L’impact du risque souverain sur le risque de crédit corporate

par Chantana Sam, stratégiste chez Axa IM

La récente crise financière résulte d’un levier excessif du secteur privé (notamment des banques) qui a forcé les gouvernements à absorber une grande partie de cette dette privée. Ce transfert a permis aux entreprises d’alléger leurs bilans et les spreads de crédit sont revenus aux niveaux qui prévalaient avant la crise. Mais cela s’est fait au prix d’une détérioration des finances publiques, et l’écartement récent des spreads souverains reflète les inquiétudes des marchés autour du risque souverain.

Par ricochet, les spreads corporate se sont ré-écartés. Nous étudions, dans ce papier, la valeur relative entre risque souverain et risque corporate, et proposons des idées pour jouer les éventuelles incohérences.

La crise des souverains

La tension récente sur les spreads souverains n’est pas nouvelle. De fait, en considérant un panier de CDS sur les pays d’Europe de l’Ouest1, les spreads actuels sont loin des plus hauts historiques de mars 2009.

C’est en septembre 2008, après la faillite de Lehman, que les spreads souverains se sont tendus pour la première fois, lorsque la panique sur les marchés a forcé les Etats à apporter un soutien en termes de liquidité et de capital à leurs institutions financières. Les spreads souverains ont continué à s’élever jusqu’à mars 2009 et ont atteint un sommet à 174 pdb avant de se resserrer massivement, en ligne avec le mouvement des spreads corporate (reflété par le mouvement sur l’Itraxx Main).

Après être retombés à 50 pdb à la fin octobre 2009, les spreads souverains se sont de nouveau écartés suite à de nouvelles inquiétudes sur la Grèce, puis sur d’autres pays périphériques comme le Portugal, l’Espagne et l’Italie, mais également sur les pays du noyau dur (core) comme le Royaume-Uni et la France. Même si les plus hauts récents sur les souverains (124 pdb sur notre panier, 109 pdb sur le SovX) restent en dessous des records de mars 2009, la crise actuelle est d’une certaine façon plus grave car elle découle d’inquiétudes directes sur la solvabilité des souverains. En effet, la crise de 2008-09 était principalement le reflet d’une hausse du risque systémique liée aux inquiétudes sur les banques.

Le mouvement a été assez homogène car, même si des pays comme l’Irlande, la Grèce et l’Autriche avaient sous-performé, l’écartement des pays core avait été plutôt en ligne. En revanche, les tensions actuelles sont liées aux périphériques et on observe une hausse de la dispersion sur notre panier de souverains à des niveaux jamais vus auparavant, même en mars 2009.

L’impact sur les spreads corporate

La hausse des spreads souverains a pesé sur les spreads corporate. En effet, les principaux indices CDS sont dans le rouge depuis le 1er janvier. Les inquiétudes étant centrées sur les pays de la zone euro, le crédit européen a sous-performé le crédit américain2.

Toutefois, le crédit corporate a beaucoup mieux résisté que le crédit souverain puisque l’Itraxx SovX perd 1% depuis le début de l’année. Ainsi, de nombreux CDS single-name traitent désormais en dessous de leurs souverains respectifs (58 dans notre univers européen au 19/02/2010). Nous ne pensons pas que cela soit justifié. Certes, le levier actuel dans les pays développés est à un niveau record mais il ne faut pas perdre de vue les différences de dynamique entre le crédit souverain et le crédit corporate. Les souverains peuvent accroître leurs revenus en augmentant les impôts, voire alléger le poids de leur dette par création monétaire ou par dévaluation. En outre, le FMI peut aider les pays en difficulté, même si l’intervention a un coût à la fois social et politique. Les pays de la zone euro ne peuvent pas imprimer leur monnaie ou dévaluer, mais ils bénéficient d’un soutien implicite de l’Union Européenne, qui semble confirmé par les discussions actuelles concernant le problème grec. Au final, le risque souverain des pays développés est un enjeu sérieux, mais il est peu probable que des défauts liés à des problèmes de financement, similaires aux défauts des entreprises, puissent survenir à court terme. Par ailleurs, les entreprises seraient probablement très impactées par une crise souveraine.

Une telle crise provoquerait une hausse de la pression fiscale. Elle créerait également une pression haussière sur les taux longs, au détriment des consommateurs et des entreprises. Enfin, les entreprises d’un pays en difficulté auraient beaucoup de mal à se refinancer en raison de la perte de confiance des investisseurs.

Par conséquent, nous pensons que la plupart des spreads corporate ne devrait pas s’échanger en dessous de leurs souverains de référence et recommandons de parier sur une correction. Au lieu de s’exposer directement à la convergence entre l’Itraxx Main et le SovX3, nous préférons acheter de la protection sur une sélection de CDS single-name et vendre de la protection sur le panier de souverains correspondants. En ce qui concerne la sélection des noms, nous nous restreignons à des secteurs dans lequel le rôle de l’Etat est important, notamment en termes de régulation, comme les financières, les services publics ou les télécoms. Nous choisissons d’exclure les noms très diversifiés géographiquement (par exemple, Telefonica, Iberdrola, Santander ou BBVA tirent plus de la moitié de leurs revenus de l’étranger4). Nous excluons aussi les noms sujets au risque de fusion-acquisition comme Hellenic Telecom5. Nous obtenons finalement un portefeuille de 14 noms avec 9 utilities (Energias de Portugal, Endesa, Enel, Gas Natural, Edison, Centrica, Scottish Power, United Utilities et Kelda), 4 banques italiennes (Banca Monte Dei Paschi, Intesa Sanpaolo, Banco Popolare et Banca Popolare Di Milan) et 1 télécom (France Télécom). Au 19/02/2010, le CDS de ces entreprises traite en moyenne 24 pdb au dessous des souverains (ce qui correspond au portage de la stratégie). Par ailleurs, selon Bloomberg, leurs chiffres d’affaires proviennent, en moyenne, à plus de 80% de leur marché domestique.

Les non-financières semblent chères en valeur relative

Les financières ont le plus souffert des tensions sur les souverains, l’Itraxx Financials Senior perdant 1,3% depuis le 1er janvier. Cette sous-performance est justifiée par le lien étroit entre banques et Etats, lien qui s’est encore renforcé durant la crise. L’impact sur les financières s’est fait avec retard puisque le spread entre financières et souverains6 était proche de zéro au 11/01/2010. Depuis, ce spread s’est ré-écarté et atteint 20 pdb en clôture la semaine dernière. La moyenne historique est de 35 pdb et ce spread pourrait s’écarter encore davantage mais le lien plus étroit entre banques et Etats justifie aujourd’hui un niveau de spread inférieur, en ligne avec les niveaux actuels des swap spreads.

En revanche, les non-financières ne semblent pas avoir suffisamment corrigé et leurs spreads sont historiquement bas par rapport aux financières. Les taux de défaut implicite des financières sont plus élevés que ceux des non-financières, ce qui est difficile à justifier dans une perspective de détention de dette à maturité. Ainsi, nous surpondérons les financières dans notre allocation sectorielle crédit.

Conclusions

Les récentes tensions sur les spreads souverains reflètent la détérioration des finances publiques consécutive à la crise financière. Les spreads corporate ont été impactés par cette hausse mais la correction ne s’est pas faite de manière tout à fait cohérente. Ainsi, plusieurs CDS single name traitent en dessous de leurs souverains respectifs, ce qui est difficilement justifiable. En outre, à la différence des financières, les non-financières ne semblent pas avoir suffisamment corrigé et semblent trop chères en termes de valeur relative.

NOTES

  1. Comprenant les membres de l’Itraxx SovX en excluant la Suisse à cause de l’historique trop court.
  2. -0.6% pour l’Itraxx Main contre -0.4% pour le CDX Main depuis le début de l’année au 18/02/2010.
  3. La répartition par pays n’est pas la même pour ces deux indices. 4 Source : Bloomberg sur les revenus de 2008.
  4. Le CDS traite 245pdb en dessous de celui de la Grèce mais la compagnie est une cible potentielle de Deutsche Telekom.
  5. Nous comparons l’Itraxx Financials Senior avec le panier des souverains respectifs de ces compagnies.