par Roland Lescure, directeur des gestions de Groupama Asset Management
L’année 2009 a commencé comme 2008 s’est terminée : le secteur bancaire accumule les pertes, la récession généralisée pèse sur les profits des sociétés cotées, le marché du crédit reste tendu et les plans de relance se succèdent sans pour l’heure montrer leur capacité à sortir l’économie mondiale de l’ornière.
Malgré l’annonce d’une réforme ambitieuse du système de santé, d’un soutien significatif des établissements bancaires et d’une relance publique massive, les premiers pas de la nouvelle administration américaine n’ont pas suffit à convaincre.
Les marchés doutent de l’avenir du système financier, s’inquiètent des perspectives dans l’industrie traditionnelle et craignent l’insoutenabilité des dettes publiques.
Ces inquiétudes ne nous surprennent pas. La dégradation des bourses reflète avant tout celle des profits des sociétés, qui auront été plus que divisés par deux entre le point haut de 2007 et la fin 2009. Les principaux marchés sont désormais proches de niveaux qui historiquement ont constitué des niveaux d’achat, mais les nuages restent nombreux : malgré la baisse des taux hypothécaires, le marché immobilier américain ne se stabilise pas ; les défaillances d’entreprises risquent de se multiplier ; les augmentations de capital se poursuivent et pèsent sur le marché, alors que l’absence des investisseurs de long terme se fait cruellement sentir.
Ces éléments nous ont conduits à revoir à la baisse nos prévisions de marchés pour la fin 2009 (2900 environ pour le CAC 40, 800 pour le S&P500). Le rebond dont ces chiffres font état repose sur trois hypothèses indispensables : un financement explicite du déficit public par des achats de bons du Trésor de la part de la Fed, annoncé le 18 mars ; la nationalisation temporaire d’une bonne partie des banques américaines ; la reconnaissance qu’une partie de l’industrie Outre-Atlantique n’est plus adaptée aux défis du XXIème siècle. D’ici là, nous n’excluons pas un passage par de nouveaux plus bas sur les actions.
Situation macroéconomique
Les chiffres de croissance du quatrième trimestre 2008 ont confirmé l’intensité et la globalité de la récession à l’œuvre. Les échanges internationaux sont à l’arrêt et l’activité est en chute libre. La récession n’est pas limitée aux économies caractérisées par un excès d’endettement privé. L’Allemagne et le Japon, baromètres des échanges internationaux, ont été touchés encore plus violemment que les Etats-Unis ou le reste de la zone euro. Les pays émergents ralentissent fortement, et même la Chine accuse une nette inflexion de la croissance.
Mis à part en Chine, où quelques signes timides de stabilisation se font jour, toutes les zones vont continuer à souffrir d’une croissance en berne. L’activité ne devrait commencer à donner quelques signes de stabilisation qu’à la fin 2009 ou en début 2010. Ceci suppose que les plans de relance, essentiellement américain et chinois, commencent à faire sentir leurs effets au second semestre. Le redressement passera également par un début de stabilisation de l’immobilier américain encore lointain.
Les premiers trains de mesures annoncées par Barack Obama vont dans le bon sens. En s’attaquant simultanément à la relance de la demande, via notamment une nouvelle donne redistributive, à la réforme des dépenses de santé et au soutien accru aux institutions financières, la nouvelle administration montre une bonne analyse des voies et des moyens qui permettront à terme de sortir de la crise.
Pour autant, la situation requerra vraisemblablement d’aller plus loin.
- D’abord, l’ampleur historique des émissions publiques nécessaires à l’assainissement du secteur financier et à la relance de la demande fait peser un risque sur la soutenabilité de la dette publique. Il est donc indispensable que la Réserve fédérale achète des obligations d’État américaines, au cas où les achats des investisseurs internationaux viendraient à se tarir. Cette mesure a été annoncée le 18 mars par la Fed et sera mise en œuvre dans les semaines qui viennent.
- Ensuite, les résultats bancaires resteront sous pression en 2009. Après avoir souffert en 2008 des conditions de marchés et des dépréciations passées sur leurs actifs toxiques et sur les survaleurs liées aux acquisitions passées, les banques pâtiront en 2009 de la hausse des taux de défaut, conséquence directe de la crise économique. La nationalisation d’un certain nombre d’institutions financières semble inévitable. Elle seule permettra de réanimer le circuit du crédit.
- Enfin, la réduction des surcapacités mondiales passera sans doute par une hausse des faillites industrielles, plus ou moins importantes en taille. La capacité des Gouvernements à laisser ce mouvement se dérouler semble également un pré-requis à une reprise industrielle, qui s’opérera vraisemblablement sur de nouvelles bases et s’appuiera en grands partie sur de nouveaux secteurs.
En Chine, le plan de relance annoncé à l’automne semble avoir quelques effets, notamment sur les crédits distribués. Mais la croissance est affectée par la récession mondiale et reste faible en début d’année. Il n’est pas exclu que les autorités annoncent un nouveau programme de relance, pour l’heure démenti.
Paradoxalement, la récession apparaît plus marquée en Europe qu’aux Etats-Unis. La chute du commerce mondial a impacté de manière très forte la conjoncture allemande, et la faiblesse de l’Europe de l’Est pèse sur l’ensemble de la zone après l’avoir tirée ces dernières années. Au-delà, l’ampleur plus limitée des plans de relance nationaux comparée à ceux prévus aux Etats-Unis et en Chine plaide pour un creux plus long en Europe.
A ce jour, le Japon est l’économie la plus affectée par la récession mondiale.
L’absence de ressort de croissance interne et l’appréciation passée du yen se conjuguent à l’arrêt des échanges internationaux et conduisent à une baisse du PIB inobservée depuis cinquante ans. Les marges de relance sont limitées et le Japon est une fois de plus condamné à attendre les reprises chinoise et/ou américaine.
Au total, l’économie mondiale affichera en 2009 une croissance négative (–2%), avec une baisse du PIB de -2% aux Etats-Unis, de près de -3% en Europe et de près de -6% au Japon. Après un début d’année déprimé, la croissance ne se redressera sans doute pas avant 2010, au fur et à mesure que les plans de relance permettront de stabiliser la demande finale.
Politiques monétaires
Comme attendu en début d’année, les taux directeurs des principales économies convergent vers des niveaux de politique à taux zéro (compris entre 0 et 0,5%). A ce stade, seule la BCE manque à l’appel, mais une poursuite de la baisse des taux à 1% semble acquise et un nouveau geste en-deçà est probable. La « Zirp » mondiale (zero interest rate policy) s’accompagne de mesures non-conventionnelles qui visent avant tout à assurer la liquidité des banques et la poursuite du financement des entreprises.
La prochaine étape est le soutien explicite des banques centrales aux émissions publiques, permettant de maintenir les taux des obligations gouvernementales suffisamment bas. Déjà en place au Royaume Uni, en Suisse et depuis longtemps au Japon, cette étape est désormais prévue aux Etats-Unis. Elle ne l’est pas encore en zone euro mais devra vraisemblablement être déployée.
Marchés obligataires gouvernementaux
La chute des recettes fiscales liées à la dégradation économique, les mesures de soutien bancaire et les plans de relance induisent une hausse exceptionnelle des émissions de dette publique. Pour autant, les taux longs des principaux Etats (USA, Japon, Allemagne, France, Royaume Uni) restent bas. Cela est en partie liée à la fuite vers la qualité, traditionnelle en période de crise, et à la politique de taux zéro quasi-généralisé.
Si les marchés semblent donner du crédit à la soutenabilité des dettes publiques dans les principaux États, il n’en est pas de même à la périphérie. De nombreux émetteurs, y compris dans la zone euro, voient leurs taux d’intérêt monter au fur et à mesure que le doute s’empare des marchés sur leur capacité à honorer leur dette.
L’Irlande ou la Grèce payent ainsi des taux d’intérêt à dix ans proches du double de ceux versés par l’Allemagne. Ces doutes nous semblent en partie justifiés. La dynamique de la dette est inquiétante dans certains pays de la zone Euro. C’est particulièrement le cas de l’Irlande où les perspectives de croissance sont durablement dégradées et où la taille du secteur bancaire était bien trop importante au regard du potentiel économique (10 fois le PIB). Il semble raisonnable de tabler, à terme, sur un accord politique au sein de la zone Euro permettant de sauver l’Irlande, au prix de concessions qui restent à établir. En attendant, les tensions risquent de persister et nous concentrerons nos investissements sur les Etats du cœur de la zone (France Allemagne essentiellement).
Hors des Etats où le risque d’insolvabilité inquiète les marchés, il est probable que les taux d’intérêt poursuivent leur baisse, nourris essentiellement par les politiques ’assouplissement quantitatif. Nous conservons une duration longue dans nos portefeuilles obligataires. En revanche, le mouvement de pentification des courbes nous semble toucher à sa fin, en ligne avec le terme de la baisse des taux directeurs.
Marchés du crédit
Les rendements du marché du crédit ont atteint des niveaux historiquement élevés. Ces rendements attractifs expliquent l’essentiel du succès des émissions record enregistrées sur les deux premiers mois de l’année. Mais l’amélioration du marché du crédit reste timide et cantonnée au marché primaire. Nous restons vigilants sur la situation financière des entreprises, qui sera affectée par l’environnement économique et par la hausse des taux d’intérêt réels. Les taux de défaut vont croître et affecter à leur tour le marché dans son ensemble. Enfin, la liquidité reste très réduite sur le marché secondaire et retarde également la détente. Au total, nous restons opportunistes sur le marché du crédit et n’investissons que de manière très sélective.
Marchés actions
Emportés par le plongeon des résultats des sociétés cotées enregistré en fin d’année dernière dans l’ensemble des économies industrialisées, les marchés actions ont fortement baissé en début d’année, pour atteindre des niveaux qui historiquement constituent des niveaux d’achat. La dégradation supplémentaire des profits que nous attendons (de l’ordre de -30% en 2009, après autant en 2008) est aujourd’hui anticipée par une bonne partie des analystes et nous semble correctement valorisée dans les cours.
Pour autant, l’absence d’acheteurs de long terme peine à équilibrer les indices, alors que les augmentations de capital se multiplient et pèsent d’autant sur le marché. C’est pourquoi nous n’excluons pas de nouveaux plus bas (environ 2000 sur le CAC, 550 sur le S&P500), qui seront atteints pour des raisons essentiellement techniques. Un rebond des marchés reste le plus probable à horizon de la fin de l’année, une fois les augmentations de capital digérées et les mesures publiques de redressement enfin mises en place.
Nous restons à ce stade sous-pondérés sur les actions (de l’ordre de 40% dans un portefeuille 50% actions-50% obligations) et conservons un positionnement sur les secteurs défensifs et sur les entreprises à forte visibilité de cash-flow et de résultats. Nous adopterons une position plus offensive quand un certain nombre de catalyseurs seront en place : l’annonce de la nationalisation temporaire d’une partie des banques américaines ; la reconnaissance de la faillite d’un constructeur automobile américain ; et l’annonce effective d’achats d’obligations d’Etat par la banque centrale américaine. Ces décisions nous semblent être trois conditions nécessaires pour une reprise allant au-delà du rebond technique.
Marchés des changes
Le marché des changes est relativement stable pour les principales monnaies depuis le début 2009. Cette stabilité est bienvenue mais la situation est différente sur les monnaies émergentes, qui souffrent de la situation économique dégradée, de la baisse des matières premières et des difficultés de financement de certains pays. Un accord implicite de statu quo entre la Chine et les Etats-Unis (pas de protectionnisme américain, des achats de bons du Trésor maintenus par la Banque centrale chinoise) semble se dessiner. Au-delà, il est indispensable que les autorités mettent en place une nouvelle régulation des changes au niveau mondial. Le menu du G20, qui doit traiter des mesures de relance, de soutien bancaire et de nouvelle régulation du système financier, devra également traiter du marché des changes.