par Johannes Müller, Chef Economiste, DWS Investments
1) Un taux d’inflation plus élevé va devenir la norme
L’accélération de l’inflation telle que nous l’observons dès à présent ne constitue que les prémices d’une tendance à long terme. Durant des années, l’augmentation des prix en Allemagne et dans d’autres pays industrialisés est restée limitée, les entreprises exploitant à fond les opportunités qu’offrait la mondialisation (notamment suite à l’effondrement du communisme) pour délocaliser leur production dans des pays à faibles coûts salariaux. La Chine est ainsi devenue l’usine satellite de l’Occident, les sociétés y fabriquant leurs produits à faibles coûts pour les exporter vers les pays occidentaux à des prix défiant toute concurrence.
En réalité, les consommateurs n’ont pas payé moins cher pour ces produits fabriqués en Chine. La course au rabais a en effet contraint les entreprises à réduire considérablement leurs coûts et à augmenter leur productivité afin de rester compétitives. Bien souvent, faibles augmentations voire baisses des salaires ont ainsi constitué le véritable prix à payer.
S’il n’est pas possible d’évaluer précisément l’effet modérateur que la mondialisation a eu sur l’inflation, le panier de biens de consommation utilisé pour calculer le taux d’inflation aux États- Unis permet toutefois de se faire une idée. Ainsi, alors que les prix des denrées alimentaires et des services ont fortement augmenté depuis 1995, ceux des biens de consommation durables (automobiles et produits électroniques notamment) ont en fait baissé de 20 pour cent.
Cette tendance touche à sa fin. La Chine en particulier n’est plus seulement un producteur bon marché. Le développement du pays fait que les Chinois ne se contentent plus de bas salaires et que les entreprises ne peuvent plus produire à des coûts aussi faibles. La hausse des salaires provoque leur augmentation et accroit dès lors les prix des exportations. Certaines entreprises ont bien délocalisé une nouvelle fois leur production vers d’autres pays à bas coûts, mais cela ne suffit pas à en compenser pleinement l’impact. En parallèle, la prospérité croissante de sa population transforme la Chine d’un pays producteur en un pays consommateur. Les Chinois ont davantage de moyens et se montrent enclins à dépenser. Cette demande a pour effet de faire grimper les prix sur les marchés internationaux.
Les pays industrialisés devraient ainsi être confrontés à de fortes pressions inflationnistes à un horizon de dix à vingt ans. En Allemagne par exemple, un taux d’inflation de trois à quatre pour cent n’est pas à exclure. Ce renforcement de l’inflation ne sera pas soudain, mais progressif.
Pour les investisseurs particuliers, la conséquence en sera une diminution de la valeur de leur épargne. Ils devront également se méfier des placements à long terme en produits obligataires, sachant que l’inflation pourrait entraîner une dépréciation du coupon. La solution pourrait consister à investir dans des obligations offrant une protection contre l’inflation ou, mieux encore, dans des instruments monétaires à court terme et des actifs physiques.
2) Les jours du dollar comme monnaie de référence sont comptés
Depuis la signature des accords de Bretton Woods en 1944, le billet vert s’est imposé en tant que monnaie de référence à travers le monde. Le pétrole et bien d’autres matières premières sont ainsi cotés en dollars. Plus de 60 pour cent des réserves mondiales de change sont libellées en dollars. La suprématie des États unis sur les plans politique, militaire et économique depuis la Seconde Guerre mondiale en est la raison.
Toutefois, cette domination s’estompe à mesure de la multipolarisation croissante du monde. Les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens depuis bien longtemps. Le pays est sévèrement endetté et traîne un lourd déficit commercial. En parallèle, les marchés émergents montent en puissance, à commencer par la Chine, qui est désormais la deuxième économie au monde. Les superpuissances mondiales jouent des coudes au bénéfice des marchés émergents.
Dans de nombreux pays, un processus de redressement a débuté après la fin du communisme. L’existence de plusieurs centres de croissance est un plus pour l’économie mondiale. L’Europe en profite notamment à travers la production de machines-outils, de produits de luxe et d’autres biens dont les marchés émergents ont besoin. En revanche, les États-Unis éprouvent davantage de difficultés.
Il semble donc naturel qu’un monde qui n’est plus sous la coupe d’une seule superpuissance dispose de plusieurs monnaies de réserve. Le renminbi chinois, l’euro et d’autres devises verront ainsi leur importance se renforcer, au détriment du dollar. L’existence d’alternatives est bénéfique à l’ensemble des pays à l’exception des États-Unis, qui devront désormais se plier aux mêmes règles que les autres.
Pour permettre au renminbi de devenir une véritable monnaie de réserve, Pékin devra mettre fin aux restrictions de change. Jusqu’ici, les autorités ont maintenu la valeur du renminbi artificiellement basse afin de conférer aux entreprises chinoises un atout concurrentiel. Son appréciation serait en outre conforme à l’objectif du gouvernement visant à encourager la consommation. La hausse du renminbi permettrait de rendre les biens importés plus abordables, de faire chuter l’inflation et de renforcer le pouvoir d’achat.
Quelle conclusion en tirer pour les investisseurs particuliers? L’appréciation du renminbi entraînera un impact similaire sur la valeur de la monnaie des pays voisins telle que le won sud- coréen. Les gouvernements concernés s’y opposent à ce jour de peur que leurs entreprises ne perdent une partie de leur compétitivité au profit de la Chine. Si la République Populaire laissait sa monnaie s’apprécier, les autres pays de la zone pourraient lui emboîter le pas. Les investisseurs peuvent également compter sur la poursuite de la croissance des marchés émergents. Outre les pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), l’Indonésie, la Thaïlande et la Malaisie recèlent d’opportunités, l’Afrique conservant par ailleurs un fort potentiel.
3) La volatilité des marchés est appelée à augmenter
La crise financière a marqué la fin brutale d’une idée fausse : il est de fait impossible de pleinement contrôler les cycles économiques par le biais des politiques monétaires et budgétaires. Les économistes et les investisseurs ont longtemps été persuadés du contraire et l’économie mondiale leur a temporairement donné raison, les phases baissières demeurant passagères tandis que les périodes de hausse se montraient durables.
Nous avons toutefois payé le prix fort pour la stabilité et la croissance des dernières décennies, sous la forme du surendettement. Le bas niveau des taux d’intérêt a incité les entreprises et les ménages à emprunter et à dépenser sans compter, mais ces jours sont désormais révolus. À l’avenir, l’économie connaîtra des sursauts plus prononcés, tant à la hausse qu’à la baisse. Les conséquences de la crise financière vont persister longtemps encore. Certes, les perspectives s’améliorent aux États-Unis, mais le risque d’un renversement est tout aussi manifeste. Le marché immobilier ne s’est toujours pas remis de l’effondrement responsable de la crise. Tout nouveau recul des prix remettrait en cause la croissance et la consommation, ce qui ne serait pas sans effet sur l’économie mondiale. La Chine rattrape son retard, mais les États-Unis demeurent la première économie mondiale.
La politique monétaire accommodante mise en œuvre par les États et les banques centrales pour enrayer la crise financière s’accompagne d’autres risques. Par exemple, les prix des matières premières flambent en raison de l’excédent de capitaux que détiennent les investisseurs. Le renchérissement du cuivre, du zinc ou du minerai de fer fait peser un risque sur l’économie et alimente l’inflation. Le niveau élevé des prix des matières premières menace également les marchés financiers. Nombre d’observateurs redoutent la formation d’une bulle dont l’éclatement pourrait ébranler les places boursières.
Les programmes économiques et les autres mesures instaurées par les gouvernements afin de combattre la crise financière font que de nombreux États sont désormais confrontés à un niveau élevé d’endettement. Outre les inquiétudes que cela engendre sur le marché des emprunts d’État, les inévitables politiques d’austérité mettent désormais la croissance en danger.
En parallèle, la perspective de chocs économiques s’est accrue dès lors que tout est interconnecté. Les troubles en Lybie plombent l’économie mondiale via les cours du pétrole. Le séisme au Japon a non seulement affecté les entreprises locales, mais la désorganisation résultante de la chaîne logistique a contraint certaines sociétés nipponnes à interrompre la production de leurs usines à travers le monde.
Au final, les intervenants du marché affichent désormais une plus grande prudence. Un grand nombre de principes établis n’ont plus cours et la confiance a été fortement ébranlée. Les investisseurs réagissent plus promptement aux évènements, ce qui aura pour effet d’attiser la volatilité.
Pour les investisseurs particuliers, il n’est dès lors plus question de se contenter de détenir des titres. Ils devront au contraire gérer activement leur portefeuille, voire prendre leurs bénéfices. Les investisseurs axés principalement sur les actions n’y verront rien de nouveau, mais cette approche s’applique désormais aux emprunts d’État. La crise de la dette souveraine plombe les marchés et certains pays sont au bord du gouffre. Les spécialistes de ces marchés passent au crible l’actualité économique et politique. La précarité des circonstances pourrait engendrer de sévères réactions. Les investisseurs doivent ainsi constamment analyser la situation. Les obligations ne peuvent plus simplement être conservées jusqu’à leur échéance.