Le nouveau pari de la BCE

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La BCE n’a finalement pas pris le temps, elle a agi rapidement pour éviter de mettre en jeu sa crédibilité. Trois mois après son premier package, la BCE baisse à nouveau ses taux directeurs de 10pb (refi à 0,05% et taux de dépôt à – 0,20%) et annonce un programme d’achats de titres privés dès le mois d’octobre (ABS et covered bonds). Si le programme d’achats d’ABS était en cours de réflexion, la BCE passe la vitesse supérieure en lançant les achats en octobre alors qu’ils étaient plutôt attendus pour fin 2014/début 2015 et en incluant des achats de covered bonds.

Plusieurs points importants ont été évoqués lors de la conférence de presse :

  • Ces décisions n’ont pas été prises à l’unanimité même si M. Draghi parle de « majorité confortable ». Ceci signifie que J. Weidmann n’a pas été le seul dissident révélant encore des obstacles à un vaste programme d’achats de titres publics.
  • Concernant les taux, M. Draghi a déclaré que l’on avait touché le point bas et qu’il n’y avait plus de possibilité de baisse de taux. Il a par ailleurs confirmé que cette réduction visait à couper court à de nouvelles anticipations de baisse par les banques qui auraient pu les inciter à attendre pour venir aux TLTRO.
  • Les montants en jeu ne sont pas précisés par la BCE mais Mario Draghi a évoqué un retour de la taille du bilan vers les niveaux de début 2012 soit entre 2700Md€ et 3000Md€ ce qui correspondrait à une hausse de 700/1000Md€ par rapport au niveau actuel, en incluant les TLTRO.

La BCE annonce donc des achats fermes de titres privés, ce qui signifie qu’à la différence des opérations de TLTRO, elle accepte finalement de prendre du risque à son bilan. Cette différence peut sembler anecdotique mais elle ne l’est pas. Cela signifie en effet qu’elle va injecter de la liquidité en retirant du risque au bilan des banques et d’autres investisseurs et qu’elle accepte donc de financer l’économie « directement ». Elle concentrera ses achats sur des titres simples et transparents. M. Draghi a précisé que la BCE achètera des tranches « senior » (les moins risquées) mais également des tranches « mezzanine » s’il y a une garantie. Enfin, le spectre d’ABS sera assez large comportant notamment les RMBS qui sont, de loin, le plus gros marché en zone euro (stocks d’ABS divers : 150Md€, ABS SME1 : 100Md€ et RMBS : 600Md€ début 2014). Le but n’est pas de financer l’immobilier mais de dégager de la place aux bilans des investisseurs pour qu’ils fassent de nouveaux prêts ou investissements. Dans la mesure où elles pourront sortir le risque de leur bilan via la titrisation, les banques seront plus incitées à faire de nouveaux crédits puisque cela ne viendra pas dégrader leur ratio de solvabilité.

Il reste encore de nombreuses incertitudes sur l’impact de ces mesures sur l’économie réelle car elles dépendront grandement du comportement des banques et des agents privés dans les mois qui viennent. Toutefois à court terme les annonces de la BCE pourraient permettre :

  • De redonner confiance aux agents économiques en montrant qu’il y a encore un pilote dans l’avion en Europe et d’éviter le report des décisions de consommation et d’investissement.
  • De rendre les conditions monétaires plus accommodantes avec des taux courts qui ont à nouveau baissé (le 3 mois a perdu 5pb à 0,10%). De détendre les conditions de crédit pour faciliter le financement de l’économie réelle. Si jusqu’à récemment, la demande de prêt était faible, elle a commencé à se redresser ces derniers mois.
  • D’encourager la dépréciation du taux de change, les écarts de taux entre la Zone euro et les autres pays, notamment les Etats-Unis s’accentuant, rendant les titres étrangers plus attractifs. Ce mouvement de dépréciation pourrait également être favorisé par le changement de ton progressif de la Fed.

Le but étant clairement qu’à travers ces différents canaux, les anticipations d’inflation ne baissent pas davantage limitant ainsi le risque de déflation dans la Zone euro. Ces dernières ont légèrement rebondi, le swap inflation 5 ans à 5 ans revenant au-dessus de 2%.

NOTES

  1. SME (PME) : small and medium entreprises

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