L’inflation, trop basse en zone euro ?

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Tombée à moins de 1% par an, l’inflation en zone euro se situe dans la zone d’inconfort : celle où, compte tenu des aléas de mesure1 ou de conjoncture, le risque de se trouver en territoire «négatif» (d’avoir une baisse des prix) grandit. En Italie, Espagne, Portugal, Grèce, les indices de prix à taux de taxation constant sont déjà en recul, ou bien n’augmentent plus. Partout ailleurs, leur hausse ralentit.

La Banque centrale européenne (BCE), dont le mandat est de maintenir l’inflation à un niveau « inférieur à, mais proche de 2% » vient récemment de pondérer ce risque en décidant, un peu par surprise, une réduction de son principal taux de refinancement. Celui-ci se rapproche ainsi de zéro (il est à 0.25%) mais l’institution n’exclut pas qu’il puisse baisser encore. Elle indique par ailleurs que la zone euro « pourrait connaître une période prolongée de faible inflation » durant laquelle les taux d’intérêt resteront bas. De fait, ses propres prévisions à horizon 2014 et 2015 n’ont rien d’exubérant2.

Au-delà, la BCE juge les anticipations « solidement ancrées », se référant notamment aux enquêtes auprès des prévisionnistes professionnels ou encore aux « points morts » d’inflation (la différence entre les rendements obligataires nominaux et indexés). Les unes et les autres ne varient guère, continuant d’indiquer une hausse des prix voisine de 2% par an sur le long terme. En résumé, l’épisode actuel de de faible inflation, bien que « prolongé », n’en serait pas moins transitoire.

L’hypothèse selon laquelle, en zone euro, la crise des dettes souveraines laisserait intact le régime inflationniste de long terme est discutable. Néanmoins, il est aussi raisonnable de penser, à l’instar de la BCE, que les pressions baissières qui s’exercent sur les prix n’ont pas toutes un caractère permanent. L’UEM a passé trois des cinq dernières années en récession, une situation dont elle sort tout juste. Son taux de chômage est historiquement élevé (12,1% en moyenne, mais 26,7% en Espagne, 15,7% au Portugal…) et son potentiel, amoindri ou pas, est loin d’être pleinement sollicité3.

Aussi n’est-il pas anormal de voir les indices de prix témoigner de la langueur de l’activité. Le point bas d’inflation est généralement atteint un an après le creux d’activité ce qui, dans le cas présent, le situerait aux alentours du printemps 2014.

Et ensuite ? Depuis l’été 2013, le taux d’utilisation des capacités de production remonte graduellement (graphique). La demande intérieure se raffermit, y compris dans des pays où elle s’était effondrée, tels l’Espagne ou le Portugal. Des tendances fragiles mais qui, si elles se confirment, contrarieraient à terme le recul de l’inflation. Celui-ci est, par ailleurs, encouragé par la baisse des prix du pétrole et celle, beaucoup plus marquée, du cours des matières premières agricoles. Depuis un an, les postes «énergie» et « alimentation » expliquent 80% du ralentissement de l’inflation en zone euro, alors que leur poids dans l’indice est voisin de 30%. La modération se diffuse ensuite à l’ensemble des prix, notamment ceux des biens manufacturés. Or celle-ci ne peut être tenue pour acquise. Eu égard à l’importance prise par les zones émergentes dans la croissance mondiale (elles en expliquent 88% depuis six ans), il est très difficile d’imaginer que le prix des matières premières baisse sans cesse. L’apaisement ne serait donc que temporaire.

Au-delà de ses comportements cycliques, l’inflation reste, en définitive, un phénomène monétaire. La faiblesse de l’agrégat « M3 » (en hausse de seulement 1,4% sur un an au mois d’octobre), qui renvoie principalement à celle de la demande pour le crédit, est de nature à préoccuper davantage la Banque centrale européenne que les va-et-vient du cours du pétrole ou même, de l’euro. Elle indique une tendance de fond sans doute plus entamée que ce que la communication officielle veut bien admettre. Maintenir la trajectoire des prix et les anticipations sur la cible de 2% devient, en outre, plus compliqué une fois l’arme des taux d’intérêt épuisée.

Mais cela n’est pas impossible. Récemment, le président de la BCE, Mario Draghi, indiquait disposer d’un nombre toujours important d’outils lui permettant de respecter son mandat. Au-delà d’une ultime baisse des taux directeurs, la fourniture d’indications plus précises et plus contraignantes quant à l’évolution de ces derniers (« foward guidance »), une reprise des opérations de refinancement à long terme, un recours aux achats d’actifs, la mise en place d’un dispositif incitatif s’inspirant du Funding for Lending Scheme (FLS) britannique, sont au rang des options envisagées pour 2014. Reste à les traduire en actes.

NOTES

  1. Les incertitudes quant à la mesure de la hausse des prix peuvent venir des révisions de pondérations, des erreurs d’échantillonnage, de la prise en compte de l’effet qualité, etc.
  2. La prévision moyenne d’infaltion de la BCE s’établit à +1,1% pour 2014 (chiffre révisé en baisse de 0.2 point) et +1,3% pour 2015.
  3. L’OCDE estime que l’écart (négatif) au potentiel atteint 3,8% en zone euro en 2013, l’un des plus importants jamais mesuré.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas