Les Quantitative Easing sont efficaces …jusqu’à engendrer des excès ?

par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM

Depuis le début d’année, les marchés ignorent les événements de nature à créer de la volatilité (géopolitique, Grèce…) et les tendances sont claires. Ces évolutions sont-elles dues uniquement aux politiques des Banques Centrales ? Ces tendances peuvent-elles se poursuivre à l’heure où les politiques monétaires américaines et européennes vont diverger ? La finance se déconnecte-t-elle trop de la réalité ? Les marchés sont-ils trop chers ? Les questions ne manquent pas et ont animé notre Comité trimestriel d’allocation d’actifs.

La croissance mondiale reste modeste mais la dynamique change de Continent… Les évolutions des parités de change peuvent, d’une certaine façon, être considérées comme des vecteurs de transfert de richesse et de réallocation de la croissance mondiale. Avec la hausse spectaculaire du dollar contre toutes les monnaies (hausse de 25 % du dollar index depuis 1 an), le momentum économique devient ainsi moins favorable aux États-Unis où la croissance sera tout de même comprise entre 2,5 et 3 % cette année, mais sûrement pas au-dessus.

Au contraire, la dynamique est positive en zone Euro et les estimations de croissance de 1,2 % pourraient être dépassées. La triple action de la baisse de l’euro, du pétrole et des taux d’intérêt pourrait la porter à plus de 1,5 % cette année, avec peut-être près de 2 % en Allemagne et plus de 2,5 % en Espagne… Le reste du monde est assez dispersé, particulièrement dans le monde émergent en proie à des divergences marquées depuis plusieurs mois. La compétitivité de la Chine est érodée par la force du Yuan qui est très corrélé au dollar… Toutefois l’Inde, et plus globalement l’Asie, devraient bénéficier de la baisse des prix de l’énergie. La situation au Brésil et en Russie est beaucoup plus délicate…

Plus globalement et historiquement, les phases de reprise du dollar ne sont pas favorables aux pays émergents. La Banque des Règlements Internationaux a ainsi noté que la spectaculaire baisse des taux provoquée par le QE de la Réserve Fédérale a engendré ces dernières années une hausse de près de 50 % des émissions non américaines en dollars, qui sont passées de 6 000 à 9 000 milliards de dollars. Bon nombre d’entre elles proviennent des pays émergents…

Au final, l’indice PMI manufacturier global progresse légèrement sous l’effet de la baisse du prix du pétrole mais la croissance mondiale devrait, en 2015, être proche de celle de 2014, soit autour de 3,3 %, ce qui est bien éloigné du rythme de 5 % du début des années 2000. La croissance des pays émergents sera de l’ordre de 4 %, ce qui fait un différentiel de seulement 2 % avec le monde développé contre près de 7 % au début des années 2000 !

Taux d’intérêt

Nous entrons en zone d’excès, mais cela peut durer… La question essentielle actuellement concerne la Réserve Fédérale américaine au sujet du timing et de son habileté à changer l’orientation de la politique monétaire initiée il y a presque 7 ans. Rappelons que cette politique a porté ses fruits : l’économie américaine a recrée 13 millions d’emplois depuis la crise de 2008 et le taux de chômage est proche de ses plus bas niveaux, Wall Street a été multiplié par 3 et les ménages se sont désendettés… Il est donc temps désormais de procéder à une normalisation de la politique monétaire. Quand et comment, c’est la grande question. La Fed doit-elle regarder uniquement les statistiques actuelles ou évaluer le degré de force ou de faiblesse de l’économie sous-jacente, impactée par la hausse du dollar et la baisse des investissements industriels dans le secteur des pétroles et gaz de schiste ?

Rappelons aussi que la plupart des économistes estiment que la croissance potentielle américaine est désormais de l’ordre de 2 % contre 4 % durant les années 90, ce qui fausse un peu les comparaisons historiques. Lors du dernier cycle entre 2004 et 2006, les Fed Funds avaient été relevés de 1 à 5,5 % sans réel dommage sur les taux longs qui étaient remontés légèrement en bon ordre sans créer de turbulences sur les marchés. Inversement, une communication mal maîtrisée aurait un impact important, et une tension significative des taux longs serait problématique pour les marchés. Il s’agit du principal risque actuel. Notre analyse est la suivante : nous pensons que la Fed sera habile et que, même si un premier relèvement des taux intervient dès le mois de juin, il est probable que la communication sera bonne et que le potentiel de hausse des taux monétaires sera modéré dans le contexte actuel. Compte tenu de la croissance potentielle plus faible, ce cycle de hausse des taux sera modéré et prendra fin autour de 3 %, ce qui devrait être de nature à ne pas vraiment déstabiliser l’économie et les marchés.

En Europe, la BCE a donné des indications claires. Les taux monétaires resteront autour de 0 % cette année et probablement une partie de l’année prochaine.

Cette divergence de politique monétaire soutiendra le dollar contre l’euro qui pour- rait coter bien en dessous de la parité à moyen terme. Comme à chaque fois, les marchés vont toujours trop loin ! À court terme cependant, le mouvement a été tellement rapide et il devient tellement clair qu’il attire « les investisseurs de dernière minute » et ils seront confrontés à une correction probable…

Les taux d’intérêt obligataires resteront aussi très bas sous l’effet du QE qui est très efficace et va accentuer encore les mouvements de réduction des spreads dans les pays de la zone : il y aura cette année en effet un peu plus de 270 milliards d’émissions gouvernementales nettes (dont 100 pour la France et 0 pour l’Allemagne !) alors que le programme de QE prévoit pour 360 milliards d’achats…

Donc, même si le profil risque/rendement des marchés obligataires n’est pas attractif sur pratiquement tous les segments, il y a peu de risques de tension cette année. Dans ce cadre, les obligations « High Yield » seront encore recherchées et la course au rende- ment se propagera sur tous les actifs : dette non cotée…

Le thème de l’inflation a été intéressant cette année, les niveaux d’inflation implicites étaient tombés trop bas dans le contexte de déflation et de publication de CPI négatifs. Il reste encore du potentiel pour les investis- seurs qui souhaitent couvrir ce risque à long terme ou ceux qui pensent que les Banques Centrales vont réussir à atteindre les cibles d’inflation (2 % pour la zone Euro).

Les obligations convertibles ne sont plus attractives intrinsèquement, particulièrement en Europe. Il y a peu d’émissions cette année, si bien que le gisement actuel est devenu cher : les volatilités implicites sont rapidement remontées après un creux en fin d’année dernière vers des niveaux élevés historiquement, autour de 31 % en Europe. Les rendements sont faibles et le Delta moyen est remonté, ce qui fait qu’au total, le caractère asymétrique protecteur est moins attractif.

Actions

La « zone de confort » est passée mais il reste du potentiel pour les actions européennes. Presque 6 ans jour pour jour après le point bas des marchés de mars 2009, le chemin parcouru est spectaculaire et il faut bien reconnaître que les valorisations des marchés actions sont aujourd’hui au-dessus des moyennes de long terme. Le PER médian actions américaines se situe ainsi autour de 21, le PER moyen calculé sur les estimations de résultats de 2015 est proche de 18. Le PER ajusté du cycle (le « CAPE », estimé sur les résultats moyens de 10 ans) est le troisième plus haut de l’histoire… et les précédents plus hauts ont précédé des corrections boursières particulièrement mémorables !

Par ailleurs, et comme pour l’économie, la dynamique de révisions des bénéfices n’est pas favorable aux actions américaines aujourd’hui en raison de la hausse du dollar et de la baisse du pétrole qui touche ce secteur dynamique ces dernières années : le bénéfice 2015 par indice S&P 500 est ainsi estimé à 120,5 USD aujourd’hui contre 134 dollars il y a 6 mois, soit une légère progression de moins de 2 % attendu pour les profits cette année. Les actions européennes sont moins chères et l’écart avec les actions américaines explique les flux très importants en provenance des États-Unis cette année. Le PER de l’année 2015 est certes de l’ordre de 16,5 cette année, mais les bénéfices des entreprises attendus à + 15 % pourraient être revus à la hausse. Le rendement des dividendes approche les 3 % pour l’ensemble du marché… Il y a donc encore du potentiel même si la trajectoire du marché est trop rapide. Nous nous attendions en début d’année à une progression de l’ordre de 15 % des actions européennes, en ligne avec les bénéfices. La progression sera probablement plus importante et les flux entrant vont engendrer un mouvement de revalorisation de la « classe d’actifs actions ». Les valeurs industrielles, de la consommation, du luxe devraient particulièrement bénéficier du momentum positif actuel.

Ailleurs, nous aimons également les actions japonaises qui bénéficient elles aussi d’une politique monétaire très agres- sive (baisse du yen et programme d’achat d’actions de la Banque du Japon). Les actions émergentes sont globalement dans un « Bear Market », mais nous considérons qu’il y a toujours un fort potentiel sur les actions chinoises locales. Elles ont progressé de plus de 40 % l’année dernière, mais elles étaient en retard depuis 6 ans et la performance de l’année dernière a attiré à nouveau l’attention et les flux devraient être positifs.