La Fed pourrait-elle remonter les taux plus rapidement ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La question peut paraître paradoxale alors même que le FMI comme la Fed révise à la baisse ses projections de croissance américaine pour 20141 et que J. Yellen a conservé un ton très dovish lors du dernier FOMC le 18 juin2. Pourtant, il nous semble que l’approche de la fin du tapering et les évolutions récentes suggèrent que cette question pourrait revenir animer les marchés dans un futur proche. Qu’est ce qui a changé récemment ?

L’amélioration sur le marché du travail s’est quelque peu accélérée avec de fortes créations d’emplois (234K en moyenne sur les trois derniers mois) et la poursuite de la baisse du taux de chômage qui se situe à 6,3%. Point important, si le taux de participation ne se redresse guère, ce qui devrait être le cas dans la phase de reprise du marché du travail, il a cessé de baisser depuis octobre dernier. En parallèle sur la même période, le taux de chômage a baissé de près d’un point… La situation s’améliore donc clairement sur le marché du travail américain conduisant les membres de la Fed à revoir leurs projections de taux de chômage pour fin 2014 et fin 2015 à la baisse… Fin 2015, le taux de chômage ne sera plus très loin de son niveau structurel.

De son côté, l’inflation s’est nettement redressée ces deux derniers mois pour revenir à 2,1% en mai après un point bas à 0,9% en octobre 2013. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) progresse également pour atteindre 1,9%. Cette tendance haussière de l’inflation n’est pas la conséquence d’un choc particulier mais résulte d’une accélération des prix dans la plupart des secteurs. Pour certaines composantes (santé,…), cette accélération est liée à la fin d’effets particuliers qui avaient tiré l’inflation à la baisse fin 2013 début 20143. Pour les loyers, elle résulte de l’amélioration sur le marché immobilier. Les prix alimentaires, eux, ont subi les effets haussiers des prix des matières premières agricoles et les prix de l’essence ont également augmenté (de 11% depuis le début de l’année). Les prix des biens hors énergie et alimentation restent à la traine mais ont stoppé leur mouvement baissier ces deux derniers mois… Jusqu’à présent, l’inflation ne constituait pas un problème pour la Fed, proche de 2%, elle va redevenir un facteur à prendre en compte.

Malgré la baisse plus rapide du taux de chômage, Yellen ne manque jamais une occasion de rappeler que le marché du travail est toujours caractérisé par la persistance d’un important « slack » (nombreuses personnes susceptibles de travailler qui sont en activité partielle contrainte ou en inactivité). De plus, la Fed ne semble pas non plus particulièrement inquiète de l’évolution récente des prix. Sa mesure préférée de l’inflation, le déflateur de la consommation (PCE deflator) devrait se situer à 1,6% en mai, en hausse également par rapport au point bas de février 2014 (à 0,9%) mais toujours sensiblement inférieure à 2%. Par ailleurs, la progression des salaires reste modérée (environ 2%) et ne montre toujours pas de signe d’accélération.

Alors que l’on va se rapprocher progressivement de ses deux objectifs de politique monétaire, le plein emploi (5,5% de taux de chômage) et une inflation d’environ 2%, la Fed va toutefois se retrouver dans une position délicate.

Le resserrement de sa politique monétaire pourrait avoir des effets importants sur la croissance. La Fed veut évidemment éviter un choc sur les taux qui ne manquerait pas d’affaiblir davantage le marché immobilier qui patine depuis plusieurs mois et mettrait en risque le redémarrage de l’investissement. Elle veut vraisemblablement également éviter une baisse des prix des actifs risqués avec potentiellement un renversement des effets richesse des dernières années. Elle souhaite probablement aussi éviter une trop forte appréciation de son taux de change alors que les entreprises américaines commencent à regagner des parts de marché… Pour toutes ces raisons, nous continuons de penser que la Fed devrait rester prudente dans sa sortie de la politique de taux zéro.

Si lors de la conférence de presse du 19 mars J. Yellen avait déclaré que « considerable period » pouvait correspondre à 6 mois suggérant que les taux courts pourraient être augmentés à partir de mars 2015 (6 mois après la fin du tapering prévu en octobre), prenant les marchés par surprise, elle s’est révélée beaucoup plus prudente depuis, ne réitérant pas ses propos et insistant plutôt sur le fait que même lorsque l’inflation et le taux de chômage seront revenus aux niveaux désirés par la Fed, les taux seront maintenus à un niveau plus faible que par le passé. Elle va devoir continuer ce numéro d’équilibriste consistant à préparer la hausse des taux courts (que nous voyons mi-2015) tout en essayant de maintenir les taux longs à un bas niveau. La communication va rester un outil primordial dans la période post tapering.

NOTES

  1. Principalement en raison d’effets de base avec un premier trimestre très faible.
  2. Cf snap : June 17-18 FOMC statement: no surprises, slightly more hawkish “dots”
  3. Cf. Flash N°2014 :272 : Etats-Unis : faut-il s’inquiéter de la faiblesse de l’inflation ?

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