Les banques centrales poussent les investisseurs à prendre du risque !

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Contrairement aux attentes de la très grande majorité des observateurs, les taux ont encore baissé cette année ! De ce fait, pratiquement toutes les classes d’actifs obligataires (à l’exception des obligations émergentes) paraissent « hors de prix » ! Est-ce le signe d’une situation économique déprimée (voire déflationniste) ou le résultat de politiques monétaires qui faussent le jeu naturel des marchés ? Dans ce contexte, les actions semblent nettement plus attractives… Mais il n’y a plus de décote.

Economie : 2014 devait être une année d’accélération de la croissance mondiale après un cru déjà positif en 2013 à + 2,9 %. On attendait + 3,6 % pour l’année, ce sera très certainement moins après la déception du premier trimestre aux États-Unis (- 1 %) que l’on attribue aux conditions météorologiques exceptionnellement mauvaises. Mais d’autres pays ont également déçu : la croissance des pays émergents a été de seulement 2,9 % contre 5 % fin 2013, avec la Chine à 6 %. Au final, le ralentissement du premier trimestre a été significatif avec une croissance mondiale inférieure à 2 %, soit le rythme le plus faible depuis le premier trimestre de 2009. Les derniers indicateurs sont plus encourageants : le commerce mondial rebondit assez fortement en mars/avril, les États-Unis retrouvent une dynamique plus positive avec une reprise des créations d’emploi et des ventes au détail.

La Chine montre également des signes de stabilisation à la suite de mesures gouverne- mentales ciblées : la production d’acier remonte et les indicateurs avancés auprès des chefs d’entreprises se reprennent. L’activité accélère également légèrement dans la zone Euro et cette tendance devrait être soutenue par la dernière décision de la BCE. Au final, une réaccélération semble se matérialiser et le rythme de croissance devrait passer à 3 % au deuxième trimestre, avec de bonnes chances de se poursuivre au cours des trimestres suivants… Sauf si la situation géopolitique s’aggrave et engendre une pour- suite de la hausse des prix du pétrole. Rappelons qu’il est communément admis qu’une hausse de 10 dollars des prix du baril a un impact de 0,2 % sur la croissance mondiale.

Taux d’intérêt : est-ce que l’évolution des taux d’intérêt va suivre ce cheminement des anticipations de croissance ? Logiquement, les marchés de taux d’intérêt anticipent et sont de bons indicateurs avancés de l’économie. Dans ce cas, les taux d’intérêt devraient se tendre. Nous estimons en effet que les taux ont atteint (à peu de chose près et sauf aggravation de la situation géopolitique) un point bas. Compte tenu de la dernière action de la BCE, il est clair que les taux monétaires ne remonteront pas avant longtemps, ce qui va donner un point d’ancrage très bas pour la partie courte de la courbe des taux. Dans ces conditions, nous estimons que les taux à 10 ans pourraient remonter de l’ordre de 30 pb au cours des prochaines semaines avant de se stabiliser.

Un range 1,5/2 % pour les taux à 10 ans allemands semble ainsi cohérent pour les prochains mois. La baisse régulière de l’inflation explique également cette hypothèse. Elle est estimée à 0,8 % pour la zone Euro cette année et certains parlent même de situation de défla- tion potentielle, sous la pression de quelques paramètres, notamment en France : immobilier trop cher, désendettement, ajustements de com- pétitivité dans le coût du travail, devise trop forte… Pour pallier à ce manque de rendement structurel, il peut être intéressant aujourd’hui de reconsidérer des stratégies de gestion de « performance absolue » : gestion alternative, fonds non direc- tionnels flexibles, « risk arbitrage »…

Crédit/High Yield : les investisseurs continuent à courir après le rendement. Les émissions d’entreprises se placent facile- ment, même si les spreads sont trop bas, que ce soit dans le domaine de l’ « Investment Grade » ou du « High Yield ». Sur ce dernier segment, les flux ont été particulièrement importants depuis 2 ans : 70 milliards d’euros cumulés en Europe et rien que cette année, les flux entrants représentent 10 % des actifs. De ce fait, le rendement du gisement européen est à son plus bas historique, à moins de 4 %. Aux États-Unis également, le rendement des obligations vient de passer sous le seuil de 5 %. Il s’agit de la deuxième fois dans l’histoire. La première fois, c’était en mai 2013, juste avant que les taux ne remontent globalement. Mais à cette époque, le taux équivalent des titres gouvernementaux étaient 75 pb plus bas qu’aujourd’hui ! Attention donc, il n’y a plus beaucoup de marge de sécurité, même si la qualité intrinsèque des émetteurs est bonne et que le taux de défaut est de moins de 1 %. Nous réitérons notre conseil de prudence : le profil « rendement/risque » n’est plus attractif et il y a un risque de liquidité en cas de choc qui inciterait les investisseurs à vouloir tous sortir en même temps…

Obligations émergentes : les flux commencent à revenir sur cette classe d’actifs et les performances récentes ont été très positives. Il reste encore du potentiel, même si la dette émise en dollars n’est plus sous-évaluée alors que les rendements viennent de perdre 100 pb et se situent désormais à 5 %. Le segment de la dette locale présente un rendement moyen plus attractif de l’ordre de 6,5 %, mais avec un risque de change.

Actions : le niveau très bas des taux d’intérêt constitue naturellement un soutien aux « actifs risqués », et particulièrement les actions. Mais la marge de sécurité est aujourd’hui moins importante car les valorisations se sont renchéries. Le mouvement de rattrapage étant terminé, la performance des actions dépendra de deux facteurs principaux : le taux de progression des bénéfices des entreprises et le niveau des taux d’intérêt.

Pour ce qui est des bénéfices, ils sont attendus en progression de l’ordre de 10 % en Europe et de 8 % aux États-Unis. Mais le problème, surtout pour l’Europe, c’est que le mouvement de révisions est toujours orienté à la baisse. Il n’y a donc pas de dynamique positive encore sur les résultats des entreprises et il serait étonnant d’avoir une nouvelle année boursière très positive sans relai de ce côté…

À moins d’assister à une expansion des PER. Si nous avons raison dans notre scénario de relative stabilité des taux d’intérêt à des niveaux très bas et pour longtemps, il est alors possible d’assister à une augmentation des valorisations des actions selon le principe financier classique : la valeur instantanée de flux futurs actualisés à un taux plus bas s’accroît. Ainsi, aux conditions actuelles, une hausse de 1 point de PER signi fierait une augmentation des cours de l’ordre de 7 %. On a connu dans le passé de tels mou- vements, le dernier en date significatif a eu lieu dans la seconde partie des années 90 où le PER d’ensemble des marchés actions avait atteint la zone de 25. La suite a été plus douloureuse, avec un « derating » généralisé des actions durant la fameuse décennie perdue des années 2000. Parier sur un tel scénario nous semble aléatoire, surtout si les taux américains remon- tent plus vite que prévu.

Nous pensons donc que la progression des actions sera à un chiffre cette année, proportionnelle à celle des bénéfices, performance à laquelle on ajoute les dividendes qui sont aujourd’hui très attractifs en comparaison des taux d’intérêt, surtout en Europe (autour de 3,5 %). Nous n’avons pas de préférence particulière en termes de style ou de secteur, il n’y a pas de décote particulière. La différence se fera par la sélection individuelle des titres.

Enfin, nous restons convaincus que les actions émergentes dans leur ensemble présentent une décote significative qui finira à moyen terme par se résorber. Nous aimons particulièrement les actions chinoises, délaissées en raison du manque de visibilité actuel sur la phase de transition économique en Chine. Nous pensons que les autorités vont réussir à orchestrer un « soft landing » et que la sous- valorisation du marché va se réduire.