Grippe A : l’état de pandémie est déclaré

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

Le 11 juin, l’OMS a relevé le niveau d’alerte de la phase 5 à la phase 6, signifiant qu’une pandémie de grippe est en cours.
Les évaluations des pandémies passées tendent à indiquer que les virus grippaux sont imprévisibles.
Les pays développés préparent leurs populations à la vaccination.
La principale inquiétude de l’OMS concerne la vulnérabilité des pays à faibles revenus face aux pandémies.
Il sera essentiel de renforcer les systèmes de santé des pays pauvres pour stopper la propagation du virus.

L’OMS relève le niveau d’alerte à la phase 6

Ces derniers mois, le nombre de cas confirmés d’infection par le virus grippal A(H1N1) a progressé régulièrement. Au niveau mondial, près de 56 000 cas avaient été notifiés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 24 juin 2009, dont 238 ont eu des conséquences fatales. Selon l’OMS, les critères scientifiques définissant une pandémie de grippe sont remplis, ce qui l’a conduit, le 11 juin, à élever le niveau d’alerte à la pandémie de grippe de la phase 5 à la phase 6. Cette mesure est uniquement liée à la propagation géographique de la maladie et n’entraîne pas nécessairement une action similaire dans les pays membres. Il convient de remarquer que la répartition actuelle des cas recensés par pays reflète probablement les écarts entre les systèmes de surveillance et de dépistage.

Sur la base des données actuelles, certaines tendances générales apparaissent. A partir des foyers initiaux au Mexique et aux Etats-Unis, le virus s’est propagé à d’autres régions. Au début du mois de juin, environ 50% des cas notifiés dans l’Union européenne étaient associés à des voyages dans ces deux pays dans la semaine précédant l’apparition des symptômes. Malgré la propagation mondiale, la transmission dans la plupart des pays demeure relativement localisée.

La vaste majorité des cas, dans l’ensemble des pays, sont concentrés parmi les adolescents. Les hommes et les femmes sont également touchés. A ce stade, rien n’explique la surreprésentation de la population d’âge jeune.

La plupart des cas ont été bénins, ce qui accroît les probabilités de non dépistage. On considère que l’incidence globale sur les services de santé des pays les plus affectés (Canada, Chili, Mexique et Etats-Unis) est restée faible. Toutefois, la demande de soins dans certains services au niveau infranational a entraîné une surcharge de travail dépassant la normale, tout en restant, fort heureusement, en deçà de la capacité maximale.

L’OMS estime le taux de reproduction de base (R0) dans une fourchette de 1,4-1,6.1 Ce niveau est plus élevé que pour la grippe saisonnière et comparable aux estimations basses de R0 calculées à partir de données estimatives pour la pandémie de grippe de 1918, à savoir 2-3. Selon les estimations d’une étude au Japon, le R0 atteindrait 2,3.

Les pays développés se préparent à la vaccination

Bien sûr, on ignore comment le virus va évoluer. Les évaluations des pandémies passées tendent à indiquer que les virus grippaux sont imprévisibles. Il est probable que la pandémie actuelle comptera plusieurs vagues. La première vague atteindrait l’hémisphère sud en juillet-août. Elle serait suivie d’une vague plus importante dans l’hémisphère nord dès l’automne prochain. La troisième vague frapperait à nouveau dans l’hémisphère sud en juillet-août 2010.2

L’industrie pharmaceutique est en train de préparer un vaccin contre la nouvelle souche de virus H1N1. Quelques entreprises ont annoncé qu’elles pourraient fournir un vaccin dès le mois prochain. Il faudra cependant un certain temps pour produire le vaccin en quantités suffisantes. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a passé commande de 72 millions de doses de vaccins pandémiques auprès de Baxter et de 60 autres millions auprès de GSK, prévoyant que deux doses par personnes seront nécessaires. Dans la mesure où d’autres pays ont également passé des commandes à ces laboratoires, le Royaume-Uni pourrait ne pas recevoir toutes les doses réservées avant environ un an. 3

Il est techniquement impossible de vacciner toute la population de la planète. La capacité de production des antiviraux est limitée. Si 100 millions de doses de vaccin peuvent être produites chaque semaine, il faudrait un an pour en fabriquer 5,2 milliards, ce qui serait à peine suffisant pour vacciner 2,5 milliards de personnes, quand la planète en compte 6,8 milliards.4 Heureusement, les campagnes de vaccination ciblées peuvent déjà être très efficaces. Dès 30% de couverture vaccinale, la mesure serait très efficace, à condition qu’elle soit mondiale et pas seulement le fait des pays développés.5

L’absence de préparation du monde en développement

La principale inquiétude de l’OMS concerne la vulnérabilité des pays à faibles revenus face aux pandémies. De façon générale, ces pays disposent de moyens financiers et techniques limités.

Le coût de stockage des antiviraux ou d’approvisionnement en vaccins pandémiques est élevé, alors qu’en temps normal, ces pays ne couvrent déjà pas leurs besoins. En outre, dans le contexte des nombreuses autres priorités en compétition, comme le HIV et le SIDA, la malaria et la tuberculose, la préparation à la pandémie n’a reçu qu’une attention limitée. Le danger est qu’en raison de la pandémie, les ressources allouées aux soins médicaux courants ne doivent être réduites. Le traitement des patients atteints de tuberculose ou de SIDA pourrait ne plus être assuré et les programmes de santé publique, pour la vaccination notamment, pourraient être interrompus, avec dans tous les cas, de graves conséquences. De plus, la plupart des infections fatales de virus H1N1 concernent des personnes souffrant de pathologies chroniques, qui se concentrent à hauteur de 85% dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Mme Chan, Directeur général de l’OMS, a appelé à davantage de solidarité avec les pays pauvres. Un laboratoire pharmaceutique a déjà répondu présent en proposant à l’OMS un don de 50 millions de doses de vaccins antigrippaux. Ce don ne permettrait d’aider que 25 millions de personnes, une goutte d’eau dans la mer. La plupart des autres laboratoires ont réagi négativement à la suggestion du Docteur Chan.

L’utilité de donner des médicaments à titre gratuit est loin de faire l’unanimité.6 . Deux raisons majeures justifient la facturation des médicaments. D’abord, si les pays à faibles revenus ne paient pas leurs vaccins, les laboratoires pourraient décider d’en arrêter la fabrication, compte tenu du coût de production marginal élevé de ces produits. Cela pourrait ralentir la mise au point de nouveaux vaccins. Deuxièmement, les dons ponctuels de vaccins pour les enfants peuvent faire plus de mal que de bien, si le pays n’a pas les moyens de poursuivre le programme. Une possibilité pourrait être envisagée cependant, qui consisterait en un système de modulation tarifaire permettant aux pays en développement de payer leurs médicaments moins cher que les pays développés. Malgré la progression lente du virus de la grippe H1N1, il convient de ne pas relâcher la vigilance et de se préparer à la pandémie. Une approche coordonnée pourrait permettre de limiter l’impact de la maladie. A ce stade, les pays à faibles revenus sont les maillons les plus exposés. Il sera essentiel de renforcer les systèmes de santé dans cette partie du monde pour stopper la propagation du virus.

NOTES

  1. R0 mesure la transmission d’une maladie infectieuse au sein d’une population non immunisée et en l’absence d’intervention pour contrôler l’infection. Lorsque R0<0, l’infection est en voie d’extinction, alors que R0 >0 indique la capacité à se propager parmi une population.
  2. Prof. A. Flahault, « Pandémie de grippe, vacciner tout le monde : est-ce possible, est-ce nécessaire ? », mimeo.
  3. Postnote, UK Parliamentary Office of Science and Technology, May 2009, number 331.
  4. Ces chiffres sont probablement trop optimistes. En 2006, l’OMS estimait la capacité mondiale de fabrication de vaccins saisonniers à 350 millions de doses par an.
  5. Ce calcul se fonde sur des simulations à partir d’un modèle mathématique rapportées dans Flahault, op. cit.
  6. Voir John Gapper, «The hidden costs of free vaccines », Financial Times, 18 juin 2009.

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