Les paradoxes de la reprise chinoise

par Sophie Wieviorka, Économiste – Asie (hors Japon) chez Crédit Agricole

La croissance chinoise a positivement surpris le consensus, en rebondissant à 4,5% en glissement annuel au premier trimestre. Elle doit encore se consolider pour atteindre la cible officielle (« autour de 5% »), mais devrait pour cela être aidée par des effets de base très favorables, notamment au deuxième trimestre. La croissance du T2 2022 avait été particulièrement faible (0,4%), en raison du poids du confinement de Shanghai.

La décomposition de la croissance par composantes n’est pas encore publiée, mais les indicateurs d’activité (production industrielle, investissement, ventes au détail, exportations) en donnent déjà un bon aperçu. 

Cet aperçu, c’est celui d’une reprise commençant enfin à être tirée par la consommation des ménages. Les ventes au détail ont ainsi affiché une belle progression en mars (+10,6% en glissement annuel), dépassant donc le rythme de la croissance de l’économie, ce qui ne s’était pas produit depuis mi-2021. 

Au contraire, la production industrielle, qui avait largement été soutenue par la demande du secteur exportateur en 2021 et 2022, a déçu le consensus : +3,9% en mars en glissement annuel, contre une prévision de +4,4%. Pourtant, les exportations sont reparties à la hausse en mars (+14,8%), signalant une reprise de la demande mondiale, venue cette fois-ci plutôt des pays d’Asie, et notamment de l’Asean, ainsi que de la Russie, et portée par les ventes d’automobiles et d’acier. 

Mais les indices PMI, indicateurs avancés de la production manufacturière, tendent effectivement à indiquer que les directeurs d’entreprises ne sont pas très optimistes sur leurs carnets de commande futurs : en mars, le PMI Caixin se situait ainsi à 50, à la limite entre zone d’expansion et de contraction de l’activité.

Il ne s’agit pas du seul signal contradictoire que nous donne l’économie chinoise. Entre anciennes et nouvelles cicatrices, les chiffres révèlent des fractures sectorielles que le pays doit encore refermer. 

La première, c’est ce problème persistant de chômage des jeunes. Ce dernier a une nouvelle fois accéléré en mars, passant de 18,1% à 19,6% chez les 16-24 ans, proche du record de juillet 2022 (19,9%). La déconnexion entre le marché du travail des jeunes et le reste de l’économie n’est pas rassurante, d’autant que le taux de chômage urbain pour l’ensemble de la population a lui reculé entre février et mars (de 5,6 à 5,3%). Même si ce dernier mesure mal les contours du chômage en Chine, puisqu’il ne prend pas en compte les travailleurs migrants, qui servent de variable d’ajustement mais représentent de 250 à 300 millions de travailleurs, il indique que les jeunes demeurent exclus de ce mouvement. 

La création d’emplois est pourtant un objectif prioritaire, comme l’a répété l’ancien Premier ministre Li Keqiang lors de son dernier discours devant le Congrès. Si le redémarrage du secteur de la tech, dont le resserrement réglementaire semble maintenant être achevé, devrait aider à absorber une partie de la main-d’œuvre jeune et qualifiée, il faudrait aussi que le secteur des services, particulièrement touché par les restrictions Covid, récupère totalement. Les dépenses liées aux déplacements, à l’hôtellerie-restauration, aux loisirs, etc., ont augmenté mais demeurent toujours sous leur niveau de 2019. Or, ce secteur fournit des emplois peu qualifiés à bon nombre de jeunes Chinois. 

Deuxième paradoxe de l’économie chinoise : l’investissement privé. Ce dernier est toujours plombé par les dérives du secteur immobilier. Les superficies vendues sont de nouveau en territoire positif (+1,4% en mars en glissement annuel), en raison notamment d’effets de base plus favorables, mais les nouvelles constructions plongent toujours (-17,8% sur douze mois). Si le choc de confiance commence donc peut-être à légèrement se résorber du côté des ménages, avec une légère reprise des transactions, il ne l’est pas suffisamment pour permettre la mise en chantier de nouveaux projets. 

L’investissement privé, pénalisé par la faiblesse du secteur immobilier mais aussi par des marges en baisse, n’a donc progressé que de 0,6% au premier trimestre. 

Ce paysage économique est finalement cohérent avec un indicateur : celui de l’inflation, toujours très faible (0,7% en mars en glissement annuel).Cette dernière signale que malgré la reprise, l’économie chinoise est encore loin, très loin de la surchauffe. Il faudra d’abord que la pression de la demande des ménages soit telle que les entreprises puissent augmenter leurs prix d’équilibre, et donc alimenter de nouveau l’inflation. 

Enfin, la réaction des autorités semble toujours identique : assouplir la politique monétaire en baissant les taux de réserves obligatoires pour les banques, et les encourager à augmenter leur production du crédit. Pas de quoi régler la question du chômage des jeunes à court terme.

Notre opinion – Au-delà de 2023, c’est la croissance des prochaines années qui doit préoccuper la Chine. Le FMI anticipe ainsi une croissance sous les 4,5% en 2024, et sous les 3,5% en 2028. De nouveau, la question du ralentissement chinois (« hard » ou « soft » lending) se pose, d’autant que les trois années de Covid ont peut-être détourné l’attention des autorités des questions structurelles fondamentales que sont la démographie et le système de protection sociale, au cœur pourtant des modèles d’économies avancées que la Chine aspire à rejoindre avant 2049, année du centenaire de la proclamation de la République populaire.