L’Europe à la croisée des chemins

par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management

La situation économique en Europe a une tendance schizophrénique. Les nouvelles cycliques sont bonnes, continuant de s'améliorer depuis plusieurs mois et accentuant ainsi la perception d'une reprise durable. 

Néanmoins, dans le même temps, les marchés financiers envoient des messages remettant en cause, pêle-mêle, l'existence de la zone euro, sa capacité à se réguler ou encore l'appartenance de certains pays à cette zone monétaire particulière.

 Une reprise cyclique qui a belle allure

Au regard des indicateurs suivis pour appréhender le cycle économique, les signaux perçus au sein de la zone euro sont désormais plus robustes. Les enquêtes auprès des chefs d'entreprises traduisent un optimisme renouvelé. Ce changement de perspectives, perceptibles de façon significative depuis mars reflète l'inscription plus marquée de la zone euro dans la dynamique vigoureuse de l'économie mondiale.

Cette nouvelle orientation perçue au travers des informations conjoncturelles s'accompagne aussi de signaux beaucoup plus positifs concernant l'emploi. Celui-ci après avoir chuté fortement en zone euro est en phase de stabilisation si l'on suit les enquêtes.

Le schéma pour la France est très proche de celui là. L'enquête sur l'emploi (PMI/Markit) a un profil cohérent avec l'évolution trimestrielle de l'emploi; les chiffres du printemps suggérant une stabilisation du marché du travail au voisinage de l'été. Cette situation ne s'accompagne pas de tensions inflationnistes susceptibles de la dérégler. Face à une activité en reprise et un taux d'inflation réduit, la Banque Centrale Européenne n'a donc aucune raison de se hâter pour modifier sa politique monétaire.

La reprise cyclique ainsi décrite suggère que l'activité va progresser au cours des prochaines semaines et des prochains mois. L'activité mondiale qui avait redémarrée en Asie puis dans les pays émergents mais aussi aux Etats-Unis touche enfin l'Europe. Le repli récent de la monnaie européenne va accentuer ce phénomène.

Cependant, les turbulences récentes des marchés financiers laissent perplexe. Les arbitrages et la défiance constatés sur ces marchés indiquent une réelle inquiétude sur la capacité de l'Europe à retrouver une dynamique solide et durable.

Si l'on veut organiser les explications pour mieux appréhender cet environnement européen, il faut prendre en compte les éléments issus du passé et ceux qui vont construire le futur.

Des contraintes issues du passé

La dette publique et plus généralement les déséquilibres des finances publiques font partis des dérèglements issus du passé. Il faut les maîtriser pour ne pas obscurcir les évolutions à venir. Les investisseurs ont bien saisi cette contrainte et les gouvernements l'ont aussi capté puisque depuis, tous font sont devenus vertueux.

Le retour à l'équilibre n'est plus qu'une question de temps très court; chacun souhaitant un retour sous les 3 % de déficit en 2013 ou 2014 au plus tard.

Trois remarques sur ce point

  • Les projecteurs ont été braqués sur la Grèce, le Portugal ou encore l'Espagne mais les projections faites sur la France montrent là aussi un déséquilibre profond. Dans un rapport au Président de la République, publié le 20 mai, Paul Champsaur et Jean Philippe Cotis indiquent que sans correction spécifique sur les finances publiques mais avec une croissance robuste, rattrapant les pertes de la période de récession, le ratio dette publique sur PIB serait de 110 % du PIB en 2020 contre un peu moins de 80 % à la fin 2009. Un tel niveau d'endettement limite les capacités de réaction de chaque gouvernement. La problématique des finances publiques est une question qui concerne toute l'Europe.
  • Les expériences passées suggèrent que pour qu'une phase de consolidation budgétaire (très forte réduction du déficit public) soit efficace il faut plutôt imaginer une période d'ajustement de 5-6 ans plutôt que de 3-4 ans comme l'indiquent les gouvernements vertueux à tout prix.
  • Le processus apparaît trop hâtif pour ne pas pénaliser la croissance européenne. C'est d'ailleurs ce que craignent les américains et d'autres qui ne souhaitent pas être entraînés dans une spirale négative. On notera aussi que, par le passé, ces phases de consolidation réussie se sont accompagnées d'une très forte baisse de la valeur de la monnaie. Les contraintes internes sont alors compensées par une compétitivité renouvelée. Mais tout cela prend du temps et sur ce point les européens semblent sûrement trop pressés.

Il est absolument nécessaire de maîtriser puis d'infléchir les déséquilibres budgétaires pour redonner des marges de manœuvre aux gouvernements dans la gestion courante des finances publiques, notamment s'il y avait un nouveau choc négatif sur l'activité. Dans une période de dette publique "trop" élevée, un choc ne pourrait plus être mutualisé comme dans la crise récente. L'ajustement s'opèrerait alors sur les acteurs économiques avec un taux de chômage plus élevé durablement.

Comment construire l’avenir ?

Ces éléments issus du passé sont essentiels. Pourtant ils ne suffisent pas pour comprendre les interrogations et doutes qui s'expriment concernant la zone euro.

Trois remarques sur ce point

  • La première porte sur les institutions qui accompagneront la zone Euro dans le futur. Il a souvent été question d'un gouvernement économique qui coordonnerait les politiques budgétaires. Il a aussi été question, par la voix d'Angela Merkel, d'obligation d'équilibre des finances publiques avec le cas échéant l'exclusion possible de la zone Euro du pays qui ne respecterait pas cette contrainte. Ces deux formes institutionnelles, coordonnée d'un côté, autonome de l'autre, ne traduisent pas des modes de fonctionnement identiques et spontanément compatibles. Mais vers quelle forme s'oriente l'Europe ? En outre, Angela Merkel a souvent fait référence à la BCE pour avoir un rôle de contrôle. Quel serait alors l'activité de la Commission Européenne ? En d'autres termes, les institutions qui ont permis la mise en œuvre de l'euro doivent être renouvelées en profondeur. On ne sait pas cependant, pour l'instant, quelle sera la nouvelle architecture qui se mettra en place. Pour les investisseurs de la zone Euro c'est une source d'incertitude majeure. 
  • L'Europe et le FMI ont signé, le 9 mai, un accord de 750 milliards d'euros pour venir en aide aux pays en difficulté. On ne dispose pas du mode de distribution de ces fonds mais on peut imaginer que l'attribution s'opèrera en fonction de critères qui ressembleront au respect de critère proches du pacte de stabilité ou d'éléments similaires. Il est implicitement fait l'hypothèse que cela sera suffisant. Mais existe-t-il un plan B au cas ou celui-ci ne soit pas efficace ou si un pays faisait faillite ? Ce plan gigantesque s'inscrit dans une dynamique de prévention des déséquilibres mais si un pays fait défaut, ces moyens peuvent ils être utilisés ou faut il faire un nouveau plan ? Là aussi les incertitudes sont grandes.
  • Chaque gouvernement dans la gestion de ses finances publiques devra mettre en place des stratégies de rééquilibrage budgétaire. Celui qui ne le fera pas, perdra en crédibilité ce qui s'observera sur la prime de risque qui lui est associé sur les taux d'intérêt. Chaque pays devra faire preuve d'une certaine originalité dans la mise en œuvre de sa consolidation budgétaire et l'on peut s'attendre à ce que les investisseurs deviennent plus exigeants sur les stratégies et les mesures prises pour les respecter. Ce serait nouveau en Europe mais absolument nécessaire en raison de l'hétérogénéité qui existe entre les différents Etats de la zone Euro puisqu'il n'existe pas une souche de dette commune. Cette absence est une vraie différence avec la situation américaine où la dette publique est homogène. Il n'y a pas de défiance au sein de cette dette, contrairement à ce que l'on observe en Europe. En d'autres termes, la précision des stratégies pourrait conditionner les profils de taux d'intérêt pour chacun des pays via une prime de risque.

La situation européenne est complexe. L'embellie cyclique, qui pourrait être accentuée si l'euro continuait de baisser pour que l'Europe s'inscrive davantage dans la dynamique globale, n'est pas suffisante pour rassurer les investisseurs. Les déséquilibres de finances publiques reflétant la mutualisation de la crise de 2008-2009 pénalisent l'avenir immédiat puisqu'une stabilisation de ces finances publiques est nécessaire. Dans le même temps, des incertitudes sur les institutions à mettre en place empêchent de se projeter spontanément dans le futur de l'euro.

Au-delà des ajustements économiques, des choix politiques forts doivent être faits pour que la zone euro continue de fonctionner et sorte renforcer de cette crise profonde et violente.