L’euro peut-il tomber durablement sous la parité ?


par Didier Borowski, Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Depuis sa naissance, la monnaie unique a connu d’amples fluctuations qui l’ont éloignée — parfois pendant de longs moments — de sa parité d’équilibre (que l’on estime proche de 1,20-1,25 $). On a en effet pu constater des phases de « surréaction » tant à la baisse qu’à la hausse.

Entre 2000 et 2002, l’euro tombe sous la parité en raison
de la diversification des portefeuilles d’actions des résidents de la zone euro (ZE)

Après son introduction à une parité de 1,18 $(1er janvier1999), l’euro s’est ensuite continûment déprécié tombant à un plus bas historique face au dollar (0,83 $ en octobre 2000). Cette baisse résulte en grande partie de la diversification des portefeuilles des résidents de la ZE. Avec l’arrivée de la monnaie unique, ces derniers se sont retrouvés détenir une part trop importante de leurs actifs libellés dans la même devise. Entre 2000 et 2002, la ZE a enregistré des sorties de capitaux au titre des actions de l’ordre de 200 Mds € par an ! Parallèlement, la zone euro enregistre des entrées nettes d’obligations mais d’une ampleur insuffisante pour compenser les sorties nettes d’actions, d’autant plus qu’à l’époque le solde de la balance courante était déficitaire (-1,5 % du PIB). Quand l’euro est tombé au plus bas en octobre 2000, la balance de base (solde courant + entrées nettes d'actions et d'investissements directs étranger) était en déficit de près de 5 % du PIB. Résultat : l’euro est resté sous la parité face au dollar pendant trois années consécutives.

En 2008 puis en 2009, l’euro s’envole avec les achats par
les investisseurs étrangers de titres de dette (notamment) de la ZE

Des surréactions à la hausse de l’euro ont été observées à deux reprises (1,60 $ en novembre 2008 et à 1,50 $ en octobre 2009) ; ces épisodes résultent de la diversification des portefeuilles, mais cette fois-ci des investisseurs étrangers (asiatiques notamment). On observe en effet à cette époque une envolée des achats de titres de placements obligataires et monétaires de la ZE, parallèlement à l’augmentation de la part des réserves de change des banques centrales vers l’euro. Ces mouvements s’expliquent, en partie, par les écarts de taux d’intérêt entre l’Allemagne et les États-Unis. Notons que l’on observe, aux mêmes moments, une accélération des achats d’actions de la ZE par les résidents américains. Les flux de portefeuille jouent alors tous dans le même sens et compensent un solde courant qui passe temporairement dans le rouge durant la « grande récession ».

Depuis la mi-2014, la diversification de portefeuilles obligataires des résidents de la ZE pèse sur la monnaie unique

L’anticipation d’un QE de grande envergure de la BCE – dont la probabilité n’a fait que grimper depuis le discours prononcé par Mario Draghi à Jackson Hole au mois d’août dernier – a fait chuter l’ensemble des taux d’intérêt obligataires en ZE.

Dans ces conditions, on observe que les résidents de la zone euro diversifient de façon croissante leurs portefeuilles obligataires (depuis la mi-2014) en allant chercher du rendement sur des titres étrangers plus rémunérateurs. Leurs achats de titres étrangers (cumulés sur 12 mois) s’élevaient à près de 3,2 % du PIB en janvier 2015, alors qu’entre l’été 2013 et l’été 2014 ils étaient nuls. Quant aux achats de titres de dettes de la ZE par les investisseurs étrangers, ils se sont nettement réduits et ne représentent plus que 0,5 % du PIB (janvier 2015), soit trois fois moins qu’à l’été 2013. Ce double mouvement explique en grande partie l’affaiblissement récent de l’euro.

Si les investisseurs étrangers se mettent en plus à se délester de leurs titres européens (cf. « QE de la BCE : le comportement des investisseurs hors zone euro sera déterminant » dans cette édition), cela pourrait clairement faire plonger l’euro sous la parité face au dollar. Or un tel mouvement est assez probable; avec le QE de la BCE, ils disposent en effet d’une occasion idéale pour céder à la BCE, au prix fort, les obligations souveraines de la ZE qu’ils détiennent en portefeuille.

Vers un mouvement de surréaction de courte durée?

Cependant, si tel est le cas, il y a au moins deux raisons qui militent pour une surréaction à la baisse de plus courte durée qu’il y a 15 ans.

Primo, l’excédent courant de la ZE ne cesse d’augmenter. À près de 2,5 % du PIB, il est à son plus haut niveau historique. Les soldes courants des pays du Sud de l’Europe sont tous repassés dans le vert, tandis que ceux des pays du cœur déjà très excédentaires (Allemagne, Pays-Bas) n’ont pas diminué. Il s’agit en partie d’un excédent lié à la compression des importations (récession puis faible rebond de la demande intérieure) et, pour partie, du résultat des efforts de compétitivité entrepris dans les pays du Sud (dévaluations internes). En 2015 et 2016, la reprise de la demande intérieure devrait peser sur le solde commercial (hausse des importations). Mais ce mouvement sera probablement compensé par le surcroît d’exportations induit par les gains de compétitivité.

Secundo, la baisse de l’euro améliorera la profitabilité des entreprises et incitera les investisseurs étrangers à accroître leur exposition aux actions de la ZE. On note déjà une inflexion dans la dynamique des bénéfices par action. Plus l’euro baissera, plus les investisseurs étrangers – encore sous-pondérés en actions de la ZE – seront incités à accroître leur exposition. Et ce d’autant plus que plusieurs métriques de valorisation montrent, qu’en dépit de leur envolée depuis le début de l’année, les bourses de la zone euro sont encore décotées par rapport au marché américain (PE de Shiller plus faible, « price to book » en deçà de sa moyenne de long terme). L’attractivité des bourses européennes pourrait même s’accroître avec une conjoncture particulièrement bien orientée au sein de la ZE (amorce d’un cycle d’expansion sous l’effet de la chute des taux d’intérêt, de la baisse du prix du pétrole et du desserrement des contraintes budgétaires). Les achats d’actions de la ZE par les investisseurs étrangers devraient donc, au final, exercer un rôle stabilisateur et compenser, pour partie, les sorties nettes d’obligations. On observe déjà une nette accélération des achats d’actions de la ZE par les investisseurs américains depuis la mi-2014. Ce mouvement peut encore s’intensifier.

Quoi qu’il en soit, il faut garder à l’esprit que ces « chocs de diversification » sont par essence temporaires. À plus long terme, la vraie force de rappel sera exercée par le solde courant. Notons que si l’on agrège ce dernier avec les flux nets de titres de portefeuille, la zone euro est toujours en excédent de près de 1 % du PIB (vs un déficit de 4 % du PIB en 2000); or la baisse de l’euro viendra, à terme, renforcer l’excédent de la balance courante…

Que conclure ?

À court terme, l’euro restera soumis à des « vents contraires » dont il est bien difficile aujourd’hui de jauger la force. Le risque de surréaction à la baisse nous semble néanmoins l’emporter à l’horizon des 6 prochains mois avec la sortie probable des investisseurs étrangers des marchés souverains de la zone euro (au moins de ceux des pays du cœur). Mais les « vents favorables » devraient ensuite finir par dominer et conduire l’euro à se stabiliser puis à se raffermir. La situation est, à cet égard, très différente de celle qui prévalait au début des années 2000.