par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Si la vague de dégradations des notes souveraines n’avait concerné jusqu’à l’été que des pays européens périphériques (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne), le pas a été franchi par les agences de notation pour s’attaquer à de plus grands pays. S&P a en effet downgradé les Etats-Unis cet été, lui faisant perdre son triple-A. En Europe, l’Italie a également été dégradée par les trois grandes agences de notation en septembre et octobre.
C’est maintenant au tour de la France de se retrouver sur la sellette. Moody’s a en effet annoncé qu’il mettait sous revue pour trois mois la perspective stable de la France qui pourrait conduire à une perspective négative et ensuite à une dégradation de la note française. La raison invoquée par l’agence pour justifier cette revue est le risque croissant portant sur les finances publiques françaises, lié à la forte détérioration de la situation des banques (et leur possible recapitalisation) et au potentiel soutien supplémentaire donné aux autres pays européens.
Les conséquences d’une éventuelle baisse de la notation de la France, qui lui ferait perdre son triple-A, sont de plusieurs ordres : tout d’abord, la dégradation de la qualité de crédit de la France impliquerait vraisemblablement une augmentation du coût de financement de sa dette publique. L’annonce de la mise sous revue a déjà provoqué un renchérissement de la prime de risque demandée à la France par rapport à l’Allemagne, l’écart de taux 10 ans passant d’environ 80pb début octobre à plus de 119pb le 20 octobre. Pour autant, l’impact a été plus modéré sur le taux d’intérêt français (moins de 20pb), l’élargissement du spread OAT-Bund s’étant aussi opéré par une baisse du taux allemand.
Cela aurait également des conséquences sur les notations et donc le coût du crédit d’un certain nombre d’entreprises qui ont une garantie étatique. Cela dégraderait la notation de la Facilité Européenne de Stabilité Financière (FESF) et pourrait potentiellement créer un nouveau mouvement de défiance sur les solutions mises en place pour résoudre la crise européenne. Les conséquences seraient également politiques, la France pourrait en effet perdre en crédibilité budgétaire et donc en influence au sein de l’Europe.
Certains diront que la dégradation de la note américaine n’a eu que peu d’impact finalement sur les Etats-Unis qui bénéficient toujours de taux d’intérêt très faibles : il ne faut toutefois pas oublier que les Etats-Unis ont un avantage de taille, le dollar, monnaie de réserve internationale, qui leur a permis à une période de forte montée de l’aversion pour le risque cet été de bénéficier de flux sur leur monnaie. De plus, la politique monétaire de la Fed, consistant en une modification de la structure du bilan en achetant des titres de longue maturité a également contribué à maintenir les taux longs bas. Le cas français pourrait être bien différent.
Pourquoi l’agence Moody’s s’intéresse-t-elle plus particulièrement à la France ? Parmi les pays de la zone euro bénéficiant d’un AAA, Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Finlande, la France est celui dont les finances publiques sont les plus dégradées, avec un endettement public en pourcentage du PIB le plus élevé (85% en 2011 vs respectivement 80,4%,64,1%,71,7% et 50%) et un déficit public le plus marqué (-5,7% en 2011 vs respectivement -1,7%, -3,7%, -3,3% et -1 %). C’est également le pays qui a le déficit primaire (hors charges de la dette) le plus important. En termes de perspective, tous les autres pays AAA visent un déficit public inférieur à 3% dès l’année prochaine et deux (l’Allemagne et l’Autriche) verront leur dette publique baisser (en % du PIB). Par ailleurs, c’est également le pays dont le secteur bancaire est le plus exposé aux dettes souveraines périphériques (en particulier l’Italie). Concernant le besoin de financement extérieur, la France est également le pays parmi les AAA dont la situation est la plus défavorable avec un déficit de la balance courante (en % du PIB) de près de 2,4% au S1-2011, reflétant la perte de compétitivité de l’économie française et sa désindustrialisation. La France souffre d’une croissance potentielle faible avec des gains de productivité peu élevés.
Ainsi pour garder son triple-A, la France va devoir convaincre qu’elle est capable de faire plus d’efforts budgétaires, déjà rendus nécessaires par le simple fait que le budget 2012 repose sur une hypothèse de croissance de 1,75%. La période électorale ne va pas faciliter la tâche des autorités pour prendre les mesures nécessaires. Au-delà des aspects budgétaires, la France va devoir également relever le défi de redresser sa compétitivité (fiscalité, productivité, …), de mener une politique industrielle agressive pour renforcer le secteur exportateur et améliorer à terme sa croissance potentielle, conditions nécessaires au rétablissement de son équilibre extérieur.