par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis
La période récente a révélé qu’il n’existait pas de « bon choix » de politique de change pour les pays émergents dans le « menu » disponible aujourd’hui :
- les pays qui ont choisi les changes flexibles ont été confrontés d’abord à l’appréciation excessive de leur taux de change avec les entrées de capitaux, puis à la chute du taux de change avec les sorties brutales de capitaux (et peut être maintenant au retour à des entrées excessives) ;
- les pays qui ont choisi l’ancrage (sous une forme ou sous une autre : peg, currency board…) de leur taux de change à une grande devise ont été confrontés à l’inflation et à la croissance excessive du crédit dues au caractère inadéquat pour ces pays de la politique monétaire menée sur le dollar ou sur l’euro ; mais aussi au risque énorme lié au développement de l’endettement en devises lorsque la stabilité du change impose des taux d’intérêt domestiques élevés, et pas calés sur le niveau bas des taux d’intérêt sur le dollar et l’euro.
- Quelles sont les solutions :
- l’unification monétaire ? Mais elle est difficile à envisager pour des pays à niveaux de prix et de salaires très différents de ceux des Etats-Unis ou de la Zone euro ;
- la flexibilité des changes avec restrictions sur les capitaux spéculatifs paraît le système le plus robuste.
Les pays qui ont fait le choix de la flexibilité des changes ont subi :
- d’abord une phase d’entrée de plus en plus massive de capitaux et d’appréciation forte du taux de change, de 2003 au début de 2008, conduisant à la surévaluation réelle et à la perte de compétitivité ;
- puis, à partir du printemps 2008, des sorties massives de capitaux conduisant à une chute des taux de change et à un choc défavorable violent sur les termes de l’échange ;
- enfin, depuis le printemps 2009, au retour très brutal des capitaux.
Nous pouvons prendre les exemples du Brésil, de l’Inde, de la Corée, de la Pologne. Le Brésil connaît des entrées de capitaux très importantes en 2007, des sorties très importantes en 2008 ; d’où en 2007 une croissance très rapide de la liquidité et du crédit, puis un freinage de la liquidité et du crédit en 2008, et les mouvements induits du change et des cours boursiers : surévaluation jusqu’à la mi-2008, puis dépréciation brutale.
La Corée connaît le même cycle avec des entrées de capitaux et une forte accumulation de réserves de change de 2003 au début de 2008, puis de violentes sorties de capitaux au second semestre 2008 avec pertes de réserves et recul de la base monétaire, chute du won. Les évolutions en Inde et en Pologne sont très similaires à celles observées en Corée.
Cette déstabilisation de la compétitivité, des revenues réels, des cours boursiers, de la liquidité des pays émergents qui ont choisi les taux de change flexibles est liée aux revirements de l’attitude des investisseurs : ils sont attirés par la croissance des émergents, puis en 2008 pensent que la crise va aussi toucher les émergents, puis en 2009 décident que la reprise aura lieu d’abord dans les pays émergents. Ces oscillations conduisent à des flux de capitaux de taille beaucoup trop grand pour les pays émergents.
Si les pays émergents choisissent la fixité des taux de change (peg, currency board), ils sont pris entre deux risques :
- soit, ils alignent leurs taux d’intérêt sur ceux de la monnaie de référence (dollar ou euro), et la politique monétaire est alors inadaptée à leur situation de croissance en moyenne forte et d’inflation plus élevée qu’aux Etats-Unis ou dans la Zone euro ;
- soit, ils maintiennent des taux d’intérêt plus élevés et les agents économiques domestiques choisissent de s’endetter en devises, ce qui fait courir le risque de défauts massifs dans le cas où les changes fixes devraient être abandonnés.
Nous pouvons ici regarder les situations de la Hongrie, de la Bulgarie, des Pays Baltes, de Hong-Kong. La Hongrie a maintenu des taux d’intérêt élevés, qui ont poussé à un fort endettement en devises, d’où la crise bancaire et la chute de l’activité lorsque la devise se déprécie en 2009.
La Bulgarie a eu jusqu’en 2008 des taux d’intérêt beaucoup trop faibles compte tenu de sa croissance en valeur avec le currency board, d’où la hausse de l’inflation et des taux d’endettement, le déficit extérieur. La même situation s’observe en Lettonie, en Estonie ou à Hong-Kong.
On voit donc bien le double risque :
- inadaptation de la politique monétaire si les taux d’intérêt s’alignent sur les taux d’intérêt bas, sur le dollar ou l’euro (peg ou currency board crédibles) ;
- dette en devises si les taux d’intérêt restent élevés (défense de la fixité du change).
Synthèse : Quelle piste ?
Que doivent faire les pays émergents s’ils ont le choix entre l’instabilité (des flux de capitaux internationaux, des taux de change) qui vient des changes flexibles et l’instabilité (de l’endettement, de la liquidité) qui vient des changes fixes ?
- l’entrée accélérée dans une union monétaire (dollarisation ou euroisation) ne nous paraît pas être une solution acceptable : une fois rentrés dans l’union monétaire, les pays émergents ne peuvent réaliser la convergence des niveaux des prix et des salaires vers leur niveau dans les pays avancés de l’OCDE que par l’inflation tandis qu’ils ont les taux d’intérêt bas du reste de l’union monétaire : l’inadéquation de la politique monétaire de l’union monétaire pour les pays émergents est manifeste. On voit par exemple, avant la crise, l’accélération de l’inflation en Slovénie ou en Equateur ;
- la solution la plus raisonnable est peut être celle de taux de change flexibles avec une limitation des flux de capitaux spéculatifs ou à court terme (par une taxation, sous une forme ou sous une autre, des flux de capitaux internationaux à court terme : dépôts associés non rémunérés, taxation des plus-values en capital).