par Jean-Ludovic Silicani, président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et postales
L’économie numérique, toutes composantes réunies (équipements, services de communications électroniques, contenus numériques), constitue un secteur fondamental pour l’économie : il représente en effet plus de 6 % du PIB mondial.
Dans le contexte de crise économique majeure que nous connaissons, tous les secteurs doivent faire face à des difficultés importantes. Pourtant, le dynamisme du secteur des communications électroniques semble se maintenir, tiré par la progression toujours soutenue de l’accès au haut débit, tant sur les réseaux fixes que mobiles.
1–Innovation, investissement, concurrence : les objectifs de la régulation
Ce dynamisme repose notamment sur le succès du triptyque innovation – investissement – concurrence : l’innovation et l’investissement sont en effet stimulés par la concurrence, et celle-ci bénéficie au plus grand nombre grâce à l’apparition de services novateurs et abordables. C’est le « triangle d’or » des objectifs de la régulation.
En effet, l’ouverture des marchés de communications électroniques, encadrée par l’action du régulateur, est notable et bénéficie en premier lieu au consommateur.
Ainsi on a pu estimer qu’en France, au cours des sept premières années de l’ouverture à la concurrence (1998-2005), les prix ont, en moyenne, diminué de plus de 30 % et les usages ont été multipliés par près de 2,5 ce qui s’est traduit par un gain pour les consommateurs de plus de 10 milliards d’Fsur la période.
Le taux de pénétration du haut débit en France illustre l’effet bénéfique sur l’innovation que peut avoir l’entrée sur un marché de nouveaux acteurs venant stimuler la concurrence. Entre 2000 et 2009, grâce au dégroupage, les offres Internet se sont démocratisées. Avec des offres comprises entre 20 et 30 F, soit un des plus bas prix existant parmi les économies développées, pour des débits toujours croissants, les services se sont progressivement étoffés, l’abonnement incluant l’accès Internet, les communications téléphoniques et la télévision.
Enfin, parallèlement à la libéralisation des activités de communications électroniques, les règles communautaires ont prévu la mise en place d’un service universel permettant à tous les utilisateurs finals de profiter d’un ensemble minimal de services en tout point du territoire, à un niveau de qualité de service déterminé et à un prix abordable, avec trois objectifs : la solidarité territoriale, la solidarité économique, et l’accessibilité, en particulier aux utilisateurs handicapés
Ainsi, comme le prévoit le cadre européen du secteur des communications électroniques, le régulateur veille simultanément à l’exercice d’une concurrence effective et loyale au bénéfice du consommateur, au développement économique et de l’emploi, et à l’aménagement solidaire du territoire. Cet équilibre demeure adapté au contexte actuel de crise. Il n’y a donc, moins que jamais, de « vacances » pour le régulateur.
2 – Une régulation qui stimule les investissements et l’innovation, afin d’assurer la croissance à long terme
Au-delà de l’évolution du secteur à court terme, nous sommes aujourd’hui, en Europe – l’Asie ayant une avance forte dans ce domaine – au seuil d’un nouveau cycle d’investissement. Le déploiement des réseaux de très haut débit, fixes et mobiles, constitue en effet un chantier considérable : plusieurs dizaines de milliards d’euros en France. Cet investissement agira aussi, par effet de levier, pour renforcer la compétitivité de nos entreprises et contribuer au développement de nouveaux services innovants, permettant l’avènement de la « société numérique ».
Ce défi économique est comparable, par son ampleur et par les conséquences qu’il peut avoir sur l’économie, à celui de l’équipement en chemin de fer de la fin du XIXème qui a porté la croissance pendant près de vingt ans jusqu’à la première guerre mondiale et à celui réalisé en matière de réseaux d’électricité, pendant et après la crise des années 30.
Le très haut débit fixe
Il s’agit en premier lieu de permettre le déploiement des réseaux de fibre optique jusqu’au logement. L’action des pouvoirs publics porte sur trois volets complémentaires :
- mettre en place un cadre juridique permettant de libérer l’investissement ;
- faciliter l’initiative privée afin d’accélérer les déploiements ;
- enfin, mobiliser des fonds publics pour assurer une couverture la plus large et la plus rapide des territoires.
Cette démarche vise à concilier l’incitation à l’investissement des opérateurs privés partout où c’est possible, gage de concurrence et d’innovation, et l’investissement public, nécessaire là où l’initiative privée sera insuffisante. Le cadre conceptuel du déploiement de la fibre conduit en effet à distinguer trois zones :
- Une zone à forte densité de population, estimée en France par le régulateur à environ 5 millions de foyers (soit environ 11 millions d’habitants ce qui représente 1/6ème de la population), dans laquelle une concurrence par les infrastructures, c’est-à-dire le déploiement de plusieurs réseaux d’accès au plus près des logements, est économiquement viable. Un projet de cadre juridique est en cours d’élaboration. Ce cadre est technologiquement neutre et préserve la coexistence des choix technico-économiques des opérateurs, afin de favoriser la concurrence et l’innovation. Il prévoit ainsi la possibilité d’une architecture multifibre, si celle-ci est demandée et préfinancée par les opérateurs.
- Dans une deuxième partie du territoire, moyennement dense, l’économie des réseaux permet certes un déploiement de la fibre sur fonds privés, mais à condition de mutualiser une partie importante des infrastructures. Il s’agit donc dans cette zone de déployer un réseau partagé entre les opérateurs, notamment sur la partie terminale qui irrigue les habitations, réseau qui devra, bien sûr, être ouvert de façon non-discriminatoire.
- Enfin, la zone peu dense du territoire présente une rentabilité trop faible pour permettre un déploiement par les seuls opérateurs privés. C’est la zone dans laquelle le déploiement de la fibre ne sera possible qu’avec l’appui d’une subvention publique versée par les collectivités territoriales – dont l’intervention a déjà permis le succès de la couverture du haut débit – et éventuellement complétée par une subvention de l’Etat. Le gouvernement a ainsi récemment tenu un séminaire sur l’investissement dans l’économie numérique, dans le contexte de réflexions plus générales sur la mise en place d’un grand emprunt national devant financer les investissements structurants de l’avenir.
Dans ce contexte, la régulation est essentielle. Elle passe par deux types d’action :
- Une action asymétrique, c’est-à-dire l’imposition d’obligations à l’opérateur puissant. Il s’agit là du champ traditionnel de la régulation, comme le prévoit le cadre réglementaire européen. C’est ainsi que l’ARCEP a mis en œuvre une régulation du génie civil de France Télécom depuis mi 2008 dans le cadre de l’analyse des marchés conduite par l’Autorité. Cela permet aux opérateurs alternatifs de déployer leurs réseaux en fibre optique dans les mêmes conditions que l’opérateur historique, ce qui est décisif quand on sait que 50 à 80 % du coût de déploiement d’une boucle locale en fibre optique est lié au génie civil ;
- Une action de réglementation, c’est-à-dire portant symétriquement sur tous les opérateurs, qui est essentielle pour construire une nouvelle boucle locale.
Le très haut débit mobile
Afin de permettre l’accès de l’ensemble de la population au très haut débit, toutes les technologies disponibles devront être mises à profit. C’est en particulier le cas de la 4ème génération mobile (LTE), dont le déploiement est rendu possible par l’utilisation des fréquences libérées par l’extinction de la télévision analogique. Le très haut débit mobile pourra en effet constituer un complément à l’accès fixe, notamment dans les zones les moins denses qui ne seront pas ou tardivement couvertes en fibre optique.
En France, l’attribution de ces fréquences à 800 MHz aura lieu au second trimestre de l’année 2010, après l’attribution des fréquences restantes en matière de 3ème génération. Il s’agira, avec l’attribution de ce que l’on appelle le « dividende numérique », de favoriser encore plus que par le passé, un aménagement numérique équilibré du territoire.
Conclusion
Ainsi, nous nous trouvons à un moment crucial, où il nous faut, en pleine période de crise économique, relever un immense défi.
Pour autant, comme je l’ai expliqué, ce contexte ne doit pas remettre en cause la nécessité d’une action forte de régulation qui a montré son efficacité avec la très forte croissance du secteur des communications électroniques des dernières années.
Aiguillonner la concurrence au bénéfice du consommateur, stimuler l’investissement et l’innovation, prendre en compte les nécessaires solidarités tant sociales que territoriales : tel reste aujourd’hui, comme par le passé, le défi de la régulation.
NOTES
Texte du discours prononcé par Jean-Ludovic Silicani lors d’une réunion de l’Union internationale des télécommunications (UIT) le 7 octobre à Genève.