Le Canada entre en récession

par Thomas Julien et Yuan Yuze, économistes chez Natixis

Le PIB canadien a affiché une contraction de 0,5% T/T en ra sur le T2 après une baisse de 0,8% au T1 : le Canada entre donc en récession technique, sans surprise. Cette contraction de l’activité s’explique largement par l’impact de la baisse des prix du pétrole sur l’investissement du secteur minier. Toutefois, le risque de contagion parait limité pour le moment suggérant que l’économie canadienne pourrait renouer avec une croissance modérément positive en seconde partie d’année 2015.

Dans ce contexte, la BoC devrait maintenir un biais accommodant sans pour autant baisser les taux directeurs qui sont actuellement à 0,5%. Avec en parallèle une hausse des taux imminente aux Etats-Unis et une baisse des prix du pétrole attendue dans notre scénario, le CAD devrait de nouveau se déprécier face au dollar sur un horizon de 3 à 6 mois.

Le Canada entre en récession technique au T2 2015

Comme attendu, le PIB canadien a affiché une nouvelle contraction au T2-15 à un rythme toutefois supérieur aux attentes : -0,5% T/T en ra après -0,8% au T1. Comme attendu la contraction est largement attribuable à la nouvelle baisse marquée de l’investissement non résidentiel (structures, équipements et propriété intellectuelle). Toutefois, la consommation des ménages a accéléré sur le trimestre, progressant de 2,3% après 0,5% au T1. Les exportations nettes ont également contribué positivement à la croissance, mais ont été largement compensées par une évolution négative de l’accumulation des stocks.

Cette contraction de l’activité s’explique donc principalement par l’impact de la baisse des prix du pétrole sur l’investissement dans le secteur minier.

Malgré tout, les effets de contagion sont limités pour le moment. En particulier, la consommation a progressé plus fortement que prévue en juin, avec une hausse marquée des ventes au détail. En parallèle, l’évolution du marché du travail est restée positive avec une stabilisation du taux de chômage à 6,8%. L’évolution sectorielle est également encourageante, avec une accélération de l’emploi dans le secteur des services (pour toutes les catégories de services exceptée celle du commerce). Comme attendu, l’emploi se contracte dans les secteurs producteurs de biens, notamment dans le secteur minier. La progression des salaires reste également dynamique à +3,4% en GA en juillet (pour le salaire horaire moyen).

Les données d’enquête récentes (confiance des consommateurs et enquêtes d’activité) montrent tout de même un ralentissement marqué de l’activité, traduisant une hausse de l’incertitude sur le scénario à court terme.

Toutefois, les chiffres du PIB du mois de juin, montrent un léger rebond de la croissance après 5 mois de baisses consécutives. En conséquence il n’est pas exclu que le pays sorte de la récession dès le T3-2015, même si la baisse récente des prix du pétrole pourrait de nouveau peser sur l’investissement.

Perspectives modérément positives pour la croissance

Les principaux déterminants de la croissance canadienne suggèrent effectivement que la croissance restera positive à moyen terme.

En premier lieu la consommation des ménages, qui est actuellement soutenue par la progression de l’emploi, des salaires et de la baisse des prix du pétrole. A noter toutefois que le potentiel des ménages canadien à bénéficier de la baisse des prix du pétrole est limité par la dépréciation du change qui renchérit le coût relatif du pétrole. De plus, le Canada, bien qu’exportateur net de pétrole brut importe des produits pétroliers raffinés. Cette particularité pourrait expliquer en partie pourquoi les prix à la pompe n’ont pas plus fortement baissé. Il parait toutefois raisonnable d’anticiper un recul des prix à la pompe sur le court terme eu égard à la tendance récente des prix de l’énergie.

Ensuite les exportations nettes constitueront un léger soutien à la croissance, bénéficiant du double effet positif de la dépréciation du change (près de -20% contre USD depuis juin 2014) et de la reprise américaine. Pour mémoire, le Canada exporte plus de 75% de ses biens et services vers les Etats-Unis. Toutefois, du fait de la structure des exportations (prédominance des biens primaires) avec de plus un problème de compétitivité lié à l’évolution des coûts salariaux, l’impact devrait être modeste. La fiscalité des entreprises avantageuse et la hausse de la demande pour certains produits pourraient néanmoins générer de l’investissement dans certains secteurs. Pour finir, avec toujours une importante demande pour les biens immobiliers, l’Investissement résidentiel devrait de nouveau soutenir la croissance cette année avant de devenir un facteur neutre l’année prochaine.

Le secteur minier restera pour sa part un frein à la croissance tant que les prix du pétrole restent bas et pèsera sur l’investissement en structure qui représente plus de 25% de l’investissement total en volume (hors résidentiel). Effectivement, l’appétit pour de nouveaux projets d’extraction dans les sables bitumineux (qui nécessitent d’importants investissements initiaux) devrait rester limité puisque les niveaux de prix actuels se trouvent inférieurs aux niveaux de prix breakeven (estimés entre 70 et 100 USD par baril en fonction des différents projets).

Au total, nous attendons une progression du PIB de 1,2% cette année et de 1,9% en 2016. Avec une forte incertitude sur le potentiel de contagion du secteur minier au restant de l’économie, le risque sur nos prévisions est clairement baissier.

Existe-il un risque de cycle de désendettement désordonné ?

Un autre risque important pour l’économie canadienne serait que le choc négatif sur l’économie en provenance de la baisse des prix du pétrole se propage au secteur immobilier avec l’amorce d’une boucle baisse des prix immobiliers et défauts qui résulterait en un cycle de désendettement désordonné et des pertes importantes de richesse pour les agents. En effet, avec une forte progression des prix immobiliers et une hausse continue de l’endettement des ménages, c’est l’un des principaux risques domestiques auquel fait face l’économie canadienne. A rappeler qu’à la différence des Etats-Unis, le secteur privé canadien dans son ensemble reste fortement endetté. Toutefois, dans la mesure où les défauts restent pour le moment très faibles et en baisse, nous conservons notre scénario d’atterrissage en douceur pour le marché immobilier. Les facteurs démographiques (croissance de la population et immigration) sont toujours positifs et devraient constituer un soutien à la demande sur le marché immobilier. De plus, dans un récent article, le FMI estime que l’excès de construction est localisé dans la province de l’Ontario1, peu exposée au secteur pétrolier.

Qu’attendre de la politique monétaire et du policy mix en général

Dans ce contexte et avec toujours de l’incertitude sur l’impact net qu’aura la baisse des prix du pétrole sur l’économie, la banque centrale a tout intérêt à maintenir un statu quo prolongé au moins jusqu’au T2 2016. Une nouvelle baisse des taux nous paraît peu probable dans un scénario de reprise modérée de la croissance au S2. Elle marquerait le retour d’une politique non conventionnelle de taux à zéro.

Par ailleurs, il faut souligner qu’en cas d’aggravation du contexte économique à moyen terme, le faible niveau d’endettement du gouvernement fédéral et des provinces leur confère certaines marges de manœuvres pour relancer la croissance, si besoin.

A noter qu’en matière de dépenses publiques, il faudra surveiller l’issue des élections fédérales canadiennes qui se tiendront le 19 octobre 2015, où une défaite des conservateurs pourrait impliquer des anticipations de dépenses publiques plus fortes.

Implication pour l’évolution du taux de change

Nos attentes sur les cours du pétrole et le différentiel de politique monétaire avec la Fed (nous attendons une première hausse des taux en septembre) justifient une poursuite de l’appréciation du change sur un horizon de 3 à 6 mois et une légère inversion de tendance ensuite.

Y’a-t-il un risque pour l’économie américaine ?

Le Canada étant un des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, on peut également se poser la question annexe de l’impact éventuel d’une récession canadienne sur l’économie américaine.

Pour donner un ordre de grandeur, une baisse de 10% des importations canadiennes (probable dans un scénario de crise économique au Canada) aurait un impact de -0,2% sur le PIB des Etats-Unis2. Le risque direct est donc bien limité. De même, avec une interconnexion limitée des systèmes financiers américain et canadien, le risque financier apparait également limité.

La Fed ne devrait donc pas réagir à l’annonce de l’entrée du Canada en récession.

NOTES

  1. Pour l'article FMI
  2. Près de 20% des exportations américaines sont à destination du Canada et les exportations représentent 13% du PIB américain.