Le rattrapage des marchés européens sur les Etats-Unis peut-il durer ?

par Alexandre Baradez, Responsable de l’analyse marchés chez IG France

Après la grosse sous-performance en 2024 des marchés européens par rapports aux marchés américains, un début de rattrapage s’opère depuis le début de l’année.

Depuis le 1er janvier, l’indice Stoxx600 Europe s’apprécie de 7% contre seulement 2.4% pour le SP500. Ce rebond du sentiment sur les valeurs européennes s’explique par plusieurs facteurs. 

Tout d’abord sur le plan monétaire, la BCE a procédé il y a quelques jours à sa cinquième baisse de taux, faisant passer le taux de dépôt de 4.00% à 2.75% en l’espace de quelques mois. Et dans son dernier bulletin économique, la BCE a indiqué que le niveau « neutre » du taux de dépôt se situait actuellement entre 1,75% et 2,25%. Soit encore 3 baisses de taux potentielles dans les mois qui viennent si l’on se base sur le milieu de la fourchette. 

La dynamique est différente du côté de la Fed qui a procédé à 100 points de base de baisse de taux depuis septembre mais a clairement fait comprendre en décembre qu’il n’y aurait pas de nouvelles baisses de taux en l’absence de nouveaux progrès de l’inflation vers l’objectif, la bonne santé du marché de l’emploi n’offrant pas plus d’argument, pour l’instant, à des ajustements de taux supplémentaires. 

L’inflation PCE, mesure d’inflation préférée de la Fed, celle qu’elle utilise dans ses projections trimestrielles, est encore ressortie à 2.8% il y a quelques jours, marquant un sixième mois consécutif sans nouveau progrès vers l’objectif de 2% de la Fed. Elle a même un peu rebondi sur cette période de deux trimestres, passant de 2.6% à 2.8%. Mauvaise surprise également pour l’inflation « core CPI » en janvier, ressortie à 3.3% alors que le consensus tablait sur 3.1%, ce qui donne une série de huit mois consécutifs entre 3.2% et 3.3%, parfaite définition de l’inflation collante. Cette absence de progrès a bien évidemment été remarquée par la Fed, ce qui a justifié le changement de discours de Jerome Powell en décembre mais également en janvier.

Un autre élément de différence entre la BCE et la Fed est l’évolution du bilan : depuis un mois et demi, le bilan de la BCE ne baisse plus alors que celui de la Réserve Fédérale continue s’ajuster à la baisse. Les mouvements sur le bilan sont moins commentés que l’action sur les taux mais ils font partie intégrante de la politique monétaire. A noter également que la croissance de la masse monétaire M3 en zone euro est désormais supérieure à 3% depuis 4 mois (en variation annuelle) alors qu’elle avait connu en 2023 sa plus forte contraction depuis la création de la zone euro.

L’amélioration du sentiment sur les marchés européens vient aussi de l’amélioration du sentiment en Chine, même si c’est très progressif. L’indice HangSeng grimpe de 7.3% depuis le début de l’année, une hausse similaire à l’indice Stoxx600 Europe et une hausse qui se fait en parallèle du redressement du sentiment sur les obligations « high yield » chinoises, compartiment obligataire le plus risqué qui inclut notamment les obligations du secteur immobilier. L’accumulation des mesures de stabilisation et de soutien économique en Chine semble commencer à porter ses fruits sur le sentiment. 

Les actions chinoises ont également bénéficié positivement d’un « effet DeepSeek », et quelques jours après Deepseek, c’est le géant Alibaba qui a dévoilé un modèle d’IA dont les performances dépasseraient, selon l’entreprise, celles de plusieurs concurrents, dont des IA américaines. 

Le principal risque pour la Chine et l’Europe dans les mois qui viennent semble plutôt porter sur les relations commerciales avec les Etats-Unis. Le risque politique devrait encore être présent en Europe au moins au premier trimestre mais il y a quand même une légère amélioration pour la France qui se traduit par un petit resserrement du spread OAT-Bund revenu à 0.70% contre près de 0.9% en décembre. Les élections législatives allemandes comportent des risques mais selon le résultat, elles pourraient déboucher sur une volonté nouvelle pour le pays de relancer l’investissement public et de stimuler l’investissement privé, après deux années sans croissance pour la première économie de la zone euro. 

Même si les marchés européens ont montré une vraie résilience depuis janvier et même une surperformance, on peut se poser la question de leur trajectoire si les indices américains venaient à corriger plus sensiblement. Car les certitudes semblent un peu moins présentes depuis décembre sur les actions américaines : durcissement de ton de la Fed en décembre, « surprise » Deepseek, incertitudes commerciales avec le risque de mesures de rétorsion de la Chine mais aussi de l’Europe, effet de la remontée des taux US ces derniers mois (qui offre clairement une alternative crédible aux investisseurs sur actions US qui chercheraient à prendre leurs gains dans un environnement plus instable) et enfin l’effet des publications de résultats trimestriels. Pour plusieurs des 7 Magnifiques, les projections de revenus pour le trimestre en cours sont moins fortes qu’anticipées par le consensus des analystes…ce qui peut présenter des risques alors que les multiples de valorisation du SP500 ou du Nasdaq100 sont très élevés. 

Pour conclure, le principal risque pour les marchés européens dans les semaines qui viennent semble surtout venir d’un retour de la volatilité sur les marchés américains car historiquement, les corrections un peu marquées des indices américains ont un impact sur les bourses européennes.