par Jacques Blot, Conseiller en géopolitique de Convictions AM
Alors que l’économie chinoise ralentit et que celle du Japon se détériore, l’Inde échappe à la morosité. Son PIB, qui avait connu une forte décroissance ces dernières années, devrait augmenter de 5,4 % en 2014 pour atteindre, selon l’OCDE, 6,6 % en 2015 et quasiment rattraper celui d’une Chine plafonnant à 7 %. Ceci s’accompagne d’un assainissement des finances publiques et d’une diminution du déficit courant passé de -4,2 % du PIB en 2011 à -1,7 % en 2014.Que cette embellie soit due à un effet Modi, le nouveau Premier ministre, dont le large succès aux élections apporte une garantie de stabilité, est indubitable. Le moral des chefs d’entreprise s’est amélioré.
Le Sensex de la Bourse de Bombay a gagné plus de 30% depuis le début de l’année. L’opération de séduction des investisseurs américains en septembre dernier semble avoir été un succès et le nouveau Premier ministre a obtenu des promesses d’investissements du Japon (35 Mds$) et de la Chine (20 Mds$). S§P a relevé de négative à stable la note BBB de l’Inde « en raison de conditions politiques favorables et d’une position extérieure solide », envisageant un nouveau relèvement si la croissance atteint 5,5 %. De plus, l’Inde bénéficie de la chute des cours du pétrole et des matières premières dont il est un gros importateur.
La lutte contre l’inflation reste une priorité
L’arrivée à la tête de la Reserve Bank of India de l’ancien économiste en chef du FMI, Raghuram Rajan, a également contribué à restaurer la confiance. La dépréciation de la roupie et les mesures non conventionnelles prises par la BRI ont permis une stabilisation de la balance des paiements. La lutte contre l’inflation reste toutefois la priorité de la politique monétaire. Le taux repo est maintenu à 8% avec pour objectif de ramener la hausse des prix de plus de 10 % en 2013 sous les 6%, objectif en passe d’être atteint : l’inflation constatée est de 6,3 % en septembre et de 5,52% en octobre, ce qui devrait permettre un assouplissement attendu par les milieux économiques.
Nécessité de réformer le pays
Mais il n’y aura vraiment succès que si Narendra Modi est capable de réformer et de moderniser un pays fédéral de 1,23 Md d’habitants, aux fortes disparités ethniques, politiques et sociales, dont la population active croît de plus de 10 millions chaque année. Certes l’ambition est affichée: ouvrir l’économie aux capitaux étrangers, développer une production industrielle exportable en complément de l’outsourcing des services informatiques, moderniser une agriculture qui emploie 50 % de la population, doter l’Inde d’infrastructures qui lui font défaut, accélérer une urbanisation moderne, réformer le système éducatif, améliorer les conditions sanitaires d’une grande partie de la population. Modi a lancé une campagne « Make in India » destinée à séduire les investisseurs étrangers avec la promesse de simplifier les démarches administratives et juridiques, de protéger la propriété individuelle, et la définition de 25 secteurs prioritaires tels que l’automobile, l’aviation, la défense, les énergies renouvelables, la construction ou le textile.
Mais les rigidités, les archaïsmes, la bureaucratie, la corruption sont autant d’obstacles qui doivent inciter à la prudence quant à l’importance et au rythme des changements. Il existe de nombreux goulets d’étranglement. Le problème de l’énergie est particulièrement crucial. L’Inde en est le sixième consommateur mondial, le septième importateur de pétrole (80 % de sa consommation). Sa production électrique est insuffisante d’où une pénurie permanente (jusqu’à plus de 10 % de la demande),ce qui pénalise les particuliers mais aussi les entreprises souvent obligées de fonctionner avec des générateurs. Le gouvernement veut, avec un programme d’investissements de 250 Mds$ sur 5 ans, doubler la production et développer le réseau de transport d’énergie.
De profondes réformes encore nécessaires
Dans sa compétition avec d’autres pays asiatiques comme l’Indonésie, l’Inde est encore trop marquée par un système étatiste procédurier et protectionniste. De profondes réformes sont nécessaires, qu’il s’agisse de droit du travail, de règlementation foncière, de régime fiscal ou de propriété intellectuelle. Le système fédéral avec des Etats puissants est aussi un frein aux réformes. Seuls 9 des 29 ministres en chef locaux appartiennent aux partis de la coalition. Or il existe une superposition des compétences et de nombreux domaines comme l’agriculture, l’eau ou les réseaux routiers relèvent des administrations locales. C’est ainsi par exemple que la difficulté d’acquérir les emprises foncières pour les implantations industrielles, les autoroutes ou les voies ferrées peut retarder les projets de plusieurs années.
Coopération mesurée avec la Chine
La réussite dépend aussi d’un environnement international stable. Or l’Inde est avec ses voisins, Pakistan et Bengladesh, en conflit latent jalonné de fréquents accès de fièvre. Modi est comme Abe un représentant de la droite nationaliste. Les deux dirigeants, qui craignent la Chine, ont décidé de renforcer un partenariat stratégique de nature commerciale et politique. Mais alors que les relations entre Tokyo et Pékin continuent d’être glaciales voire dangereuses, l’Inde entend maintenir avec la première puissance asiatique, en dépit d’un conflit frontalier non résolu, une politique où la rivalité n’exclut pas la coopération. D’ailleurs Modi ne cache pas vouloir suivre l’exemple chinois d’insertion dans l’économie mondiale.
Les ambitions d’une puissance militaire
Le Premier ministre indien a l’ambition de faire de son pays une grande puissance militaire. L’Inde est l’une des trois puissances nucléaires asiatiques. Elle est le premier importateur d’armes (70 % des équipements sont importés, 1er client des Etats-Unis et de la Russie).Pour favoriser les coopérations, les étrangers pourront désormais détenir 49% du capital des entreprises de défense. Le budget de la Défense a été augmenté de 12 % (38,35 Mds$ à comparer au budget chinois de 132 Mds$).Ce secteur devrait connaître un développement important.
Assurer une croissance durable
C’est fort de son succès dans la gestion de l’Etat du Gujarat de 2001 à 2014 que Narendra Modi a gagné les élections, soutenu par les milieux économiques et les classes moyennes. L’état de grâce qu’il connaît est dopé par un dynamisme qui tranche avec l’immobilisme du précédent gouvernement. Mais les effets d’annonce et le charisme du leader ne suffiront pas à assurer une croissance durable si les réformes restent virtuelles. A l’heure actuelle, l’Inde attire dix fois moins d’investissements étrangers que la Chine et, selon une étude du FMI, avec une croissance de 8 % il lui faudrait 20 ans pour rejoindre le niveau de vie actuel par habitant de son rival asiatique. Avant de parler de succès – le précédent d’Abe doit inciter à la prudence- il faut attendre un premier bilan des réformes. S’il est positif, l’Inde pourra devenir un relais de croissance et, en tout cas, prétendre jouer un rôle majeur en Asie.
L’avis de la gestion
L’Inde est aujourd’hui un pays très à la mode chez les investisseurs. Ainsi, les actions et la devise ont profité de flux acheteurs importants depuis le changement de président au sein de la Banque centrale. Ce phénomène s’est de plus accentué avec l’élection d’un nouveau Premier ministre. La performance des actifs indiens est ainsi remarquable depuis de nombreux trimestres. S’il est certain que la situation économique s’est globalement améliorée, la question cruciale est aujourd’hui d’évaluer dans quelle mesure les bonnes nouvelles ne sont-elles pas déjà dans les prix ?
De notre point de vue, du côté des actions, le potentiel de hausse reste réel même s’il est peu probable que la progression soit aussi forte que celle qui a été réalisée depuis deux ans. Néanmoins, avec des anticipations de bénéfices toujours en progression pour 2015 et un niveau de valorisation acceptable, es actions indiennes devraient continuer d’afficher de bonnes performances l’année prochaine. Au niveau de la roupie indienne, nous pouvons anticiper des variations dans une bande large mais sans véritable tendance car des forces s’opposent. D’un côté, la balance courante s’améliore avec la baisse du pétrole mais d’un autre côté, la Banque centrale a moins besoin de laisser s’apprécier sa devise du fait d’une inflation actuellement orientée à la baisse.