France : vigilance renforcée

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Lundi 17 octobre 2011, l'agence Moody's indiquait "évaluer [la] perspective stable" de la note attachée à la dette souveraine de la France, la meilleure possible à ce jour (Aaa). Bien que sans implication négative (l'agence communique dans le cadre d'une étude annuelle qui, précise-t-elle, ne présume d’aucune décision), l'annonce a suffi pour que la prime de financement payée vis-à- vis de l'Allemagne s'accroisse. Elle atteignait 117 points de base jeudi 20 octobre, le rendement à 10 ans de l'OAT s'affichant à 3,18% lorsque celui du Bund ressortait à 2,01%.

Qu’aussi peu de mots, prononcés par aussi peu de personnes, puissent avoir autant d’effet a de quoi surprendre. Mais l’importance des jugements émis par les agences de notation ne fait finalement que traduire celle prise par les marchés dans le financement des États. La France, dont la dette est à 80% concentrée en titres négociables (ces derniers étant détenus à 65% par des investisseurs étrangers) ne fait pas exception1. L’appel aux marchés résulte d’un choix collectif opéré de longue date2, qui s’est d’ailleurs révélé profitable en ce sens qu’il a permis d’abaisser le coût de la dette publique.

Ce qui n’exempte pas de certains efforts. Ainsi la France a-t-elle peiné à consolider sa situation financière durant la phase d'expansion qui a précédé la crise. De 2003 à 2007, au cours des cinq ans qui ont suivi le creux consécutif à l’éclatement de la bulle internet, elle a bénéficié d'une conjoncture assez favorable. Sa croissance s’est établie à 2% par an en moyenne3, un rythme proche du potentiel et comparable à celui enregistré après la récession de 1993 (2,2% en moyenne de 1994 à 1998). Durant cette période, le rendement des obligations d’Etat a baissé, pour s’établir la plupart du temps au-dessous du taux de croissance nominale de l’économie4.

De telles conditions offraient la possibilité de réduire, sans trop d’effort, le ratio d’endettement. Nous calculons que ce dernier aurait pu être ramené de 59% à 56% du PIB de 2002 à 2007, moyennant la reconduction d’un excédent primaire modéré, de l'ordre de 1% du PIB chaque année (la moyenne en zone euro sur cette période). Au lieu de quoi la dette a continué de dériver. Elle représentait 64% du PIB en 2007, la France étant alors le seul grand pays d’Europe à afficher un déficit primaire structurel de ses administrations5.

Cette faiblesse initiale ne doit cependant pas être exagérée. On sait que des pays notés « AAA » avant la crise et ayant a priori mieux géré leurs comptes publics, tels l’Irlande ou l’Espagne, se sont révélés beaucoup plus fragiles du fait de l’endettement de leur secteur privé. On peut également souligner que l’Allemagne supporte un ratio de dette publique voisin de celui de la France, à l’entrée dans la crise comme aujourd’hui6.

La différence tient à la dynamique. Alors que l’Allemagne est en passe, grâce à ses excédents primaires, de réduire sa dette, la France doit consentir des efforts. Ces derniers sont substantiels (voir encadré) mais somme toute moins importants que ceux auxquels Royaume-Uni – autre pays noté AAA – se soumet déjà. S’il ne convient donc pas de les surdoser, il est impératif de les entreprendre.

NOTES

  1. L’encours de la dette négociable de l’Etat francais représente 1.309 milliards d’euros à fin août 2011, soit près de 80% du stock de la dette publique (1.650 milliards d’euros estimés à mi année). Son taux de détention par les investisseurs étrangers, en recul depuis mi 2010, s’établit à 65% à fin mars 2011. Source : Agence France Trésor.
  2. Il est opéré en France à partir de 1984 sous le gouvermenent de Pierre Bérégovoy, qui initie le mouvement dit des « Trois D » : dérèglementation, décloisonnement, désintermédiation.
  3. Moyenne géométrique
  4. Le rendement annuel moyen des obligations à 7 ans du Trésor a été inférieur au taux de croissance du PIB nominal de 2004 à 2007 ; le taux d'intérêt apparent sur la dette a été pratiquement égal à la croissance du PIB en 2004 et 2005, et inférieur en 2006 et 2007. Il faut remonter à la fin des années 1970 – période de forte inflation – pour retrouver des conditions de remboursement d'emprunt aussi favorables.
  5. Le solde primaire structurel est supposé mieux reflèter l'orientation de la politique gouvernementale, dans la mesure où il exclut les paiements d'intérêt (avec lesquels le budget doit largement composer) ainsi que l'influence de la conjoncture.
  6. Pour 2011, le ratio d’endettement public au sens de Maastricht est estimé à 82,6% pour l’Allemagne et 85,7% pour la France.

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