L’inflation française peut-elle rebondir ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

A l’image de l’inflation de la zone euro, l’inflation française a de nouveau baissé en mars pour atteindre 0,6% après 0,9% en février, revenant sur le point bas enregistré en octobre dernier. Cette nouvelle baisse peut apparaître surprenante alors même que les taux de TVA ont été augmentés au 1er janvier 2014. Est-ce à dire que la hausse de la TVA a été absorbée par les entreprises et n’a pas du tout été transmise au consommateur final ? La réponse est négative.

L’augmentation de la TVA a bien été, au moins en partie, répercutée dans les prix à la consommation, les prix des services accélérant légèrement depuis le début de l’année. Rappelons en effet que la hausse de TVA est surtout concentrée sur le taux intermédiaire qui porte sur certains services (qui est passé de 7% à 10% soit une hausse de 2,8%) alors que le taux normal ne progresse que marginalement (de 19,6% à 20% soit une progression de seulement 0,3%). Cela signifie que d’autres facteurs, principalement la décélération des coûts salariaux unitaires et la désinflation importée, ont joué compensant ainsi les effets haussiers.

Comme dans la zone euro, les fluctuations récentes de l’inflation française sont partiellement liées à des effets de base. Il est donc très probable de voir un rebond de l’inflation en avril qui pourrait revenir vers 1%. Mais au-delà de ces effets, on observe bien une tendance désinflationniste sur un certain nombre de produits. En ligne avec l’évolution des matières premières, les prix de l’alimentation et ceux de l’énergie ont bien ralenti et sont même en légère baisse sur un an. Par ailleurs, les prix des produits manufacturés (hors énergie) sont en baisse sur un an reflétant la diminution des prix de production et des prix d’importation, favorisée par l’appréciation du taux de change en 2013. Cette faiblesse du prix des biens échangés est également une conséquence de la concurrence, de nombreux pays essayant d’améliorer leur compétitivité via de la dévaluation interne. D’ailleurs, les salaires ont commencé à ralentir en France en 2013, ce qui associé à une augmentation de la productivité a permis un ralentissement des coûts salariaux unitaires. Mais les entreprises n’en ont pas profité pour augmenter leurs marges. Dans les services, la problématique est un peu différente, puisque les entreprises sont beaucoup moins exposées à la concurrence étrangère. Toutefois, avec certaines déréglementations et dans un contexte de faiblesse de la demande, les prix des services ont également progressé moins rapidement qu’au cours des années précédentes même si la tendance est à la hausse ces derniers mois (notamment en raison de la TVA).

Il nous semble que l’inflation française pourrait durablement rester basse (proche de 1%). S’il est difficile de prévoir les cours mondiaux de matières premières qui, au-delà de l’évolution de la demande mondiale, dépendent également de facteurs d’offre peu prévisibles (récoltes, risques géopolitiques,…), notre vision aujourd’hui est plutôt celle de leur stabilisation et donc en corollaire d’un effet neutre sur l’inflation. Par ailleurs, si nous anticipons une légère dépréciation de l’euro, l’impact sur l’inflation devrait rester modéré.

Plus fondamentalement, la tendance à la décélération des coûts salariaux unitaires pourrait se poursuivre dans les années qui viennent. La politique économique annoncée par le gouvernement visant à alléger le coût du travail via une baisse des cotisations des entreprises (CICE puis Pacte de responsabilité) pour favoriser leur compétitivité va dans ce sens. L’impact désinflationniste de cette politique dépendra du comportement de marge des entreprises. La baisse des coûts peut servir à restaurer leurs marges qui se trouvent actuellement à un plus bas, surtout dans l’industrie manufacturière. Les services marchands ont également vu leur taux de marge baisser mais de façon beaucoup plus modérée1. La baisse des coûts peut également leur permettre d’ajuster leur prix à la baisse pour gagner des parts de marché, dans un contexte où les pays voisins ont également adopté des mesures visant à améliorer leur compétitivité.

Au total, notre scénario reste celui d’une inflation française revenant vers 1% en avril puis oscillant entre 1% et 1,5% au second semestre. Il nous semble toutefois qu’au-delà des aléas non prévisibles sur les prix des matières premières qui nous apparaissent constituer aujourd'hui le principal risque haussier, le risque sur l’inflation est clairement orienté à la baisse et ce malgré la légère amélioration de la conjoncture que nous attendons cette année. Si l’inflation française restait plutôt proche de 1%, cela impliquerait, toute chose égale par ailleurs, une inflation de la zone euro à 0,8% en 2014, soit 0,2pt inférieure à la prévision actuelle de la BCE… ce qui pourrait s’avérer suffisant pour provoquer finalement une action de la BCE…

NOTES

  1. Cf. Flash N° 286 "France : la déformation de l’économie vers les services va se poursuivre"

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