par Philippe Weber, Responsable Etudes et Stratégie chez CPR AM
« La Réserve fédérale est peut-être dans un piège. » Le mois dernier, les scénarios envisagées soulignaient le risque des effets préjudiciables d’une évolution négative de l’économie ou des marchés en Chine et celui d’une mauvaise interprétation de la politique monétaire américaine. Où en est-on ?
A peu près au même point… Les inquiétudes restent sensiblement les mêmes. Bien sûr, on n’a pas subi de mouvement de marché violent en raison de nouvelles de Chine – les plus fortes turbulences récentes sont venues du scandale autour de Volkswagen. Quant à la Réserve fédérale, la décision, ou l’absence de décision, est derrière nous, et cela devrait assurer quelques semaines de tranquillité. Mais enfin, si les marchés ont aussi violemment réagi à une histoire ponctuelle, si ensuite ils ont si vivement remonté, de manière a priori contre-intuitive, à la médiocrité des statistiques d’emploi américaines, c’est qu’ils sont nerveux, et ils sont nerveux à cause de la Chine et de la Réserve fédérale.
A-t-on d’autres signes de cette nervosité ?
Ils sont assez nombreux, et la volatilité augmente. Un exemple anecdotique mais révélateur : le 7 octobre, pratiquement aucune statistique macroéconomique d’importance. Aussi, dès le matin, voit-on des dépêches annonçant que le marché allait guetter le niveau des stocks de pétrole aux Etats-Unis ; chiffre intéressant, certes, mais n’attirant normalement l’attention que des spécialistes des matières premières ou des valeurs pétrolières. On nous annonce que si les stocks augmentent de plus de 2,5 millions de barils (au lieu de 4 millions la semaine précédente), les marchés vont baisser. Ils augmentent de 3 millions, les marchés baissent. Petite analyse historique : la moyenne de la valeur absolue des variations est de 3,6 millions environ… autant dire que ces 500 000 barils de différence par rapport à un consensus n’ont sans doute qu’une valeur économique limitée. Mais voilà…
D’où cela vient-il ?
La nervosité, on le disait, est alimentée par la Chine (et les pays émergents en général, mais surtout la Chine) et la banque centrale américaine. La Chine ralentit, c’est un fait ; l’ampleur de ce ralentissement est aussi incertaine que les chiffres eux-mêmes, auxquels il est difficile d’apporter une confiance, mais enfin la tendance est là. L’Empire du Milieu est la deuxième économie du monde : un ralentissement de ce pays fera à coup sûr baisser la croissance mondiale moyenne, mais pas nécessairement dans les mêmes proportions celle des pays développés : si ce sont les exportations qui ralentissent, c’est neutre ; si ce sont les importations, l’impact reste au total limité pour les Etats-Unis ou la zone euro – moins pour l’Allemagne elle-même et bien sûr pour le Japon, sans qu’il devienne massif. La part des exportations vers la Chine dans le PIB de la plupart des pays reste faible, sans être négligeable. La contagion viendrait plutôt de mécanismes financiers ou psychologiques : baisse des bourses, notamment en raison des entreprises qui réalisent une grande part de leurs profits en Chine, mouvements de change, flux de capitaux.
Et la Réserve fédérale ?
Nous sommes dans une situation un peu étrange. J’étais convaincu que, à défaut d’avoir relevé le taux des fonds fédéraux en juin, la banque centrale le ferait en septembre. Cela n’a pas été le cas, à cause de la Chine et de la nervosité des marchés, notamment. Mais voilà que, à peine le FOMC terminé, plusieurs de ses membres, y compris certains classés comme « colombes », expliquent que la décision a été prise de justesse et que, en tout état de cause, le taux sera relevé cette année. Finalement, cela entretient l’incertitude, l’inquiétude, la volatilité. Repousser encore, ce qu’on finit par ne plus pouvoir exclure même en l’absence de choc massif sur l’économie ou les marchés, serait reculer pour mieux sauter. Mais la hausse des marchés en réaction à la médiocrité des dernières statistiques d’emploi montrent qu’ils semblent désormais compter sur la banque centrale quoi qu’il arrive. Situation extrêmement malsaine, et enfermant la Réserve fédérale dans un piège – qu’elle a contribué à tendre elle-même, il est vrai. Si seul un statu quo monétaire perpétuel peut désormais soutenir les marchés, on se promet de beaux krachs…