Le « Monde de demain » : Rééquilibrage de la croissance, Retour du politique et Réallocation des ressources

par Christophe Morel, Chef Economiste de Groupama AM

«Le Monde économique et financier de demain» sera radicalement différent du «Monde d’hier»1. Mais contrairement à S. Zweig qui avait la nostalgie du monde d’avant-crise, nous devons nous réjouir de certaines des inversions de tendance qui se dessinent. Elles sont salutaires, même si elles prendront souvent une décennie pour se matérialiser.

On peut résumer ces nouvelles tendances sous l’acronyme du «triple R» : Rééquilibrage de la croissance, Retour du politique et Réallocation des ressources.

1) Rééquilibrage de la croissance : la croissance devient plus saine et se rééquilibre aux niveaux mondial et régional

  • Sur la dernière décennie, la croissance économique reposait fortement sur le levier d’endettement et sur la boucle «crédit/prix de l’immobilier/consommation». Désormais, les croissances économiques reposeront moins sur le levier, et seront donc structurellement plus faibles. Ainsi, nous estimons que la croissance mondiale s’établirait autour de +3,5% en 2014, ce qui est très en-deçà des niveaux de pré-crise, lorsqu’elle était supérieure à +5,0% en 2006-2007. La croissance sera donc plus faible, avec souvent des modèles à «repenser» à la fois dans les pays développés et émergents, mais elle sera plus saine.
  • La croissance se rééquilibre au niveau mondial. Ainsi, les excès de consommation (resp. d’épargne) dans les pays développés (resp. pays émergents) diminuent, contribuant ce faisant à une réduction des déséquilibres commerciaux. Ce rééquilibrage s’effectue également au niveau régional, singulièrement en Zone euro avec un mouvement de balancier typiquement entre l’Allemagne et l’Espagne.

2) Retour du politique : la politique économique reprend ses droits par un policy-mix plus efficace et un retour de la régulation (notamment au service de la gouvernance)

  • Souvent insuffisante voire inexistante, l’articulation entre la politique fiscale et la politique monétaire se renforce dans de nombreux pays (Japon, Royaume-Uni, …) permettant une meilleure efficacité de la politique économique. Et les banques centrales qui avaient largement ignoré l’instabilité financière intègrent désormais le cycle financier dans leurs décisions de politique monétaire (Royaume-Uni, Suisse, Israël, …).
  • Ce «retour du Politique» se traduit également par la mise en place de règles de Bail-in, et plus généralement d’une réglementation plus contraignante. Poussée davantage, cette nouvelle régulation peut aboutir à une «répression financière», voire à une certaine réglementation de l’épargne, de façon à forcer les investisseurs à détenir de la dette domestique pour favoriser le financement des dettes publiques.
  • Enfin, l’un des enjeux majeurs de cette nouvelle régulation est de favoriser une meilleure gouvernance des entreprises, de correctement aligner les rémunérations de toutes les parties prenantes d’une entreprise (salariés, créanciers, …) avec leurs intérêts, et plus généralement, de permettre une distribution plus équilibrée des revenus et une meilleure répartition de la valeur ajoutée. La fiscalité constituera probablement l’un des outils de cette redistribution.

3) Réallocation des ressources : la prise en compte des enjeux énergétiques et environnementaux

La recherche de gains de productivité grâce aux technologies de l’information reste évidemment l’un des principaux arguments des décisions d’investissement. Toutefois, le «new deal» énergétique et environnemental devrait prendre de plus en plus d’importance. En particulier, la recherche d’une indépendance énergétique pour réduire la vulnérabilité externe et la dépendance des cycles aux évolutions du prix du pétrole devrait devenir un axe majeur des décisions des États et des entreprises. Par exemple, il est crucial d’intégrer que la production pétrolière aux États-Unis tend à dépasser les importations, ou que la production de gaz de schiste est davantage un argument d’indépendance énergétique qu’un réel gain de compétitivité pour l’économie à ce stade.

Évidemment, nous n’en sommes encore qu’à l’aube de ces changements qui doivent intervenir dans le contexte très délicat de désendettement des entreprises (Zone euro) et des États (quasiment l’ensemble des pays développés). Les évolutions sont encore trop lentes, mais elles vont souvent dans le bon sens.

NOTES

  1. Dans le « Monde d’hier », Stefan Zweig décrivait avec nostalgie l’Europe d’avant-guerre qu’il qualifiait « d’Age d’or de la sécurité ».