Les marchés financiers sous l’influence des banques centrales

par Klaus Wiener, Chef économiste chez Generali Investments Europe

• Les actifs financiers ont à nouveau affiché de belles performances au cours des trois derniers mois malgré d’importants risques géopolitiques, des incertitudes quant à la croissance mondiale et des craintes déflationnistes dans la zone euro.

• Nous attribuons ces résultats en majeure partie aux politiques monétaires ultra-conciliantes des pays occidentaux. Ces politiques ont créé un contexte de taux faibles qui pousse les investisseurs vers les actifs dont le potentiel de rendement est supérieur.

• A l’avenir, nous prévoyons que ce contexte de marché persistera jusqu’au signal d’une fin imminente des politiques monétaires ultra-conciliantes.

• La BCE ne devrait pas émettre un tel signal avant très longtemps. Elle pourrait même devenir plus conciliante

• La Fed s’apprête à relever ses taux, mais le premier relèvement n’interviendra pas avant 2015. En outre, toute nouvelle mesure sera très progressive et l’impact négatif sur le marché sera probablement atténué par un meilleur contexte macroéconomique.

Au cours des trois derniers mois, les marchés financiers de la zone euro ont affiché de très belles performances. Alors que les actions ont augmenté de près de 5 %, les marchés du crédit public et privé ont aussi beaucoup progressé. Le rendement total (dividende plus appréciation du capital) a par exemple avoisiné 4 % dans le cas des emprunts d’État italiens et espagnols et 2,3 % dans celui des obligations d’entreprises de catégorie « Investissement Grade ». Notons que le marché financier a bien résisté malgré la présence de risques importants. Sur le plan géopolitique, le conflit a persisté en Ukraine et un autre a éclaté en Irak. En Europe, les eurosceptiques ont emporté de nombreuses voix aux élections européennes, ce qui n’enfreindra pas le processus législatif, mais évoque clairement le mécontentement de l’électorat à l’égard des mesures actuelles. Point plus délicat, l’inflation de la zone euro n’a pas augmenté au printemps contrairement aux attentes, ce qui a déclenché un nouveau débat sur la déflation.

Bien sûr, la contrepartie de la bonne performance des marchés obligataires est une nouvelle baisse du rendement courant. Dans le sud de l’Europe par exemple, la majorité des emprunts d’État à 10 ans ont un rendement inférieur à 3 %. C’est un niveau très éloigné des sommets atteints au pire de la crise et même beaucoup plus bas que ce que les plus optimistes auraient espéré quand la crise de l’euro battait son plein. Le rendement du Bund à 10 ans est retombé à 1,3 %, contre 2 % à la fin de l’année et à peine au-dessus du plancher historique de 1,15 % qu’il avait atteint en 2012. C’est remarquable dans le sens où cette nouvelle baisse du rendement des obligations du Core de la zone euro intervient alors que la crise du crédit souverain a largement perdu de son mordant. Lorsque les taux des pays périphériques avaient explosé avant la mi-2012, le taux des obligations du centre de la zone euro avait chuté sous l’effet de la ruée vers les valeurs refuges. Plus tard, lorsque les taux des pays d’Europe ont commencé à baisser, on s’attendait à une certaine normalisation du rendement des obligations Core de la zone euro mais la forte dé-corrélation entre les deux a complètement disparu. Enfin, avec la forte baisse des rendements sous- jacents et un resserrement des spreads de 17 pbs, le rendement moyen des obligations d’entreprises de la zone euro se situe maintenant à son plancher historique de 1,83 %.

Selon nous, ces tendances exceptionnelles qui ont dominé les marchés depuis quelque temps sont surtout attribuables aux mesures extrêmes des principales banques centrales. A cet égard, la BCE s’est récemment distinguée. Initialement perçue comme moins agressive, elle vient de mettre en œuvre une série de mesures non conventionnelles. En dehors de la prolongation jusqu’à fin 2016 de la procédure d’appels d’offres in- tégralement servis, les achats SMP ne seront plus stérilisés. De plus, en vertu d’un nouveau mécanisme de refinancement (« TLTRO »), les banques pourront demander des liquidités supplémentaires pour financer leurs prêts au secteur privé. Mais surtout, c’est la première fois qu’une grande banque centrale décide de faire passer son taux de dépôt en territoire négatif (-0,1 %). Ces mesures impliquent qu’au fil du temps, le bilan de la BCE recommencera à grossir fortement. Quant au PIB, nous nous attendons à ce qu’il rejoigne à nouveau le niveau élevé qui prévaut aux Etats-Unis.

Une forte croissance du bilan d’une banque centrale a d’importantes répercussions sur les marchés finan- ciers. Elle réduit fortement le rendement des emprunts d’État tant que l’inflation restera faible. C’est la leçon principale à tirer des mesures d’assouplissement quantitatif adoptées par la banque centrale américaine. Quand les emprunts d’État ont un rendement faible, les autres classes d’actifs sont également touchées. Premièrement, elles semblent relativement moins chères. L’exemple généralement utilisé à cet égard est la comparaison entre le rendement de distribution et le rendement des emprunts d’État. Par exemple, un ren- dement de distribution de 3 % sur les actions européennes est plus attrayant qu’un taux de 1,3 % sur le Bund à 10 ans ou de 1,7 % sur l’OAT à 10 ans. Deuxièmement, pour atteindre des objectifs de rendement, aussi modestes soient-ils, les investisseurs sont de plus en plus contraints à se diriger vers des actifs plus risqués comme les actions ou les instruments de crédit. Ce phénomène touche les investisseurs institutionnels, mais aussi les investisseurs privés. Étant donnés les changements démographiques en Europe, ces derniers doivent épargner pour leur retraite. Toutefois, les rendements étant si bas, l’épargne seule ne leur permet pas d’atteindre leurs objectifs ni même de maintenir leur capital en termes réels. Par mesure de compensation, ils doivent diversifier leur portefeuille financier et épargner davantage. En fin de compte, une politique monétaire peut générer des effets contraires à ses objectifs : les rendements faibles réduisent la demande interne au lieu de l’encourager.

Pas de réels changements en vue

Notons que cet environnement ne risque pas de changer immédiatement. Ni la Banque du Japon ni la BCE ne changeront de cap prochainement. Le gouverneur de la BCE, Benoît Coeuré, a levé tout équivoque à ce sujet en disant que la divergence entre les conditions monétaires de la zone euro et des Etats-Unis durerait « plusieurs années ». Quoi qu’il en soit, la BCE a clairement indiqué qu’elle était disposée à se montrer en- core plus conciliante en mettant en œuvre un programme de rachat d’ABS.

Dans le pire des cas (si l’inflation reste faible ou diminue), la BCE semble maintenant disposée à mettre en œuvre un programme d’assouplissement quantitatif qui impliquerait des rachats massifs d’emprunts d’État. Selon nos prévisions, nous nous attendons à ce que l’inflation de la zone euro remonte progressivement. Cela dit, la BCE réagirait sûrement rapidement si cela n’était pas le cas.

Contrairement à la zone euro, la Fed a commencé à mettre fin à certaines mesures d’assouplissement, mais cette démarche sera lente et progressive. En ce qui concerne la réduction programmée des rachats d’actifs, ces rachats ont été réduits à 35 milliards de dollars par mois en juin et le QE3 devrait se terminer à la fin novembre 2014. Cependant, d’ici-là, le bilan de la Fed continuera de grossir, ce qui était loin d’être le cas lors de l’interruption abrupte du QE1 en 2010 et du QE2 en 2012. De plus, la Fed réinvestira le coupon des em- prunts d’État qu’elle détient de sorte que son bilan ne se contractera pas de façon importante avant 2020 compte tenu de la longue duration de ces actifs. Enfin, même si la Fed commence à relever son taux directeur à la mi-2015 (conformément à nos prévisions), elle le fera de façon progressive. Comme l’a clairement in- diqué Mme yellen, le taux directeur pourrait rester très inférieur au niveau suggéré par les modèles de juste valeur traditionnels s’appliquant au taux directeur de la Fed. Par conséquent, même aux Etats-Unis, qui ont fait le plus de progrès pour surmonter la crise financière, la politique monétaire ne deviendra pas restrictive de sitôt.

Allocation d’actifs : le contexte reste favorable aux actifs risqués

Outre l’énorme soutien qu’offrent les politiques monétaires actuelles aux marchés financiers, nous consta- tons également des progrès d’ordre fondamental. Surtout, les signes de pression sur l’euro se sont atténués avec la réduction des soldes Target 2 et du déficit courant des pays très endettés. De plus, nous sommes convaincus que l’économie américaine va accélérer dans le courant de l’année 2014 pour s’établir à un rythme supérieur à son potentiel. Elle bénéficie surtout d’une solide croissance de l’emploi et de la hausse des prêts bancaires. Ce dernier aspect est en contraste flagrant avec la zone euro, où le crédit au secteur privé baisse encore. Enfin, grâce à un assouplissement de sa politique monétaire, l’économie chinoise devrait croître d’un peu plus de 7 %, ce qui allégerait quelque peu les préoccupations de croissance de la première économie asiatique.

Les implications pour notre allocation d’actifs sont simples. La volatilité des marchés pourrait augmenter de ses niveaux bas récents mais nous recommandons de maintenir une surpondération des actions et du crédit public/privé au détriment des emprunts d’État et de la trésorerie. En fait, nous avons même accentué notre recommandation au vu de l’approche plus agressive de la BCE. Au niveau régional, il est à notre avis fort probable que l’écart de performance des actions s’atténuera après s’être creusé au cours des dernières années. En ce qui concerne la duration, nous recommandons une duration courte sur les bons du Trésor américains mais une duration neutre sur les emprunts d’État Core de la zone euro, malgré leur faible rendement actuel.