Les scénarios pour 2014 : risques et incertitudes

par Philippe Weber, Responsable Etudes et Stratégie chez CPR AM

« Prévoir consiste à projeter dans l’avenir ce qu’on a perçu dans le passé »
Henri Bergson, philosophe et écrivain français, Prix Nobel de littérature en 1927

Le scénario central de CPR AM est raisonnablement optimiste, avec une remontée paisible des taux d’intérêt et une progression tempérée des actions. On imagine que des incertitudes pèsent tout de même sur ces conclusions : pourriez-vous les préciser ? Bien entendu, des risques existent. Les principaux d’entre eux, ou plus exactement ceux qui nous ont semblé, a priori, avoir la probabilité d’occurrence la plus élevée, forment d’ailleurs nos différents scénarios alternatifs à l’horizon d’un an.

La première incertitude tient à la politique budgétaire américaine. En particulier, le plafond de la dette sera réinstauré au mois de février et il faudra alors le relever ou risquer l’arrêt des paiements. On a encore vu l’automne dernier qu’un blocage complet était possible. Cela étant, l’accord récemment intervenu entre les deux partis, pour partiel et temporaire qu’il soit, montre que le pire n’est pas toujours certain. Certes, cet accord a été critiqué par la faction la plus dure du parti républicain. Mais, malgré tout, sa signature fait que la probabilité d’un affrontement sévère a diminué, d’autant plus que le signataire du côté républicain, M. Ryan, n’est pas spécialement un modéré lui-même. Il faut malgré tout garder ce risque en tête car les perturbations sur l’économie réelle comme sur les marchés financiers pourraient être importantes.

Sinon, les Etats-Unis vous semblent engagés dans un rétablissement certes graduel mais solide ? Très vraisemblablement mais d’autres risques sont à surveiller. Je pense notamment à une remontée plus forte qu’anticipé des taux longs, en réaction au début de la normalisation de la politique monétaire. Si les marchés sont plus sensibles qu’on ne l’imagine à la réduction des achats de titres par la banque centrale, ou si le guidage avancé par lequel la Réserve fédérale entend ancrer les anticipations de taux court ne fonctionne pas, on pourrait observer de fortes tensions ; sans qu’elles aillent jusqu’à un krach obligataire comparable à celui de 1994, elles pourraient freiner sensiblement l’activité économique, notamment via le logement.

Et ailleurs dans le monde ? L’Europe est toujours dans une situation compliquée. L’économie donne des signes de reprise mais ceux-ci sont encore fragiles et inégalement répartis. La distribution de crédit est atone et les prix ralentissent encore – l’inflation est extrêmement basse. C’est pourquoi nous avons introduit le risque d’une entrée en déflation, non pas baisse ponctuelle des prix due, par exemple, à une baisse du prix du baril, mais baisse durable du niveau général des prix.

Même si la probabilité est relativement faible, les autorités, notamment monétaires, doivent tout faire pour éviter cela : la déflation est une situation dramatique (bien pire qu’une inflation moyenne) et très difficile à combattre. Dans cette hypothèse, l’économie retournerait presque certainement en récession et les tensions sur les dettes publiques seraient exacerbées. Toujours en Europe, il faut aussi garder présent à l’esprit le fait que certains pays, je pense notamment à l’Italie, ne sont pas à l’abri de tensions politiques qui pourraient raviver la crise financière. La France elle-même, jusqu’ici épargnée par les craintes des investisseurs, pourrait inquiéter mais il me semble que le risque reste relativement faible, au-delà de la mode consistant actuellement à en dire pis que pendre. Il faut aussi évoquer les pays émergents, et notamment la Chine. Deux phénomènes se sont conjugués en 2013 ; un ralentissement assez marqué de l’activité, en partie mais pas seulement cyclique, et des sorties de capitaux assez nettes lorsque la Réserve fédérale a commencé à annoncer le ralentissement de ses achats de titres. Le risque est qu’on assiste à un ralentissement réellement structurel de ces pays avec la remise en cause d’un modèle de croissance fondé sur les exportations et l’investissement. Dans le cas de la Chine, cela pourrait se juxtaposer aux difficultés (économiques, sociales, voire politiques) nées des réformes que semble vouloir engager la nouvelle équipe dirigeante. Compte tenu du poids désormais acquis par ces pays, les conséquences pourraient être importantes à l’échelle mondiale.