par Yann Goffinet, Analyste financier senior chez Pictet Wealth Management
Les fortes ventes de titres financiers européens de ces dernières semaines ont suscité des craintes de nouvelle crise bancaire. En fait, la sous-performance des banques européennes par rapport au marché actions européen est très comparable à celle des banques américaines vis-à-vis de leur marché boursier, ce qui laisse penser que les problèmes auxquels sont confrontés les établissements européens n’ont rien de particulier. Le secteur bancaire n’en reste pas moins vulnérable aux pressions sur les attentes bénéficiaires résultant de craintes plus générales quant à la situation économique dans le monde, craintes qui continueront de peser sur les titres bancaires.
Pressions renouvelées sur les banques
Trois nouvelles causes de dégradation des résultats des banques européennes et américaines sont apparues au cours de ces dernières semaines:
- Pertes dans le secteur de l’énergie et cycle du crédit. Les pertes résultant de la faiblesse des prix du pétrole et des matières premières laissent craindre aux marchés un retournement du cycle mondial du crédit aux entreprises, lequel était bien orienté depuis la fin de la crise financière de 2007-2008. Les prêts au secteur de l’énergie ont essuyé au quatrième trimestre quelques pertes, qui devraient se multiplier si les prix des matières premières restent bas. Mais les pertes sur prêts seront progressives et s’étaleront sur plusieurs trimestres, à la grande différence de la période 2007-2008, où l’évaluation à la valeur de marché exigeait une prise en compte immédiate des pertes subies par les banques.
- Taux d’intérêt en baisse/négatifs. Lorsqu’elle survient, une telle situation plombe généralement les marges sur taux d’intérêt des banques ainsi que leurs bénéfices. En mars, la Banque centrale européenne (BCE) devrait continuer à réduire ses taux, probablement de 10 points de base, accentuant leur plongée en territoire négatif, à -0,4%. Une baisse de 20 points de base du taux de dépôt pénalise les bénéfices des banques européennes d’environ 5%. Par ailleurs, les marchés tablent désormais sur un resserrement monétaire aux Etats-Unis plus lent qu’ils ne l’avaient anticipé, ce qui pèsera sur le bénéfice des banques. Et la décision de la Banque du Japon (BoJ), fin janvier, d’introduire des taux négatifs a suscité de nouvelles interrogations: les taux négatifs vont-ils se généraliser? Combien de temps resteront-ils à ce faible niveau et jusqu’à quel point pourraient-ils baisser?
- Diminution des revenus de négociation. Conséquence de la baisse des marchés du crédit et des actions, elle est préjudiciable aux banques d’affaires et aux banques internationales des deux côtés de l’Atlantique.
Risque systémique ?
Les banques sont donc confrontées à un problème de rentabilité, et ce à plusieurs titres. Elles ne rencontrent toutefois pas de difficultés de trésorerie ou de solvabilité, du moins pour l’instant. Il n’y a donc pas de problème systémique (à la différence de 2007-2008). Les ratios de solvabilité des banques européennes ont en fait progressé de 20 points de base au quatrième trimestre, à 12,2%, soit un niveau bien supérieur à celui d’avant la crise financière de 2007-2008. La liquidité des banques est abondante, contrairement à celle du marché qui, elle, pose problème.
Prévalence d’incertitudes plus globales
Les titres bancaires semblent donc davantage souffrir de la tourmente sur les marchés boursiers internationaux et des inquiétudes au sujet de l’économie mondiale que de problèmes de nature systémique, spécifiques aux banques.
Les risques déflationnistes sont particulièrement préoccupants pour les banques, dans la mesure où la valeur réelle d’une dette augmente lorsque l’inflation devient négative. Par ailleurs, le secteur bancaire génère habituellement un bêta élevé en période de crise, car les banques sont des entités fortement endettées (leur ratio capitaux propres/total des actifs est souvent inférieur à 5% en Europe et légèrement supérieur aux Etats-Unis) et exposées à de multiples secteurs et zones géographiques, surtout – dans le contexte actuel – au pétrole et au gaz, aux matières premières et aux marchés émergents.
Un rebond significatif des titres bancaires dépendra de la diminution de ces risques, en particulier de ceux liés aux effets déflationnistes mondiaux susceptibles de naître d’une brutale dépréciation du yuan chinois. Tant que ces incertitudes subsisteront, le secteur aura du mal à se montrer performant sur la durée.
Au sein du secteur financier, les conditions actuelles devraient favoriser les établissements non bancaires dont le risque de bilan est faible et qui sont peu vulnérables à une baisse de revenus. Quant aux banques de détail à caractère national peu exposées au marché, elles semblent mieux placées pour tirer leur épingle du jeu.