (rapide augmentation d’une main-d’œuvre à bas coûts, liée notamment à l’exode rural) et le capital (taux d’investissement très élevés, supérieurs à 40% du PIB, facilement financés par une épargne locale abondante). Elle a également enregistré d’importants gains de productivité et su monter progressivement dans la chaîne de valeur ajoutée dans l’industrie exportatrice. Les gains de parts de marché ont suivi : la Chine représentait 9% des exportations mondiales en 2007, contre 4% en 2000.

Dans un environnement international soudain beaucoup moins favorable, la croissance chinoise a certes perdu de la vigueur, passant d’abord d’un taux record de 14,2% en 2007 à 9,6% en 2008 (au ralentissement des exportations s’est ajoutée une forte correction sur le marché immobilier), puis à 9,2% en 2009. Ce ralentissement est, néanmoins, resté modeste, et, dès 2010, la croissance est repassée au- dessus de 10%.

L’effondrement du commerce extérieur fin 2008 et en 2009 a, en effet, été compensé par le solide rebond de l’investissement ; la croissance de la Formation Brute de Capital Fixe serait ainsi passée de 10%-15% en 2004-2008, en termes réels, à plus de 20% en 2009. Vivement encouragé par le plan de relance du gouvernement central, l’investissement public a été le premier à rebondir – les collectivités locales, en particulier, ont massivement investi dans les projets d’infrastructure (ferroviaires notamment) et l’immobilier. L’important desserrement de la politique monétaire et les mesures d’incitation fiscale ont aussi conduit au rapide redressement de l’investissement privé et de la consommation des ménages en 2009. En 2010, la croissance de l’investissement public s’est modérée en réponse aux mesures d’austérité introduites par Pékin, inquiète de la montée des prix immobiliers et du gonflement de l’endettement des provinces et municipalités.

Néanmoins, la dynamique positive de la demande privée s’est poursuivie. Les dépenses des ménages sont restées soutenues par la hausse de leurs revenus ; l’investissement dans le marché immobilier a entretenu les signes de surchauffe ; et la reprise des exportations a aidé au redressement de l’investissement dans le secteur manufacturier.

Les exportations chinoises se sont en effet rapidement redressées dès la mi-2009 et en 2010, grâce à l’amélioration de la demande mondiale et à de nouveaux gains de parts de marché. Les prix à l’exportation chinois n’ont progressé que lentement pendant cette période, notamment maintenus par la stabilité du taux de change du yuan contre dollar. La part des exportations chinoises dans les exportations mondiales a ainsi continué d’augmenter, dépassant 10% en 2010.

– Pas si faible, le yuan

Certains accusent la Chine d’avoir «triché», maintenant la valeur de sa monnaie à des niveaux artificiellement bas. Certes, Pékin a choisi, entre juillet 2008 et juin 2010, d’ancrer le yuan au dollar afin de favoriser la stabilité financière et de soutenir son secteur exportateur dans un contexte de crise internationale. Mais la vérité est que le yuan s’apprécie progressi- vement depuis 2005 et devrait continuer de le faire à moyen terme. Entre juillet 2005 et juillet 2011, le yuan a gagné 20% contre le dollar en termes nominaux et s’est apprécié quasiment de la même ampleur en termes effectifs réels.

Il est peu probable que la Chine modifie significativement sa politique de change dans un proche avenir. L’actuel régime de change, qualifié d’«administré», devrait être conservé ; le yuan va continuer de fluctuer par rapport à un panier de monnaies de référence (la composition de ce panier n’est pas connue car, en pratique, seul le taux de change yuan contre dollar est publié). Les autorités ont laissé le yuan s’apprécier de 2,6% contre le dollar entre juin 2010 (fin de la période d’ancrage fixe pendant la crise) et fin 2010, puis de 2,6% au premier semestre 2011. Ce rythme sera probablement conservé dans les douze prochains mois. Le yuan restera étroitement contrôlé par les autorités, qui devraient continuer d’exclure la possibilité d’une forte réévaluation dans un contexte de réduction (modérée) des excédents commerciaux et d’augmentation des coûts salariaux dans l’industrie. De plus, l’appréciation du yuan contre le dollar peut être mécaniquement limitée en cas d’affaiblissement de la monnaie européenne.

Bien qu’ils la dénoncent aussi souvent que possible, Américains et Européens ont, par ailleurs, des raisons de se réjouir de cette «manipulation» chinoise : la Chine détient ainsi 27% du montant total des titres du Trésor américain détenus à l’étranger et s’est récemment déclarée prête à acheter massivement les titres émis par le FESF, le fonds de soutien européen. En «administrant» sa monnaie, la Chine finance aussi les pays développés…

– Ralentissement sous contrôle en 2011

En 2011, la croissance chinoise ralentit. Elle s’est établie à 9,7% au premier trimestre (glissement annuel) et 9,5% au deuxième, en réponse au resserrement de la politique économique, à la détérioration des conditions de production dans le secteur manufacturier (hausse des coûts, durcissement des conditions de crédit) et à un environnement international de moins en moins favorable. La croissance devrait perdre encore en vigueur dans les prochains trimestres, pour s’établir à un taux toujours robuste de 9,2% cette année et 8,5% en 2012.

La dégradation des perspectives de croissance aux Etats-Unis et en Europe depuis l’été n’a conduit à revoir que modestement les prévisions de croissance chinoise pour 2011 et 2012. La faiblesse de l’activité dans les économies avancées devrait, une nouvelle fois, réduire assez fortement la contribution du commerce extérieur à la croissance chinoise. Et les autorités ne devraient pas, comme on l’a dit, employer l’arme du taux de change (en interrompant l’appréciation nominale du yuan) pour tenter de doper ses exportations. En outre, la croissance de la demande intérieure devrait, tout en restant solide, poursuivre dans les prochains mois une phase de ralentissement initiée depuis le début de l’année.

Face à l’accélération continue de l’inflation, qui atteignait 6,2% en août 2011, les autorités ont poursuivi le durcissement de la politique monétaire et devraient maintenir ce cap à très court terme. D’une part, les risques sociaux que génèrent les hausses des prix alimentaires et immobiliers restent la préoccupation majeure du gouvernement, qui devrait donc maintenir la lutte contre l’inflation au « top » de ses priorités, même au prix d’une croissance plus modeste. D’autre part, les autorités pourraient aussi vouloir poursuivre le resserrement de leur politique de crédit afin de continuer à renforcer leur contrôle sur les activités de financement du secteur bancaire. Celui-ci doit, en effet, maintenant gérer les conséquences de l’explosion de ses prêts et activités hors-bilan depuis 2009 sur la qualité de ses actifs. Ainsi, la décision annoncée fin août d’élargir la base de dépôts sur lesquels les banques doivent calculer leurs réserves obligatoires va probablement dans ce sens.

Néanmoins, le scénario d’un «atterrissage brutal» de l’économie à court terme est peu probable. La Chine bénéficie d’importants «stabilisateurs» de croissance. Ainsi, les dépenses des ménages se révèlent solides (les salaires augmentent) et l’investissement public devrait rester soutenu par un ambitieux programme de construction de logements à loyers modérés. Des marges de manœuvre pour assouplir la politique monétaire pourraient réémerger lorsque les pressions inflationnistes s’atténueront (ce qui est prévu d’ici la fin de l’année).

Sur le plan budgétaire, les options existent, bien qu’elles soient limitées par l’augmentation rapide de l’endettement des collectivités locales en 2009-2010 (qui atteint aujourd’hui un niveau estimé à 35% du PIB) et les inquiétudes qu’elles suscitent sur leur solvabilité à moyen terme. Mais le gouvernement central, quant à lui, continue de disposer d’amples moyens d’action en cas de ralentissement excessif de l’activité. Avec une dette officielle à moins de 20% du PIB et des déficits inférieurs à 3%, le gouvernement central a les ressources pour lancer, par exemple, de nouveaux projets d’investissement public ou réintroduire des avantages fiscaux pour stimuler les dépenses des ménages.

– Un moteur dorénavant moins emballé

L’actuelle détérioration de la demande mondiale et ses conséquences sur le cycle économique en Chine coïncident avec une période de ralentissement plus «structurel». En effet, un rééquilibrage des sources de la croissance chinoise est attendu dans les prochaines années, le lancement du douzième Plan quinquennal en 2011 ayant donné une impulsion à ce processus de changement. La Plan quinquennal pour 2011-2015 vise une croissance «harmonieuse» plutôt qu’une croissance «à deux chiffres», ce qui implique un meilleur équilibre entre exportations, investissement et consommation des ménages, mais aussi entre provinces intérieures et zones côtières, et une meilleure distribution des richesses au sein de la population. En modifiant les priorités de leur modèle de développement, les autorités chinoises devraient devenir plus «tolérantes» à des taux de croissance un peu plus modérés – mais toujours robustes.

Ainsi, la croissance chinoise devrait être proche de 9% par an en moyenne en 2011-2015, contre 11,7% en 2003-2007. D’une part, les exportations resteront un important moteur de croissance, malgré une progression moins forte que pendant les années 2000- 2008. L’industrie chinoise est bien positionnée pour continuer de gagner des parts de marché. Alors que les coûts salariaux vont continuer d’augmenter et que le yuan va s’apprécier progressivement à moyen terme, la Chine devrait conserver son rang de leader mondial des exportations, pour différentes raisons. D’abord, sa compétitivité «hors prix» reste forte (infrastructures, réseaux de fournisseurs…). Ensuite, la relocalisation de la production suscitée par les hausses de salaires n’encouragera pas seulement les entreprises à déplacer leurs usines des régions côtières vers les pays voisins à plus bas salaires, mais aussi vers les provinces intérieures chinoises qui conservent des coûts de production plus faibles. Enfin, la hausse des coûts salariaux dans les régions côtières accélérera la montée en gamme de leur production – d’autant plus vite que certains secteurs industriels à haute valeur ajoutée bénéficieront du soutien financier des pouvoirs publics.

D’autre part, la consommation des ménages, qui ne représente aujourd’hui que 35% du PIB, devrait continuer de se développer progressivement dans les prochaines années. Son expansion passera par l’augmentation continue des salaires ainsi que par des réformes structurelles visant à accroître l’offre de logements à loyers modérés, à améliorer les services de santé et les retraites, et à réduire le coût de l’éducation. Ces réformes doivent inciter les Chinois à réduire leur épargne à moyen-long terme. Le processus sera lent, voire très lent, mais il semble enclenché grâce, par exemple, à la forte hausse des salaires minimum en 2010, à l’accélération des programmes de construction de logements publics ou aux efforts des autorités pour avancer dans les réformes des systèmes de santé et de retraite.

Le monde développé s’essouffle

La croissance chinoise devrait donc tenir et avec elle celle de la plupart des pays émergents. Mais cet apport sera-t-il suffisant à contrebalancer le ralentissement vers lequel les économies développées se dirigent ? Le premier semestre 2011 a été très décevant pour les économies développées. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB a été limitée à 0,7% (rythme annualisé) en moyenne sur les six premiers mois de l’année. Pour la zone euro, le chiffre est bien supérieur (+2%), le premier trimestre ayant bénéficié d’un rebond après une fin d’année 2010 marquée par un climat très rude : le ralentissement de la croissance entre les premier et deuxième trimestres 2011 n’en est que plus frappant, à +0,7% après +3,4%. Il faut dire que les chocs se sont multipliés, le vent de liberté soufflant sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ayant conduit à une flambée des prix du pétrole alors que la catastrophe naturelle qui a frappé le Japon a entraîné des perturbations dans les chaînes de production mondiales.

Il y a encore quelques mois, nous attendions un fort rebond de l’activité au second semestre 2011. Les enquêtes publiées cet été sont venues modérer notre enthousiasme. Entre février et août, les indices PMI (auprès des directeurs d’achats) dans le secteur manufacturier ont chuté : de 10 points en zone euro et de près de 11 points aux Etats-Unis, avec un recul des composantes « nouvelles commandes » encore plus marqué (-14 et -19 respectivement). Pourtant, aux Etats-Unis, l’indice composite demeure au-dessus des 50 points, alors que sa composante «nouvelles commandes » a (très légèrement) rebondi : peut-être le pire est-il derrière nous. Même si c’est le cas, l’évolution récente de l’activité continuera de peser pour quelques temps encore sur l’emploi.

– L’emploi en berne

En effet, il n’y a guère qu’en Allemagne (6,1%, au sens du Bureau international du Travail) et au Japon (4,7%) que les taux de chômage sont favorables. Dans la zone euro dans son ensemble, le taux de chômage reste d’environ 2,5 points supérieur à son niveau d’avant la crise, avec des chiffres alarmants en Espagne (21%), Grèce (16,6%) et Irlande (14,3%).

Aux Etats-Unis, l’écart est de près de 5 points : au pire de la crise, le chômage était en hausse de près de 9 millions ; il n’a depuis reculé que de 1,6 million de personnes (soit environ 20% de la hausse). Dans la zone euro, l’augmentation du nombre de chômeurs a été moins importante (moins de 5 millions), mais le recul subséquent également plus limité (300 000, soit 6,5% de la hausse). Le revenu disponible des ménages a donc été sous une double pression, avec des destructions d’emplois, un taux de chômage élevé limitant la progression nominale des salaires et une accélération de l’inflation, notamment dans ses composantes énergétique et alimentaire. Ainsi, le revenu disponible réel des ménages reste, aux Etats-Unis, inférieur d’environ 2% à son pic de la mi-2008.

 – Austérité !

En deux mots, les ménages des pays riches ne peuvent contribuer de façon massive à la croissance. D’une part, dans bon nombre de pays (Etats-Unis, Irlande, Espagne…), ils doivent assainir leur situation financière (désendettement, remontée du taux d’épargne). D’autre part, le marché du travail est trop dégradé pour leur apporter les revenus nécessaires. La question des aides publiques se pose alors. Mais les marchés ont été clairs avec les pays développés : trop endettés, ils doivent réduire leurs déficits publics. C’est pourquoi la rigueur est le maître mot des politiques budgétaires dans la zone euro et les Etats-Unis. Le Royaume-Uni, qui est l’un des premiers pays à avoir adopté ce chemin au début de l’été 2010, est l’exception: si l’austérité n’est pas abandonnée, le gouvernement ne prévoit pas de tour de vis supplémentaire. Dans le reste de l’Europe, les annonces d’économies se sont multipliées cet été. Bien sûr, les pays placés sous l’aile protectrice du FMI et du FESF sont particulièrement agressifs.

A la fin juin, la Grèce a dû voter un nouveau train de mesures visant à économiser l’équivalent de 2,8 points de PIB, afin d’obtenir un second plan de sauvetage. Mi- septembre, un nouveau train de mesures drastiques a été annoncé (mise au chômage technique de 30 000 fonctionnaires, baisse de 20% des retraites supérieures à EUR 1 200 par mois et abaissement à EUR 5 000 du seuil au-delà duquel l’impôt sur le revenu est dû).

Au Portugal, le gouvernement se fixe pour objectif de ramener le budget à l’équilibre dans un délai de cinq ans, avec de fortes coupes dans les dépenses (équivalant à 7 points de PIB, avec l’extension d’un gel des salaires des fonctionnaires, l’accélération de la baisse des effectifs dans le secteur public et une réduction des prestations sociales) et une hausse des impôts (avec l’introduction d’un nouvel impôt de «solidarité» sur les revenus des ménages et des entreprises les plus élevés).

Ensuite, viennent les pays, qui, alors même qu’ils ne présentent aucun problème de solvabilité, ont vu leurs taux d’intérêt augmenter fortement. L’Italie a réagi particulièrement vite : la Chambre des députés a voté des mesures de réduction du déficit de EUR 48 milliards en seulement une semaine ! Par la suite, le gouvernement italien a annoncé quatre mesures supplémentaires visant à ramener le budget à l’équilibre d'ici à 2013 et non plus 2014 comme prévu auparavant (à travers des réductions du financement des retraites, un renforcement des mesures contre la fraude fiscale, une réduction du train de vie général de l’Etat et la suppression de certaines autorités publiques locales, ainsi qu’une augmentation de la TVA, des taxes sur les jeux et sur les actifs financiers). Ainsi, entre 2011 et 2014, le déficit public italien sera réduit de EUR 145 milliards, soit environ 9% du PIB. Standard & Poor’s a jugé ces mesures insuffisantes et dégradé la note souveraine de l’Italie (de A+ à A, avec une perspective négative). Une fois de plus, nous jugeons cette action sévèrement : si l’Italie a bien une dette très élevée, la soutenabilité de cette dette n’est pas en question (voir EcoWeek # 11-33 « Dynamique de la dette italienne »).

La réaction du gouvernement espagnol ressemble davantage à un réglage fin, avec seulement EUR 5 milliards de mesures visant à assurer l’objectif de déficit de cette année.

Par ailleurs, les gouvernements italien et espagnol se sont engagés à adopter la «règle d'or» de l’équilibre budgétaire. De fait, la règle de l’équilibre budgétaire pourrait être adoptée par plusieurs autres pays de la zone euro, suivant la proposition formulée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à la mi-août. De plus, le sommet des dirigeants de la zone euro le 21 juillet avait résolu de resserrer les objectifs budgétaires pour l'ensemble des pays membres (les déficits budgétaires seront ramenés sous les 3% d'ici à 2013). Cette situation a conduit la France et l’Allemagne à annoncer elles aussi des mesures de discipline budgétaire (voir EcoWeek #11-30 «France : devoirs de rentrée» et «Allemagne : un déficit public en deçà de 3% en 2011»).

– Les banquiers centraux, au chevet de l’économie

Dans un monde idéal, l’heure ne devrait pas être à l’austérité mais bien à la relance budgétaire. Mais l’été a montré, si besoin était, que le monde n’est pas idéal. Par ailleurs, si la croissance ralentit, il est difficile d’envisager une récession. En effet, les éléments qui conduisent habituellement à une contraction marquée de l’activité (niveau des stocks trop important, excès de consommation, notamment de biens durables, excès d’investissement, notamment dans le secteur résidentiel) sont absents du tableau actuel. Reste que les économies développées sont convalescentes, et un choc d’offre (flambée du prix du pétrole, catastrophe naturelle d’ampleur…) les fragiliserait davantage. Les banquiers centraux restent une source de soutien non négligeable dans un tel cas de figure.

Ils l’ont montré très récemment en décidant de fournir conjointement (Fed, BCE, BoE, BNS et BoJ) de la liquidité en dollars de façon illimitée. En Europe, le ralentissement de l’économie ainsi que celui de l’inflation ouvrent la porte à un assouplissement des taux directeurs de la BCE. Aux Etats-Unis, les taux ne peuvent plus baisser, ce qui ne laisse pas pour autant la Fed sans armes. Les outils non conventionnels dont elle dispose ont été passés en revue lors de la réunion du FOMC de début août :

  1. afficher clairement les orientations du Comité sur la trajectoire probable de la politique monétaire ;
  2. rallonger l’échéance moyenne du portefeuille de la Fed sans en modifier la taille ;
  3. abaisser le taux de rémunération des réserves bancaires excédentaires déposées à la Fed ;
  4. lancer un nouveau programme d’assouplissement quantitatif (quantitative easing).

La première arme a été utilisée dès le mois d’août, les membres du FOMC annonçant leur intention de laisser les taux d’intérêt aux niveaux actuels très bas jusqu’à la mi-2013.

Lors de la réunion du mois de septembre, les membres du FOMC ont lancé l’Opération Twist. Sur neuf mois, et à hauteur de USD 400 milliards, la Fed va procéder à des achats de titres du Trésor longs (maturités de 6 à 30 ans), financés par la vente de titres courts (maturités inférieures ou égales à 3 ans). Cette opération laissera inchangée la taille du bilan de la Fed… pour l’instant. On ne peut, en effet, pas exclure le recours à la quatrième arme: une nouvelle vague d’assouplissement quantitatif. Une telle action serait hautement controversée, pourtant. QE2, la deuxième vague, avait vu naître la dissension au sein du FOMC et les critiques de bon nombre de membres du Congrès, alors que cet afflux de liquidités avait certainement joué un rôle non négligeable dans l’épisode de hausse des prix des matières premières. Reste que la Fed prendra sa décision au vu de l’évolution de l’emploi américain et de rien d’autre.

Tous ces éléments nous amènent, certes, à prévoir un ralentissement mondial pour l’année prochaine. Mais la croissance de 2012 restera supérieure à celle de 2009. Avec environ 1%-1,5% dans le monde développé et environ 8,5% en Chine, la croissance mondiale devrait rester supérieure à 3%. Cette répartition géographique de la croissance mondiale aura des conséquences sur les prix des matières premières qui devraient, ainsi, demeurer élevés malgré les ralentissements européen et américain. Espérons que l’hiver ne sera pas trop rude.

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