Les entreprises américaines vont-elles se remettre à investir ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Alors que les nouvelles conjoncturelles s’améliorent nettement depuis deux mois avec un rebond des indicateurs de confiance et de fortes créations d’emplois(1) (234K en moyenne sur les trois derniers mois) suggérant qu’après le trou d’air du T1(2) la croissance américaine devrait fortement progresser au T2, la question centrale nous semble être celle de la capacité des entreprises à investir de façon à permettre à la croissance américaine d’être auto-entretenue après avoir été soutenue artificiellement par des politiques économiques ultra-accommodantes : suite à la crise de Lehman, soutien budgétaire massif et politique monétaire très expansionniste.

En 2014/2015, la politique budgétaire devrait être à peu près neutre pour la croissance après le fiscal cliff de 2013. Le soutien apporté par la politique monétaire devrait progressivement s’atténuer en 2014 avec un début de resserrement attendu à partir de mi-2015. Par ailleurs, les déséquilibres macroéconomiques continuent de se réduire avec notamment une amélioration du déficit courant (environ 2,2% du PIB en 2014 vs 5,8% en 2006), reflet d’une légère progression des parts de marché des entreprises à l’export mais aussi d’une stabilisation du ratio des importations sur la demande intérieure. Si les secteurs liés à l’énergie (pétrole, gaz, pétrochimie,…) bénéficient de l’embellie, on commence également à voir des effets positifs dans d’autres secteurs.

Pourtant, les gains de productivité ont sensiblement ralenti ces dernières années ne progressant que de 0,8% en moyenne depuis 2011 alors qu’ils étaient en hausse d’environ 2,5% sur la décennie précédant la crise de 2008. Cette faiblesse, si elle peut constituer une bonne nouvelle pour l’emploi et le marché du travail à court terme, pourrait devenir un réel handicap pour l’économie américaine si elle devait se poursuivre impliquant une croissance potentielle plus faible à moyen terme et des pressions baissières sur les salaires réels.

Cette faiblesse des gains de productivité peut être reliée à celle de l’investissement des entreprises sur la période récente après le rebond post-crise. D’ailleurs il est intéressant de noter que l’investissement en nouvelles technologies a augmenté plus faiblement que l’investissement hors IT ces dernières années, renversant la situation d’avant crise où la part de l’investissement en IT dans l’investissement total progressait régulièrement.

Dans ce contexte, l’évolution de l’investissement des entreprises va être primordiale dans les trimestres à venir. Les conditions semblent aujourd’hui réunies pour envisager une reprise de l’investissement(3). En premier lieu, les perspectives de demande sont plutôt bien orientées avec l’amélioration de la situation des ménages américains (emploi dynamique, arrêt du resserrement de la fiscalité, progression de la richesse,…) même si la progression des salaires reste modeste et malgré l’accroissement des inégalités. De plus, la situation financière des entreprises est bonne avec des taux de profit et d’autofinancement élevés (la baisse du taux de profit au T1 est le reflet d’ajustements comptables liés à la fin d’une mesure fiscale sur l’amortissement accéléré du capital). D’autre part, les conditions de financement sont favorables avec des taux d’intérêt faibles et un accès au crédit facile.

D’ailleurs, les entreprises américaines ont sensiblement augmenté leur recours à l’endettement avec une progression assez forte de la dette des entreprises non financières (9,3% en rythme annualisé au T1-2014 après 9% en 2013). Mais parallèlement elles investissent peu et elles continuent de racheter massivement leurs actions (426Md$ en rythme annualisé au T1-2014 après 408Md$ en 2013) reflétant une certaine frilosité des entreprises américaines à investir…

Enfin, le taux d’utilisation des capacités de production est quasiment revenu à son niveau de long terme (proche de 79%) suggérant un besoin, dans un avenir proche, d’investissement de capacités, au-delà des investissements de remplacement. Mais il faudrait aussi des investissements de productivité.

Points positifs, les investissements en R&D ont eu tendance à se renforcer récemment et les différentes enquêtes suggèrent une reprise de l’investissement dans les mois qui viennent. Il faudrait que celle-ci se concrétise pour pérenniser le dynamisme de la croissance.

NOTES

  1. Cf. SR N°2014-76 « Etats-Unis : tout vient à point à qui sait attendre »
  2. Le PIB a reculé de 1% en rythme annualisé mais pourrait encore être revu à la baisse
  3. Cf la publication trimestriel : Economies Développées « États-Unis : dans l’attente d’une reprise de l’investissement », sortie prévue vers le 17, 18 juin

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